Slow food, les démonteurs de McDo
L'ouverture du premier fast-food au coeur de Rome a été l'élément déclencheur de leur révolte. Depuis, ces militants de la bonne bouffe ne jurent que par la qualité, la proximité et la convivialité.
Slow Food ? Au départ, une joyeuse bande de militants et intellectuels de gauche, amateurs de bonne bouffe et de convivialité, vivant non loin des Langhe, cette région d’Italie située entre Turin et la mer, connue pour ses vins - le fameux Barolo notamment - et sa tradition gastronomique. L’association, née en 1986, porte tout d’abord le nom d’Arcigola, en référence à l’Arci, un mouvement d’éducation populaire né dans les années 1950 et issu de la lutte contre le fascisme, et à la gola, la "gourmandise".
Alors qu’un premier McDonald’s ouvre à Rome, le mouvement s’affirme d’emblée en défenseur du patrimoine gastronomique mais aussi du plaisir de manger, en réaction contre l’industrialisation et l’uniformisation alimentaire. L’association porte à sa tête le journaliste, sociologue et critique gastronomique Carlo Petrini, devenu depuis l’icône du mouvement, et adopte le nom de Slowfood, dès 1989, appellation qui résume à elle seule tout son programme. En l’espace de deux décennies, Slowfood est devenue une organisation internationale, reconnue par la FAO. Son siège mondial demeure à Bra, au coeur du Piémont italien.
Slow Food, c’est donc d’abord le refus du fast-food, c’est-à-dire d’une nourriture standardisée, issue d’une agriculture intensive et industrialisée, conçue pour apporter un apport calorique maximum en un minimum de temps. À l’inverse, le mouvement milite en faveur d’une alimentation bonne, propre et juste, c’est-à-dire de qualité, respectueuse des traditions culinaires dans toute leur diversité, mais aussi des équilibres écologiques de la planète et des intérêts des paysans, au Nord comme au Sud. Au fond, une alimentation qui allie plaisir partagé et souci de développer des modes de production de nature à nourrir l’ensemble de la population de la planète et à permettre aux paysans de vivre dignement d’un travail et d’en tirer légitimement fierté.
Chaîne de qualité
La grande vertu de Slow Food est de prendre la question alimentaire par les deux bouts. Le mouvement rejette l’agronomie standard, qui a longtemps considéré et considère trop souvent encore, que nourrir la planète, c’est promouvoir des filières agroindustrielles où tout se compte en tonnes et en kilocalories produites, sans se préoccuper en aval de la qualité de ce qu’on produit, ni en amont, de la qualité de vie des paysans. Avec les dégâts que l’on sait. À l’inverse, Slow Food pense qu’il faut reconstruire le lien entre producteurs et consommateurs, défendre la diversité, les circuits courts (lire p. 66-67), et part de l’idée qu’on y parviendra en défendant le bien manger.
Parce qu’il s’intéresse d’abord à la qualité de la nourriture, à la défense des produits, qu’il s’agisse d’espèces animales ou végétales menacées, ou de modes de préparation en voie d’oubli, Slow Food est parfois accusée d’être un mouvement de bobos. De fait, ses adhérents se recrutent plutôt parmi les classes moyennes aisées, à côté de restaurateurs et de producteurs. Mais on peut dire la même chose de bien des associations ! Surtout, à la différence d’une gastronomie élitiste, voire marquée par une idéologie compétitive (les émissions de télévision de type Top chef ou Un dîner presque parfait), généralement peu préoccupée par les enjeux globaux, Slow Food pense depuis son origine la question alimentaire comme une question politique. La défense du bien manger, pour le mouvement, est donc à la fois un objectif et une méthode : on ne luttera pas efficacement contre les effets pervers de l’agroindustrie en termes écologiques, en termes de qualité de vie des paysans, qu’en convainquant d’abord les mangeurs, dès leur plus jeune âge, qu’ils ont tout à gagner à une alimentation de qualité.
Non au trépas du repas
Une alimentation de qualité, pour Slow Food, c’est à la fois ce qu’on mange, mais aussi la manière dont on le mange, tant il est vrai que manger, c’est non seulement satisfaire un besoin vital, mais aussi obéir à un ensemble de règles sociales et culturelles. À ce point de vue, le mouvement a bien intégré le message porté par les anthropologues de l’alimentation qui insistent dans leurs travaux sur la corrélation forte entre la façon dont on mange et ce qui est mangé (et, bien entendu, en amont, ce qui est produit). Ainsi, les pays où l’alimentation est la plus industrialisée - au premier chef les États-Unis - sont aussi ceux où l’on passe le moins de temps à manger, où l’on mange souvent seul, sans horaire fixe. Ce qui va de pair avec des aliments qui ne demandent aucune préparation, qui rassasient rapidement au goût standardisé, souvent trop salés, trop gras ou trop sucrés et qu’il n’est pas nécessaire de mastiquer longtemps. Inversement, les pays où l’on passe le plus de temps à table, à horaires fixes, en faisant du repas un moment de partage au-delà de la seule nourriture, sont aussi ceux où la malbouffe peine à s’étendre. On sourira en constatant que les deux pays où le mouvement compte le plus d’adhérents sont l’Italie et les États-Unis. Les seconds, en réaction au désastre que constitue l’alimentation américaine, la première parce qu’il vaut mieux prévenir que guérir. L’Italie est sans doute le pays qui résiste le mieux à la malbouffe, du fait d’une tradition culinaire simple, populaire et propre à chaque terroir, ancrée dans les habitudes sociales, très loin de l’élitisme bourgeois qui caractérise la "grande cuisine française".