La "révolution marocaine" au service de sa majesté

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Réforme constitutionnelle, nomination d'un Premier ministre islamiste... Sous couvert de démocratisation, Mohamed VI a habilement renforcé son autorité et affaibli les contre-pouvoirs.

Tout changer pour que rien ne change ? Alors que, dans la foulée du soulèvement tunisien, le vent de la révolte faisait trembler les régimes arabes qu’on croyait les plus solidement établis, le roi du Maroc Mohamed VI, a pris les devants et annoncé, dès le 9 mars 2011, une réforme constitutionnelle dans l’espoir de préserver un système politique totalement contrôlé par le trône depuis l’indépendance en 1957.

Jusqu’à présent, le régime n’avait en effet concédé qu’une alternance formelle qui avait permis à l’Union socialiste des forces de progrès (USFP) de gouverner de 1993 à 1998. Les espoirs de démocratisation avec l’arrivée du nouveau monarque en 1999 n’avaient finalement débouché que sur une libéralisation relative, le trône gardant la maîtrise des orientations politiques et du dosage des libertés publiques, tout en détenant des positions dominantes dans l’économie.

Zoom Maroc : quelques chiffres

Source : FMI, Banque mondiale, L’Année stratégique, Pnud Chiffres pour 2012, sauf * (2010) et ** (2008)

Cette fois l’initiative, saluée par une majorité de partis politiques, semblait plus consistante. Elle était loin pourtant de répondre aux aspirations du mouvement dit du "20-février", depuis le rassemblement, ce jour-là en 2011 à Casablanca, de blogueurs et d’organisations de la société civile, rejoints ensuite par des militants de gauche (Parti socialiste unifié) et d’extrême gauche (La voie démocratique), de syndicalistes et d’islamistes. Tous militaient pour une forme de monarchie constitutionnelle, en plus de mesures de justice sociale et de lutte contre la corruption.

Approuvée par référendum le 1er juillet 2011 avec plus de 98 % des voix et 72 % de participation, la nouvelle constitution, qui accorde davantage d’autonomie au gouvernement, a finalement permis de marginaliser ces revendications, de relégitimer le souverain et de consacrer son approche réformiste. Un résultat dont se sont félicitées la plupart des chancelleries occidentales. La monarchie est donc sortie renforcée et cette évolution contrôlée du système politique qui est considérée, par une majorité de partis politiques marocains, comme un modèle de transition démocratique pacifique.

Le roi, chef politique et religieux

C’est dans ce contexte bien cadré que les islamistes du Parti pour la justice et la démocratie (PJD) ont remporté les élections législatives anticipées du 23 novembre 2011. Une victoire relative puisqu’il n’a recueilli que 27 % des suffrages exprimés. Entré au Parlement dès 1997, le PJD a bénéficié à la fois de sa relative virginité politique, de son ancrage dans la société grâce à un réseau d’entraide particulièrement développé dans les zones urbaines et périurbaines et de son engagement contre la corruption et pour l’État de droit.

Il est d’autant plus acceptable par le trône qu’il est non seulement attaché à la monarchie et au rôle religieux du monarque, mais opposé à l’idée d’un roi qui règne sans gouverner. Il rassure également les opérateurs économiques par ses options libérales et sera probablement un allié de Mohamed VI pour écarter le risque d’un soulèvement populaire. Loin d’être un parti de rupture, le PJD incarne autant le changement que la permanence.

Du reste, même si le premier ministre, Abdelillah Benkirane, est un membre du PJD, des portefeuilles stratégiques ont été attribués à des personnalités connues pour leur proximité avec Mohamed VI : l’intérieur, la défense, les affaires religieuses, l’économie, l’agriculture et la pêche. Le PJD ne détient en effet que douze des trente et un ministères et il doit composer également avec ses alliés au gouvernement, les conservateurs de l’Istiqlal, les libéraux du Mouvement populaire et les socialistes du Parti du progrès et du socialisme, qui ont recueilli respectivement 15 %, 8 % et 4,5 % des suffrages. Chaque projet de loi doit donc être négocié et le rapport de force n’est pas toujours favorable aux islamistes.

Sous une telle contrainte, le gouvernement n’a donc guère pu engager de réformes majeures et a dû se contenter, durant le premier semestre 2012, de mesures symboliques pour signifier la rupture avec le passé et renouer un lien de confiance entre les Marocains et leur classe politique. En premier lieu en affichant une éthique personnelle exemplaire : le PJD a établi dès décembre 2011 une charte pour la nomination de ses ministres qui les engage notamment à la transparence et à rejeter toute forme de clientélisme ou d’usage d’avantages liés à leur fonction à des fins personnelles.

Mais, pour le parti islamiste, l’exercice du pouvoir est une épreuve d’équilibre. Il doit satisfaire sa base sociale par des mesures en résonance avec une identité politique construite sur la référence à l’islam et à ses valeurs, sans transgresser les limites du domaine réservé du roi, commandeur des croyants. En outre, le PJD ne pèse pas suffisamment pour l’emporter sur les composantes libérales moins conservatrices de la société.

Démocratie en panne

Les contraintes économiques l’obligent à séculariser son discours et sa pratique, jusqu’à devoir prendre des mesures impopulaires, comme l’augmentation du prix de l’essence ou la fin de la gratuité systématique de l’inscription à l’université, qui touchent de plein fouet la classe moyenne... Un grand écart permanent dans lequel le plus grand risque qu’il court, en définitive, est de devenir un parti politique comme les autres en perdant sa fonction tribunitienne.

Zoom Les touristes ne viennent plus

De 2011 à 2012, le taux de croissance de l’économie marocaine a reculé de 5 % à 2,4 %. Or les islamistes du PJD tablaient sur 7 % pour mener à bien leurs réformes socio-économiques. Les recettes du tourisme international, qui représentaient encore 6,8 % du PIB en 2010, sont tombées à 2 % pour 2012. Aux chocs externes s’ajoutent les difficultés internes, comme la sécheresse qui frappe de plein fouet l’agriculture, alors qu’elle représente encore 15 % de la valeur ajoutée du pays.

Les échecs répétés du PJD à mener à bien des réformes religieuses et identitaires pourraient susciter de graves dissensions internes, jusqu’à l’éclatement du parti qui, fragilisé par les difficultés économiques et la monarchie, n’aura été que l’instrument d’une démocratisation de façade.

Évolution du taux de chômage au Maroc de 1999 à 2011 (en % de la population active)

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