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Le Parlement européen vote pour un vrai devoir de vigilance des entreprises

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Les eurodéputés ont adopté un texte qui obligerait les entreprises à prévenir les atteintes à l’environnement et aux droits humains. Mais le Conseil pourrait édulcorer la proposition.

Dix ans après l’effondrement du Rana Plaza et ses 1 138 morts, le Parlement européen franchit une étape cruciale vers l’instauration d’un « devoir de vigilance des entreprises ». Jeudi 1er juin, en séance plénière, les députés ont fixé leur position en amendant substantiellement la proposition initiale de la Commission européenne, présentée en février 2022. Ils se sont dotés d’une base solide avant d’entamer les négociations face au Conseil de l’Union européenne, l’institution qui représente les exécutifs des Etats membres.

Pour Manon Aubry, négociatrice au nom du groupe La Gauche au Parlement européen, « c’est une immense victoire ». « Les entreprises les plus cupides ne pourront plus fermer les yeux sur les dommages qu’elles infligent...

Dix ans après l’effondrement du Rana Plaza et ses 1 138 morts, le Parlement européen franchit une étape cruciale vers l’instauration d’un « devoir de vigilance des entreprises ». Jeudi 1er juin, en séance plénière, les députés ont fixé leur position en amendant substantiellement la proposition initiale de la Commission européenne, présentée en février 2022. Ils se sont dotés d’une base solide avant d’entamer les négociations face au Conseil de l’Union européenne, l’institution qui représente les exécutifs des Etats membres.

Pour Manon Aubry, négociatrice au nom du groupe La Gauche au Parlement européen, « c’est une immense victoire ». « Les entreprises les plus cupides ne pourront plus fermer les yeux sur les dommages qu’elles infligent à l’environnement ou aux droits humains », a lancé Lara Wolters, eurodéputée néerlandaise du groupe des Socialistes et démocrates, rapporteure pour le Parlement européen.

Le soulagement est tangible du côté des députés négociateurs du texte. Jusqu’à la dernière minute, l’attitude de la droite européenne laissait planer le doute quant à l’issue du vote. Des députés du Parti populaire européen (PPE), réunis derrière l’Allemande Angelika Niebler, avec l’appui de Manfred Weber, président du parti, ont tenté de vider le texte de sa substance en glissant des amendements de dernière minute.

Mais le négociateur du texte pour le PPE, l’Allemand Axel Voss, a tenu bon. Il a défendu le compromis auquel il était parvenu avec les autres groupes politiques – de La Gauche au centre de Renew – entraînant avec lui une partie des élus de son groupe. La division de la droite n’a donc pas fait capoter le compromis, salué par les ONG et les syndicats comme un progrès pour les droits des travailleurs et pour l’environnement.

« L’objectif du texte est de protéger les victimes tout au long de la chaîne de valeur des grands groupes, rappelle Isabelle Schömann, secrétaire confédérale de la Confédération européenne des syndicats (CES). Malgré des engagements volontaires, on constate que certaines entreprises cherchent toujours à privilégier la baisse des coûts au prix de violations des droits humains ou de l’environnement. Il est donc temps de sortir des incitations et de passer aux obligations. »

La responsabilité des entreprises engagée

Ce texte, s’il était adopté tel, comporterait bel et bien des obligations pour les entreprises, en tout cas celles comptant de plus de 250 salariés et dont le chiffre d’affaires s’élève au moins à 40 millions d’euros. Celles-ci devront « identifier, prévenir, faire cesser ou atténuer » les impacts négatifs de leurs activités sur les droits humains et l’environnement, et ce, tout au long de leur chaîne de valeur, y compris pendant le transport, le stockage, la distribution de leurs produits, jusqu’à la vente de ceux-ci.

Elles devront élaborer un code de conduite en matière de vigilance, ainsi qu’un plan de vigilance et un plan de transition, comportant des objectifs précis pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré. Les « incidences négatives » réelles ou potentielles sur les droits humains et l’environnement devront être recensées ainsi que les actions pour y remédier. Ces plans devront être élaborés en concertation avec les syndicats et d’autres parties prenantes, comme les ONG.

Des victimes de violations des droits fondamentaux pourront se tourner vers les tribunaux européens

Les entreprises engageront leur responsabilité dans ce processus. D’abord leur responsabilité civile. Des victimes de violations des droits fondamentaux, listés dans la directive, ou de dégradations de l’environnement, pourront se tourner vers les tribunaux européens et demander réparation, même si ces violations sont intervenues au bout du monde, dans les méandres tortueux de la chaîne de sous-traitance.

