Manger sain pour pas cher, ça s’apprend
À Marseille, une équipe de chercheurs suit des habitants des quartiers défavorisés dans leurs courses pour les aider à démêler le faux du
Alors, quel pain de mie préférez-vous ? Le A, le B ou le C ?" Christophe Dubois note les réponses des quatre participants à l’atelier Opticourses. "Deux ont choisi le A, celui de la marque Carrefour ; un, le B, le Harry’s ; et un, le C, le premier prix", dévoile le nutritionniste. Au menu également de cette dégustation à l’aveugle organisée dans un quartier populaire de Marseille : du lait, de l’emmental et du jus d’orange. Les résultats battent en brèche les idées reçues sur la supériorité présumée des produits vendus par les grandes marques : au palais, les dégustateurs ont beaucoup de mal à faire la différence. "Quand vous faites vos courses, n’hésitez pas à essayer les premiers prix et les marques distributeurs", débriefe Christophe Dubois. "Leurs qualités nutritionnelles sont équivalentes ; le goût aussi, très souvent."
Alimentation riche pour les pauvres
Cet atelier de deux heures est le quatrième auquel prennent part ces volontaires. Une dernière rencontre clôturera un cycle de trois mois. Au total, vingt groupes, composés de six à dix habitants des quartiers défavorisés de la métropole régionale, ayant tous pour point commun de connaître des difficultés financières (RSA, chômage de longue durée, etc.) et d’être responsables des achats alimentaires au sein de leur foyer, vont bénéficier de ce programme lancé en septembre 2012 par le laboratoire Nutrition, obésité et risque thrombotique de l’Inserm, l’Inra-Aix-Marseille Université et financé par l’Institut national du Cancer. Objectif de ce projet de recherche-action de deux années : "Aider les personnes précaires à optimiser le rapport entre la qualité nutritionnelle et le prix de leurs achats alimentaires", explique Nicole Darmon, sa responsable scientifique. Elle poursuit : "Plus le statut socio-économique des personnes est faible, moins leur alimentation est conforme aux recommandations pour prévenir les maladies chroniques telles que cancers, maladies cardio-vasculaires ou diabètes. Pourtant, les personnes défavorisées ont souvent une bonne connaissance des principes de base de la diététique, mais elles disent qu’elles n’ont pas les moyens de les appliquer. Les ateliers Opticourses s’inscrivent dans une démarche visant à aider ces populations à manger équilibré avec un petit budget." Au final, cette expérimentation grandeur nature devrait permettre à l’équipe de Nicole Darmon de définir un protocole-type de prévention nutritionnelle des maladies chroniques ciblant des personnes en difficulté financière, dont l’objectif est qu’il puisse être approprié et dupliqué ailleurs.
Bons plans de courses
L’équipe d’Opticourses intervient sur deux volets : l’offre alimentaire et la demande. Pour l’offre, elle a conclu un partenariat avec les supermarchés Dia. L’enseigne de hard discount alimentaire a mis en place une opération de promotion des produits ayant "une bonne qualité nutritionnelle et un bon prix" dans deux de ses magasins des quartiers Nord. Depuis la mi-janvier, des petits panneaux publicitaires "Manger Top" indiquent, en rayon, des produits sélectionnés par Opticourses : 160 références de légumes surgelés ou en conserve, boîtes de thon, produits laitiers, etc. Des affiches et des dépliants complètent la panoplie. "Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact sur les ventes de cette campagne, qui s’achèvera fin juin", précise Alexandra Benhamou, chez Dia. "Mais cela pourrait doper certaines références."
Côté demande, l’équipe Opticourses a mis en place les ateliers auxquels participent des volontaires. Les nutritionnistes y rafraîchissent leurs connaissances sur les différents groupes d’aliments ; proposent sur une liste de produits de bonne qualité nutritionnelle avec un prix de référence qui leur sert de repère au moment où ils font leurs courses ; favorisent les échanges de bons plans entre participants, etc. "Nous analysons aussi leur consommation sur la base de leurs achats réels", ajoute Nicole Darmon. Chacun doit en effet consigner, pendant un mois, tous ses achats dans un carnet et conserver ses tickets de caisse.
Difficile discipline
Aujourd’hui, après la dégustation, c’est justement le moment de la restitution individuelle. Christophe Dubois commence par Georges, 57 ans, célibataire. "Vous avez dépensé en moyenne 2,40 euros par jour pour votre alimentation. C’est très faible, vous devriez demander une aide alimentaire aux services sociaux." À moins de 3,50 euros par jour, il est en effet impossible, rappelle le nutritionniste, de respecter l’ensemble des recommandations nutritionnelles. "La viande et le poisson, c’est bien. Pareil pour les légumes secs. Par contre, il faudrait que vous essayiez d’augmenter vos achats de fruits et légumes et de diminuer les fromages et gâteaux."
La séance se termine par un premier bilan collectif. Sur les conseils des autres, Moina Salima, 45 ans, mère de trois enfants, s’est rendue dans un marché du centre-ville où les fruits et légumes sont moins chers qu’ailleurs. Siem, jeune maman de deux enfants, apprécie d’avoir appris à s’organiser... et donc à dépenser mieux. "Maintenant, je fais une liste des repas de la semaine, avant d’aller faire mes courses." Quant à Georges, il est conscient que "c’est important de rectifier le tir. Mais j’ai peur de vite retomber dans mes mauvaises habitudes." "Cela aurait été intéressant de revoir ces volontaires dans un an pour une session de rappel", confie Christophe Dubois. "Mais malheureusement, notre budget ne le permet pas." L’équipe Opticourses est en recherche de financements pour développer l’opération à Marseille... et ailleurs.