Asile

Le pacte faustien de l’Union européenne sur les migrations

6 min

Après des années de déchirements, les Etats membres de l’Union européenne ont adopté un « pacte » qui va instaurer une « solidarité » à la carte entre Etats et aboutira à des détentions massives de demandeurs d’asile aux frontières de l’Union.

La migration et l’asile auront crispé les Européens jusqu’au bout. Les ministres de l’Intérieur avaient adopté, le 8 juin dernier, à la majorité qualifiée, une position commune relative à deux textes clés du « pacte sur la migration et l’asile ». Mais la Pologne et la Hongrie ont tenté, lors du sommet des dirigeants européens des 29 et 30 juin, de revenir sur cet accord, qu’ils abhorrent.

Il implique en effet une répartition de demandeurs d’asile entre Etats membres. Une obligation à laquelle les Etats pourront toutefois se soustraire, moyennant finances...

La migration et l’asile auront crispé les Européens jusqu’au bout. Les ministres de l’Intérieur avaient adopté, le 8 juin dernier, à la majorité qualifiée, une position commune relative à deux textes clés du « pacte sur la migration et l’asile ». Mais la Pologne et la Hongrie ont tenté, lors du sommet des dirigeants européens des 29 et 30 juin, de revenir sur cet accord, qu’ils abhorrent.

Il implique en effet une répartition de demandeurs d’asile entre Etats membres. Une obligation à laquelle les Etats pourront toutefois se soustraire, moyennant finances.

Cette tentative de dernière minute ayant échoué, le texte du 8 juin constitue désormais la position des Etats membres sur ce dossier très épineux, dans une Europe où les gouvernements de droite et d’extrême droite pèsent de tout leur poids.

C’est cette position qu’ils défendront dans leurs négociations avec le Parlement européen, qui pourraient durer encore plusieurs mois. Une fois adoptés et publiés au Journal officiel, les règlements seront directement transposables dans les Etats membres1.

Cet accord a été qualifié – un peu vite – « d’historique » par Maria Malmer Stenergard, ministre suédoise en charge des Questions migratoires, parce qu’il sort de l’impasse les Etats membres, bloqués depuis 2015 sur une réforme des règles d’asile et de migration.

L’idée de réviser la plupart des textes dans ce domaine, au travers d’un grand « pacte », est née au pic de l’arrivée de centaines de milliers de réfugiés syriens en Europe.

En 2016, la Commission européenne proposait une série de règlements sur lesquels les Etats membres ont vite achoppé. L’exécutif bruxellois a relancé la machine en 2020, dégainant de nouvelles propositions, qui ont déclenché de nouveaux bras de fer entre gouvernements.

Trois groupes d’Etats aux intérêts divergents

Trois grands groupes d’Etats s’affrontent sur ce sujet depuis 2015. D’un côté, les pays méditerranéens – Italie, Espagne, Grèce, Chypre et Malte –, qui remettent en cause le règlement Dublin selon lequel le premier pays européen traversé par un demandeur d’asile est responsable de l’examen de sa demande. Vu leur position géographique, ce règlement fait peser sur leurs épaules l’accueil de nombreux exilés. En l’absence de réforme du règlement Dublin, ces Etats réclament un système de « solidarité » entre Etats, donc de répartition des aspirants au statut de réfugié.

Du côté des pays de l’Est, Pologne et Hongrie en tête, l’idée d’accueillir des demandeurs d’asile répartis depuis l’Italie ou la Grèce est une ligne rouge absolue.

Enfin, les pays du nord et de l’ouest de l’Europe, dont la France, la Belgique ou les Scandinaves, veulent à tout prix éviter les « mouvements secondaires », c’est-à-dire les flux de demandeurs d’asile qui quittent la Grèce, l’Italie, la Bulgarie, pour venir sur leur territoire. Ce groupe tient fermement au règlement Dublin, quitte à offrir quelques concessions en termes de « relocalisation », donc de répartition d’une partie des demandeurs d’asile.

Une solidarité à la carte

Le 8 juin, les 27 ont en partie dépassé leurs divergences, à l’exception de la Pologne et de la Hongrie qui ont voté contre, et de Malte, de la Lituanie, de la Bulgarie et de la Slovaquie qui se sont abstenus.