Les ONG avaient milité pour que les plaignants, qui souvent manquent de ressources, n’aient pas à démontrer la responsabilité de l’entreprise quant à la violation de leurs droits, mais qu’à la place, ce soient aux entreprises de prouver qu’un manque de vigilance de leur part n’est pas à l’origine des dommages. Cette inversion de la charge de la preuve ne figure pas dans le rapport des députés.

« Mais le texte reste très positif, nuance Marion Lupin de European coalition for corporate justice (ECCCJ). Les députés ont voté en faveur d’un texte qui faciliterait l’accès à la justice des victimes, notamment par une assistance financière tout en leur permettant de mandater des syndicats ou ONG pour agir en leur nom. »

Le patronat mécontent

Les grandes entreprises seront ensuite soumises à des contrôles des autorités nationales. Et si elles se détournent de leurs obligations, différents types de sanctions administratives pourraient leur être appliqués, comme le retrait de produits du marché ou des sanctions pécuniaires d’au moins 5 % de leur chiffre d’affaires mondial.

Pour l’organisation patronale Business Europe, cette disposition est considérée comme « de nature purement punitive », alors que les ONG saluent, au contraire, son effet dissuasif.

De manière générale, le compromis dégagé par les députés n’a pas l’heur de plaire aux patrons européens. C’est par exemple le cas des articles qui concernent les « devoirs des directeurs ». Les députés proposent qu’une partie de la rémunération variable des directeurs et administrateurs soit directement liée à la concrétisation des plans de transition climatique. Un ajout qui a fait l’objet de nombreuses passes d’armes en coulisse.

« Ce type de disposition n’est pas nécessaire dans un texte européen, regrette Pedro Oliveira, de Business Europe. Les directeurs assument déjà des responsabilités lorsqu’on parle de climat. Ils doivent respecter un ensemble de règles relatives à l’environnement. Cette directive donne parfois l’impression qu’on veut régler tous les problèmes du monde en un seul texte. »

Les négociations continuent

Du côté de Business Europe, l’inclination porte plutôt du côté du Conseil de l’Union européenne, dont la position diffère considérablement de celle du Parlement. Malgré ce grand écart, Conseil et Parlement devront trouver un terrain d’entente, avec la Commission européenne au centre, pour qu’un texte voie le jour et soit transposé par les Vingt-sept.

« Non, les trilogues ne vont pas être faciles, confirme Manon Aubry. Qu’il s’agisse d’accès à la justice, de sanctions financières, du droit des victimes à être représentées par des ONG ou des syndicats, les différences sont notables. »

Le Conseil propose par exemple de réduire le champ d’application du devoir de vigilance dans le domaine environnemental. Il soutient également l’exemption d’une vaste partie du secteur financier des obligations liées à cette directive, répondant ainsi à une demande française, comme l’ont laissé entendre plusieurs médias européens.

Beaucoup espèrent qu’un accord sera trouvé avant les élections européennes de juin 2024. Les enjeux sont loin d’être anodins. Comme l’affirmait Lara Wolters, le 31 mai, en séance plénière, « cette législation définit comment nous voyons le commerce à l’avenir. Cette loi est cruciale pour les victimes, mais aussi pour les entreprises qui veulent de la prévisibilité. Nous devons aller dans le sens d’un monde plus juste. »

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Commentaires (4)
FERNANDO FRANCO 03/06/2023
La naïveté de ces messages nous racconte l'histoire des croyances humaines et après deux siècles de science nous en sommes toujours à être pris pour des imbéciles. Ne sait-on pas, de victimes perpétuelles de nos institutions, que les entreprises n'ont guère de soucis sociaux ou environnementaux? Y a-t-il des dividendes à retirer des ces soucis quand la concurrence s'acharne sur le moindre coût? Cette UE ressemble de plus en plus à une association philanthropique pour les...Premiers de cordée
Boostaldo 03/06/2023
On s’attend à une « macronade » de bon aloi!
Boostaldo 03/06/2023
On s’attend à une « macronade » de bon aloi!
JEAN-PIERRE VEROLLET 02/06/2023
Ce vote intervient trop tard pour empécher la fermeture de Fessenheim! Elle a pourtant toutes les caractéristiques des nuisances visées qui seront condamnables: au moins l'augmentation brutale de la production de CO² et la destruction arbitraire d'emplois non compensée. Dans cette énorme obsolescence programmée, qui est coupable? qui devra rembourser les conséquences négatives? qui s'engage à ne pas recommencer pareille erreur? Dans l'assemblée, qui a joué hypocritement double jeu?
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