Géopolitique

Les armes, un business toujours incontrôlable

6 min

Incapables de se mettre d'accord sur un traité régulant le florissant et meurtrier commerce des armes conventionnelles, les membres de l'ONU se sont redonné rendez-vous en 2013.

La nature mondiale du commerce des armes, le caractère sensible des intérêts qu’il véhicule, ses conséquences en termes de coût humain, de menaces sur la paix, sont autant de défis posés à la sécurité dans le monde. C’est pourquoi l’ONU s’était promis de réglementer les transferts d’armes conventionnelles (ni chimiques ni nucléaires) entre États et d’adopter un traité sur leur commerce (TCA) en juillet 2012, six ans après une première résolution déposée par la délégation du Royaume-Uni.

Si, au cours de la Conférence des Nations unies qui s’est tenue à New York en juillet 2012, une majorité d’États est parvenue à se mettre d’accord sur un projet de texte, son adoption a été finalement bloquée, entre autres par les États-Unis.

Zoom Les ONG sont en première ligne

Si la signature d’un traité régulant le commerce international des armes advient un jour, ce sera grâce à la longue mobilisation de dizaines d’ONG du monde entier (Oxfam, Amnesty international). Réunies depuis 2003 au sein de l’alliance "Contrôlez les armes", elles n’ont cessé de sensibiliser gouvernements et parlementaires à grand renfort de pétition (630 000 signatures au niveau mondial, 60 000 en France). Les ONG militent pour un traité le plus contraignant possible, qui s’appliquerait à toutes les armes en circulation, mêmes celles des forces de l’ordre. Si elles ne peuvent que regretter l’échec de la Conférence de l’ONU, elles gardent en tête l’exemple des mines antipersonnel : malgré les refus américain, russe ou chinois de signer leur interdiction, ces armes ne sont quasiment plus vendues aujourd’hui grâce à l’adoption de la convention d’Ottawa, ratifiée par une centaine d’États, hors du cadre de l’ONU.

Une adoption bloquée mais pas rejetée ni enterrée : le 7 novembre dernier, un accord a été trouvé à l’ONU pour que les négociations finales aient lieu en mars 2013, ce qui permettrait au texte de faire l’objet d’un vote final lors de l’Assemblée générale des Nations unies courant 2013. L’espoir de parvenir à une réglementation internationale de ce commerce demeure donc. Car la nécessité de mieux contrôler ce secteur est aujourd’hui largement reconnue. Sensibilisée par les ONG, pressée par les appels de la société civile à prendre conscience des dangers d’un marché non réglementé, l’Assemblée générale de l’ONU s’est montrée dans sa majorité favorable à l’idée du TCA dès 2006. L’objectif de celui-ci est d’encadrer les importations, les exportations et le transit des armes entre les États (mais ni leur vente ni leur circulation intérieures) en instaurant des normes communes et des systèmes de contrôles nationaux. De nombreux États souhaitent en outre l’établissement de critères communs, objectifs et non discriminatoires, pour évaluer en toute transparence les demandes de transfert d’armes avant de les autoriser.

À qui profite le crime ?

Selon ces critères, un échange devrait être refusé s’il existe un risque substantiel que les armes facilitent des violations des droits humains, du droit international humanitaire ou encore n’entrave le développement socio-économique d’un État en alimentant mafias et groupes armés. À travers ces critères, ce serait donc la responsabilité de chaque État qui serait engagée par la signature d’un éventuel traité.

À cause de l’opacité qui entoure le marché des armes, de la rareté et du manque de fiabilité des données disponibles, il est difficile d’évaluer la réalité des sommes qui sont en jeu. Toutefois, en 2007, le Sipri - un centre de recherche international sur les conflits et les armements - estimait la valeur du commerce mondial à 50,6 milliards de dollars (39 milliards d’euros). Prudent, le centre basé en Suède préfère mettre en avant son propre indicateur de tendance pour illustrer l’ampleur du marché. Celui-ci souligne l’augmentation continue des transferts d’armements conventionnels majeurs depuis 2004.