« Certes, les Etats membres n’ont pas réformé le règlement Dublin, mais ils tentent de compenser la répartition inéquitable des demandeurs d’asile issue de ce règlement en instaurant un mécanisme de solidarité », explique Philippe De Bruycker, professeur à l’université libre de Bruxelles.

Selon le mécanisme de solidarité, 30 000 demandeurs d’asile arrivés aux frontières de l’Europe seraient répartis dans les autres Etats membres chaque année

Selon ce mécanisme, au moins 30 000 demandeurs d’asile arrivés aux frontières de l’Europe seraient répartis dans les autres Etats membres chaque année.

Ces derniers pourront néanmoins refuser ces relocalisations, soit en « renforçant les capacités » des Etats de premier accueil – en envoyant du personnel, par exemple –, soit en s’acquittant de 20 000 euros par demandeur d’asile non accueilli. Voilà pour le côté « à la carte ».

Pour Sylvie Guillaume, députée européenne socialiste, « cette négociation de marchands de tapis où l’on met une valeur par être humain est philosophiquement choquante. Fondamentalement, l’équilibre entre solidarité et responsabilité n’est pas atteint ».

La multiplication des centres de détention

En réalité, si le pacte est historique, c’est aussi en raison de la généralisation inédite de « procédures frontières » visant à déterminer si une demande d’asile est recevable ou non, et pendant lesquelles le demandeur d’asile ne sera pas autorisé à pénétrer sur le territoire de l’Union.

De ce point de vue, avec l’accord du 8 juin, la « responsabilité » de l’accueil des demandeurs d’asile incombera en réalité encore plus aux pays méridionaux de l’Europe, par la multiplication de ces procédures. Express – douze semaines maximum –, elles « rendront plus difficile l’accès aux droits, par exemple à un conseil légal, ou à un recours suspensif », regrette Catherine Woollard, directrice de l’ONG ECRE (Conseil européen pour les réfugiés et exilés). Les familles avec enfants n’en seront pas exemptées.

Contrairement au Parlement européen, les Etats veulent instaurer ces « procédures frontières » et les rendre obligatoires dans une série de cas, par exemple lorsqu’un demandeur d’asile possède une nationalité dont le taux de reconnaissance du statut de réfugié est inférieur à 20 %.

« Le système d’asile sera plus dur et va engendrer plus de souffrance »Catherine Woollard, directrice de l’ONG ECRE

Des procédures d’asile accélérées existent déjà en Europe, mais avec ces nouvelles mesures, elles se généralisent et se durcissent. « Cette procédure de seconde zone va s’accompagner d’un recours quasi-systématique à des détentions à la frontière, ajoute la directrice d’ECRE. Le système d’asile sera plus dur et va engendrer plus de souffrance. »

Ces procédures rapides dans des centres fermés seront la pierre angulaire de la nouvelle architecture de l’asile européen.

Fabienne Keller est rapporteure au nom du groupe Renew (libéraux et parti macroniste Renaissance) du texte « instaurant une procédure commune ». Selon elle, le nouveau régime commun d’asile sera « plus rapide et efficace, même s’il faut que sa mise en place s’accompagne de contre-pouvoirs, d’un contrôle du respect des droits fondamentaux tout au long de la procédure, notamment dans les lieux de détention ».

Les Etats membres se sont fixé un objectif chiffré : ils devront examiner 30 000 dossiers « frontières » au minimum, lors de l’entrée en vigueur du texte, jusqu’à atteindre, deux ans plus tard, le nombre de 120 000 procédures frontières par an.

« On se demande si les Etats du Sud vont mettre les moyens humains et matériels pour que cela fonctionne, analyse Philippe De Bruycker. Ces procédures sont la clé de voûte du système. Si cela ne fonctionne pas, rien ne va fonctionner dans le régime d’asile européen. »

Quant à Sylvie Guillaume, elle déplore « ce rabougrissement de l’Union européenne, ces textes qui vont encore accroître la dangerosité des mouvements migratoires ».

  • 1. Le « pacte » comprend des textes en attente, pour lesquels le Parlement ou le Conseil n’ont pas encore trouvé d’accord sur leur position.

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Commentaires (1)
Gourou51 29/07/2023
En clair il faut accueillir les immigrés mais c'est mieux quand c'est chez les autres! Vu l'état de l'endettement en France nous aurons du mal à payer 20.000 euros pour refuser un migrant. On se demande comment cette somme a été calculée?
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