Une France bio à 3,8 %

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La part de surfaces agricoles cultivées sans pesticides et engrais chimiques est encore largement minoritaire. Et elle risque bien de le rester. Pourtant, une France entièrement bio, c'est possible !

En mai 2013, Stéphane Le Foll, le ministre de l’agriculture, a présenté son programme "Ambition bio". Objectif, moyennant une enveloppe de 160 millions d’euros annuels : doubler d’ici à 2020 le nombre d’hectares de cultures bio. D’autant que la demande des consommateurs est en pleine croissance. Leurs achats sont passés de 2,1 milliards à 4,2 milliards d’euros entre 2007 et 2012, mais ils sont couverts à 25 % par les importations. Aujourd’hui, le bio ne représente que 24 400 exploitations (4,7 % de l’ensemble) cultivant un million d’hectares (3,8 % de la surface agricole utile).

La ferme France ambitionne donc d’atteindre 8 % des superficies cultivées. Mais ne serait-il pas possible d’arriver à 100 %, sans remettre en cause la sécurité alimentaire du pays ? "Si, à condition de nous fixer un délai d’une trentaine d’années et de nous en donner les moyens. Nous exporterions certes moins de blé ou de poudre de lait, mais cela pourrait être compensé par davantage de produits à valeur ajoutée. Et nous importerions moins de soja pour nourrir le bétail grâce au développement des cultures fourragères. Au final, la France pourrait être gagnante", assure Marc Dufumier, agronome et professeur émérite à AgroParisTech.

Moins bons rendements ?

Première condition, pour passer à une agriculture intégralement bio : lever les freins techniques afin de limiter les baisses de rendements. La conversion au bio se traduit en effet, dans un premier temps, par une baisse de la production à l’hectare. Elle va de 40 % pour les céréales à 3 % pour les fruits et légumes, en passant par 20 % pour le lait ou 11 % pour les oléagineux. Mais cet écart est en réalité très variable selon les études et les années considérées. "La vérité est que nous manquons de données. Tous les essais conduits actuellement consistent à comparer ce qui ne l’est pas. D’un côté, des rendements obtenus avec des semences dont le potentiel s’exprime grâce aux produits chimiques. De l’autre, des rendements atteints par ces mêmes variétés, mais sans recours à ces apports. En définitive, ces études démontrent surtout que l’agriculture biologique, ce n’est pas l’agriculture conventionnelle moins la chimie", ironise l’agronome Jacques Caplat.

C’est en effet un changement complet de manière de produire. "Il faut effectuer une rotation des cultures, jouer sur la complémentarité des variétés pour bénéficier des caractéristiques agronomiques de chacune. Certaines plantes attirent les insectes qui ne vont donc pas sur les cultures principales, d’autres apportent du fait de leurs racines profondes davantage de nutriments", illustre Marc Dufumier. Il faut aussi réintroduire l’élevage dans des régions où il n’y en a plus, comme la Beauce, afin de fertiliser les champs. Et inversement, faire revenir la polyculture dans les zones où l’on a concentré l’élevage, comme la Bretagne. Les agriculteurs devront également utiliser des variétés plus rustiques, plus résistantes aux maladies. Or elles ont aujourd’hui quasiment disparu. "Il faut du temps pour reconstituer ces ressources", ajoute l’enseignant, critiquant les faibles sommes consacrées par la recherche agronomique pour étudier la manière de rendre le bio plus performant.

Qui va payer ?

Autre défi de taille : desserrer les contraintes économiques. Même si les agriculteurs bio font des économies en ne recourant pas aux pesticides et autres insecticides, cette forme d’agriculture est beaucoup plus intensive en travail humain et ses coûts de production sont par conséquent supérieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle. Les prix au producteur sont certes beaucoup plus élevés - une étude publiée en 2013 par FranceAgriMer montrent pas exemple qu’ils sont le double pour le blé meunier1 - mais ils restent insuffisamment rémunérateurs pour couvrir le surcroît de travail. Augmenter les volumes en exploitant de nouveaux marchés, comme la restauration collective, et en structurant de véritables filières du champ à l’assiette, permettrait de diminuer les coûts de production. Mais cela ne saurait suffire pour effacer totalement l’écart avec l’agriculture standard. En clair, produire bio reviendra toujours un peu plus cher pour le consommateur. La dernière enquête publiée par l’Agence Bio, montre cependant que manger bio ne se traduit pas forcément par une envolée des dépenses si les consommateurs modifient leur comportement alimentaire, en achetant des produits de saison ou en limitant les gaspillages2. Reste que le prix est dissuasif pour les catégories les plus modestes. "Vouloir convertir la ferme France au bio nécessite de réorienter les aides de la PAC vers les agriculteurs biologiques pour couvrir les coûts de main-d’oeuvre et inciter les agriculteurs conventionnels à s’engager dans ces démarches", conclut Marc Dufumier.

Zoom À l’est, le (faux) bio

Depuis dix ans, le bio, soutenu par les gouvernements, a le vent en poupe en Europe centrale et orientale. Les surfaces cultivées ont été multipliées par plus de cinq et ces pays représentent à eux seuls 18 % des terres bio de l’Union européenne... Si la Pologne et la République tchèque caracolent en tête, la Hongrie et la Roumanie mettent elles aussi les bouchées doubles. Dans ces pays où le marché local est quasiment inexistant - les produits bio représentent par exemple 0,3 % des produits alimentaires en Hongrie -, l’essentiel de la production est exporté vers l’ouest européen. Principales cibles : l’Allemagne, premier marché bio qui pèse 7,5 milliards d’euros, l’Autriche, champion européen avec plus de 20 % de sa surface agricole convertie au bio mais où le nombre de producteurs stagne depuis plusieurs années, la Suisse ou encore les Pays-Bas. Une expansion qui ne va pas sans poser de problèmes : les coûts de production étant moindres chez les nouveaux États membres - bas salaires obligent -, la concurrence est sévère et quelquefois déloyale. Car les produits bio ne sont pas toujours certifiés et la traçabilité bien assurée...

La dernière réforme de la PAC couvrant les années 2014 à 2020 n’a cependant pas bouleversé fondamentalement la philosophie de la distribution des aides européennes (lire p. 20). Quant au budget dédié à l’agriculture biologique, il devrait certes doubler mais compte tenu des montants - 1 % de l’enveloppe globale -, cette mesure aura peu d’effets. "Comme les rendements en bio sont moindres, nous percevons en moyenne 70 % des montants versés aux agriculteurs conventionnels. C’est d’autant plus injuste que la PAC ne prend que partiellement en compte les effets positifs de notre mode de production sur l’environnement ou sur le développement plus équilibré des territoires", rappelle Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB).

Convertir l’ensemble de la ferme France à l’agriculture bio ne supposerait pas seulement que les Vingt-Huit s’entendent pour modifier les règles du jeu des aides de la PAC. Il faudrait aussi, pendant une période transitoire, rétablir une protection aux frontières sur les importations de soja destiné à l’alimentation animale. Ce qui impliquerait aussi de s’attaquer aux règles de l’OMC. Un chemin parsemé d’embûches...

  • 1. Les prix payés aux producteurs en agriculture biologique France AgriMer
  • 2. Baromètre de consommation et de perception des produits biologiques en France [agencebio.org]

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