Dans les pays du sud, enfanter tue

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Toutes les deux minutes, une femme en couches décède par manque de soins. Trop d'États ne parviennent pas à améliorer la santé maternelle. Un enjeu plus culturel qu'économique.

Chaque année, 350 000 femmes meurent au cours de leur grossesse. Une toutes les deux minutes. C’est mieux qu’en 1990 (550 000 femmes) mais encore très loin du seuil des 150 000 que la communauté internationale est censée franchir d’ici à trois ans. En effet, en 2000, les Nations unies ont fait de la réduction de la mortalité maternelle et de l’accès universel à la médecine procréative l’un de leurs huit objectifs du millénaire pour le développement (OMD), une série d’engagements chiffrés à atteindre en 2015.

Si depuis 2000, le nombre de pauvres ou d’enfants non scolarisés a considérablement diminué partout sur la planète, les progrès sur le front de la santé maternelle sont restés pour leur part désespérément lents. Notamment parce que, encore moins qu’ailleurs, ils ne dépendent pas seulement des moyens financiers alloués à des actions ciblées et parce qu’ils relèvent aussi des représentations et des valeurs culturelles. Le niveau actuel de la mortalité des mères relevé dans les pays en développement est encore comparable à celui des pays industrialisés au début du XXe siècle. Selon l’Organisation mondiale de la santé, une femme du Sud a une chance sur 150 de mourir des suites d’une grossesse ou d’un accouchement mal suivis. Dans les pays développés, la probabilité est vingt-cinq fois moindre. Avec un tel écart, il s’agit de la plus grande inégalité de santé qui soit.

La mort n’est pas le seul risque encouru par ces femmes. Pour chacune d’entre elles qui décède, vingt autres présentent des séquelles après l’accouchement et en particulier des fistules obstétricales1, synonymes d’exclusion sociale. De plus, les grossesses mal suivies accroissent le risque de mortalité infantile : chaque année, 2,6 millions des bébés sont mort-nés et 3,5 millions de nouveau-nés décèdent dans les quatre premières semaines de leur vie, faute de soins.

L’Afrique en première ligne

Si 99 % des femmes concernées vivent dans des pays en développement, toutes ne subissent pas un calvaire identique. Certains pays ont connu des avancées considérables. C’est le cas en Asie, particulièrement en Chine, en Inde ou au Bangladesh, où le rythme moyen de la baisse de la mortalité maternelle est de 5 % par an, contre 3 % au niveau mondial. Même tendance au Moyen-Orient (Égypte, Turquie, Iran), en Afrique du Nord (Tunisie, Maroc) où de manière générale, la fréquence des décès maternels est de 2,5 à 4 fois moindre en 2008 qu’en 1980.

En revanche, la vie des futures mères ne s’est guère améliorée en Afrique subsaharienne. Si la tendance globale sur le continent est à la baisse (- 2,7 % en moyenne par an), les pays qui ont connu des conflits au cours des trente dernières années ont vu leur taux de mortalité maternelle augmenter comme au Zimbabwe, au Tchad ou en Somalie. Dans les pays où l’épidémie de sida - cause indirecte de décès - n’est pas endiguée, comme au Lesotho, l’orientation est la même. Systèmes de santé défaillants et libertés des femmes bafouées : c’est à ces deux niveaux que le bât blesse dans de nombreux pays et c’est ce qui explique que des pays dont les conditions macro-économiques sont proches enregistrent des résultats très différents.

Pourtant, les moyens d’améliorer le sort des futures mères sont largement connus. Ils passent en premier lieu par la reconnaissance des fondements sociaux du problème et sa priorisation par les autorités de santé publique. Ceci posé, le premier champ d’action immédiat est médical. Anticiper les complications au moment de l’accouchement nécessite une professionnalisation du suivi de la grossesse et l’institutionnalisation de la profession de sage-femme.

Zoom L’accès à la contraception est le nerf de la guerre

215 millions de femmes dans le monde qui préféreraient différer ou éviter une grossesse n’ont pas accès à une contraception efficace et sans risque. Pourtant, si la contraception était universelle, le nombre de décès liés à la maternité chuterait de 30 %, estime une étude parue dans The Lancet1 en juillet 2012. Notamment parmi les adolescentes, qui sont à l’origine de 10 % des naissances mondiales. Les jeunes filles sont celles qui ont le moins facilement accès à la planification familiale. Elles sont aussi celles qui encourent le plus de risques de complications au cours de leur grossesse. La contraception libre et choisie est donc une condition nécessaire pour réduire la mortalité maternelle.

Du point de vue technique, là encore, les solutions sont simples : les soins obstétricaux et néonataux d’urgence ne relèvent pas de la pratique médicale de pointe. Mettre en place un réseau de donneurs de sang, disponibles à la demande, pour palier l’absence de structures de conservation, ne requiert que peu de moyens financiers. De même, la césarienne, qui n’est pas l’acte chirurgical le plus difficile, peut très bien être réalisée par des médecins généralistes, voire des assistants médicaux préalablement formés.

Avortements clandestins

Cependant, le personnel le plus dévoué et le matériel le plus perfectionné ne pourront rien si les droits élémentaires des femmes ne sont pas reconnus et respectés. Ainsi, 13 % des décès maternels seraient dus à des avortements, le plus souvent clandestins, dans des pays où la législation dans ce domaine est très restrictive. Outre la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse, l’accès libre à la contraception et l’amélioration du niveau d’éducation des femmes sont les clés du problème. Il en va de même de l’accès des femmes au marché du travail et de leur capacité à mener une activité rémunérée. Sans revenus, les femmes doivent se serrer la ceinture pour accéder aux soins obstétricaux, ou sacrifier l’éducation de leurs filles au profit des garçons.

Face à la faiblesse des progrès de la santé maternelle, les pays du G8 et du G20 ont enjoint la communauté internationale de se mobiliser, lors de leur réunion de 2010 à Muskoka au Canada. Appel qui semble avoir été entendu car depuis, plusieurs agences de coopération internationale ont lancé de nouveaux programmes.

Évolution des décès maternels dans les grandes régions et objectif 2015 fixé par l’ONU
Aide publique au dévelopement allouée à la santé dont les parts dédiées à la santé procréative et à la planification familiale

À l’ONU, l’idée de créer un fonds mondial dédié à la santé maternelle, néonatale et infantile, à l’image de celui qui existe pour le sida, la tuberculose et le paludisme, rencontre un écho favorable. L’enjeu est d’importance car en dépit d’une hausse de l’aide publique au développement allouée à la santé, la part des fonds dédiés à la cause des futures mères a fondu comme peau de chagrin. Malheureusement, à l’heure de la crise économique mondiale, l’argent se fait rare. En septembre 2012, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon ne pouvait que regretter les politiques d’austérité qui ont obligé les pays occidentaux à réduire pour la première fois depuis des années le montant de leur aide au développement. Cependant, le manque de fonds ne doit pas empêcher la communauté internationale de s’interroger sur les politiques menées. En matière de santé comme dans d’autres domaines, tout l’argent du monde ne saurait remplacer le manque de volonté politique.

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