L’essentiel de ce marché ne concerne qu’un nombre restreint de vendeurs. Entre 2007 et 2011, cinq États exportateurs, dont quatre des cinq États membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, se sont partagé 75 % des exportations mondiales : les États-Unis (30 %), la Russie (24 %), l’Allemagne (9 %), la France (8 %) et le Royaume-Uni (4 %). Pour les gouvernements, les enjeux économiques, politiques ou géostratégiques que représentent les ventes d’armes conventionnelles, lourdes mais aussi légères, sont par conséquent énormes. Ceux-ci sont toutefois à mettre en balance avec les quelque 500 000 morts annuels résultant de la violence armée (guerres, terrorisme, homicides) dans le monde, recensés par la Déclaration de Genève sur la violence armée et le développement, qui fédère 108 gouvernements différents. L’absence d’une norme juridiquement contraignante pour encadrer les transferts internationaux d’armes facilite en outre les transferts irresponsables qui alimentent les conflits ou violent les embargos de l’ONU. Ainsi, il n’est pas rare de voir des armes échangées sur le marché légal, disparaître puis réapparaître dans les mains de réseaux clandestins et mafieux.

Une note d’optimisme

Dans un domaine où les intérêts nationaux priment souvent sur toute autre considération, si humanitaire soit-elle, parvenir à un consensus entre les États paraissait difficile, même si officiellement, plus aucun État ne rejette l’idée d’un traité, pas même le Zimbabwe et les États-Unis à l’origine contre. Dans les faits, les sceptiques sont minoritaires mais encore nombreux. La Chine, l’Inde, l’Iran, l’Arabie saoudite, mais aussi le Qatar, la Russie, ou encore le Venezuela et le Pakistan, se sont toujours abstenus lors des différents votes, et ont cherché dans les discussions préparatoires à vider de leur substance les dispositions les plus contraignantes, au nom de la non-ingérence et du droit légitime des États à faire commerce des armes. Les débats portant sur les types d’armes concernées ont été particulièrement difficiles durant la Conférence. Au coeur de ces discussions : l’inclusion des armes légères et de petit calibre, disséminées par centaines de milliers dans le monde. Et surtout celle des munitions dont l’un des farouches adversaires n’est autre que les États-Unis, le plus gros producteur mondial. De même, la place réservée aux droits humains, au droit international humanitaire, à la violence armée, à la corruption ou encore au développement socio-économique des États a été l’un des autres points d’achoppement.

Le processus a par ailleurs souffert du calendrier de politique intérieure des États Unis. En effet le premier exportateur d’armes classiques lourdes entrait alors en campagne présidentielle. Un climat peu propice à l’ouverture d’un tel débat dans un pays où les armes sont banales, où le droit d’en posséder une est considéré comme constitutionnel, où le lobbying de la très conservatrice National Rifle Association (NRA), un temps dirigée par feu l’acteur Charlton Heston, est très intense.

Nombre de rapports sur les transferts d’armes remis à l’ONU

Les rapports sur les transferts d’armes sont remis auprès du Registre des armes classiques de l’ONU (Unroca), sur la base du volontariat, par les États qui opèrent sur le marché.

Nombre de rapports sur les transferts d’armes remis à l’ONU

Les rapports sur les transferts d’armes sont remis auprès du Registre des armes classiques de l’ONU (Unroca), sur la base du volontariat, par les États qui opèrent sur le marché.

Marché mondial de l’armement conventionnel (en milliards de dollars)

S’il n’est pas certain que les États sceptiques étaient prêts à accepter le dernier projet de texte de traité proposé - lequel présentait pourtant des compromis qui apparaissaient acceptables aux yeux d’une grande majorité d’États -, c’est bel et bien la délégation américaine qui, sur instructions de l’administration Obama, a définitivement annihilé tout espoir de parvenir rapidement à un consensus. Une aubaine pour un certain nombre de délégations - la Russie, la Corée du Nord, le Venezuela, Cuba en tête - qui se sont empressées de lui emboîter le pas pour réclamer le report sine die d’une éventuelle ratification.

Les travaux de la Conférence se sont donc conclus sur un échec, mais cela ne signifie pas la mort du processus. Bien au contraire "de nets progrès ont été accomplis" au cours de ce mois de négociations, ont conjointement souligné les ministres des affaires étrangères français, britannique, allemand, espagnol, italien et celui du commerce suédois. Un message d’optimisme approuvé par plus de 90 États. Ainsi, le Canada, l’Australie, la Suisse, et la majorité des États latino-américains et africains souhaitent eux aussi une reprise des négociations dès cette année 2013 pour mettre fin à une situation qui frise l’absurde : aujourd’hui dans le monde, le commerce des lecteurs MP3 est plus réglementé et surveillé que celui des armes conventionnelles.

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