Opinion

En Afrique, des médicaments qui tuent

7 min
Pierre Jacquemot Economiste, ancien diplomate, expert à la Fondation Jean-Jaurès

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un médicament sur dix dans le monde est une contrefaçon. En Afrique, ce chiffre monte à sept médicaments sur dix. Sept chefs d’Etats africains (Togo, Congo-Brazzaville, Ghana, Gambie, Niger, Ouganda, Sénégal) se sont réunis le 18 janvier, pour signer l’initiative de Lomé, un accord international criminalisant le trafic de faux médicaments. Son objectif est d’inciter les Etats à apporter une « réponse collective à cette crise panafricaine », avec une législation pour condamner pénalement ce trafic et en renforçant les services de détection et de répression.

Jusqu’à présent, seuls quatre Etats (le Bénin, le Burkina Faso, le Maroc et la Guinée) ont ratifié la convention internationale Medicrime, le mécanisme international criminalisant le trafic de faux médicaments. Dans la plupart des autres pays africains, ce trafic est considéré comme un simple délit de contrefaçon, les peines n’étant tout au plus que de quelques mois d’emprisonnement.

Une dangerosité avérée

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Il existe trois types de médicaments contrefaits : les produits contenant les bons principes actifs mais sous-dosés ou sur-dosés, sans respect des normes de qualité, ceux ne contenant aucun principe actif, et enfin ceux contenant des impuretés et d’autres principes actifs que ceux annoncés.

La fabrication de médicaments contrefaits nécessite peu de moyens logistiques

La fabrication de médicaments nécessite peu de moyens logistiques. Un espace restreint suffit. Et pour le séchage, les comprimés sont directement exposés sur la route en plein soleil ou dans des étuves artisanales. Les chaînes de fabrications clandestines sont installées en Chine – qui fournit pour 60 % des médicaments contrefaits d’après l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) –, mais aussi en Inde, au Paraguay, Pakistan, Royaume-Uni, et en Afrique, principalement au Nigeria. Elles copient l’habillage des produits pharmaceutiques en falsifiant le contenu moléculaire. La nature et l’origine indiquées sur l’étiquette sont totalement mensongères.

Un spectre large

Ces faux médicaments couvrent tout le spectre médical. Ils incluent les antibiotiques, les antipaludéens, les hormones et les stéroïdes. Nombre de médicaments anticancéreux et antiviraux sont également contrefaits. Les faussaires prennent des ingrédients inertes, tels que la craie et même des substances chimiques dangereuses, et les emballent de façon convaincante pour tromper l’acheteur.

Les faussaires prennent des ingrédients inertes tels que la craie et même des substances chimiques dangereuses

La dangerosité de ces produits contrefaits tient à ce que, dénués de principe actif, ils peuvent contenir des substances toxiques. Au mieux ils entraînent l’échec thérapeutique, au pire la mort par empoisonnement ou déclenchement d’une résistance aux effets des bons traitements. Tel est le cas des médicaments à base d’artémisinine, la principale molécule antipaludique, vendus avec des qualités inférieures ou falsifiés.

Empruntant des circuits transfrontières parallèles à ceux de la drogue, ils sont vendus de façon illicite, sur les grands marchés d’Abidjan, Dakar, Lomé ou Lagos, dans les « pharmacies trottoirs », sur des étals en plein air aux côtés de fruits et légumes, mais aussi dans les réseaux officiels de distribution ou, de plus en plus, sur Internet.

Une activité très lucrative

Les médicaments contrefaits échappent à la traçabilité et au contrôle de qualité. Leur provenance, leur état de conservation, le manque de formation des vendeurs exposent les consommateurs à un risque parfois mortel, mais la faiblesse des revenus de la population pousse à l’automédication qui favorise ce marché.

Un investissement de 1 000 dollars peut générer 500 000 dollars de profits, plus rentable que pour la majorité des stupéfiants

L’attractivité du continent africain pour les trafiquants réside dans la taille de son marché (2 milliards d’euros estimés en 2016 pour un marché mondial à plus de 955 milliards d’euros), mais également dans sa croissance rapide estimée à 10 % par an entre 2010 et 2020. La Fédération internationale de l’industrie du médicament (FIIM) estime qu’un investissement de 1 000 dollars peut générer 500 000 dollars de profits. De son côté, l’Institut de recherche anticontrefaçons de médicaments (Iracm) parvient à des résultats voisins : pour 1 000 euros d’investissement, les bénéfices s’élèvent entre 200 000 et 400 000 euros. Ce qui rend les faux médicaments plus rentables que la majorité des stupéfiants, dix fois plus que le trafic d’héroïne. Ces activités illégales sont souvent liées à d’autres formes de criminalité.

Des actions répressives

L’OMS et le Conseil de l’Europe ont engagé diverses actions d’information pour trouver des solutions contre cette « épidémie silencieuse » de faux médicaments. L’appel de Cotonou, lancé en 2009 par la Fondation Chirac, a eu pour objectif d’aboutir à l’établissement d’une convention internationale visant à criminaliser ce fléau et au lancement de l’initiative Fight the Fakes et de la campagne « Le médicament de la rue tue ».

Le Nigeria est l’une des plaques tournantes de la contrefaçon

Au Nigeria, la méthode employée par la National Agency for Food and Drug Administration and Control a emprunté plusieurs voies : contrôle aux frontières, répressions contre les officines illégales, promotion des médicaments génériques. Le tiers des 126 millions de faux médicaments saisis en 2016 dans seize ports africains lors d’une opération de l’Organisation mondiale des douanes était destiné au géant nigérian. D’autres plaques tournantes de ce trafic ont été démantelées, comme en 2017 le marché Adjégounlè installé au cœur du marché international Dantokpa à Cotonou, qui était naguère réservé au commerce illicite de médicaments. A Lomé, en juillet 2018, 70 tonnes de produits ont été brûlées. Quelques mois plus tard à Abidjan, une saisie record de 200 tonnes a été réalisée par la gendarmerie ivoirienne.

L’innovation contre la contrefaçon

Pour améliorer les contrôles, des innovations sont apparues, fruit de l’intelligence de jeunes ingénieurs. Ainsi, pour certains médicaments, la Nafdaq, l’agence publique en charge de la réglementation des médicaments au Nigeria, impose une identification par smartphone, grâce à des codes-barres à gratter sur les boîtes vendues en pharmacie. Le client envoie par texto le numéro dévoilé à la Nafdaq, qui lui confirme si le médicament sort d’un laboratoire homologué ou non. Une jeune pousse qui se présente comme le « Google du médicament », RxAll, a créé un scanner qui analyse en 20 secondes la molécule, permettant au pharmacien de distinguer le vrai du faux. En cinq ans, l’innovation s’est implantée dans treize pays.

Pour certains médicaments, l’agence publique en charge de la réglementation des médicaments au Nigeria, impose une identification par smartphone

La réponse réside aussi dans une nouvelle politique de santé, comme celle en faveur des médicaments essentiels adoptée par plusieurs Etats. Une liste d’environ 250 médicaments, désignés par leur dénomination commune internationale, est fixée sur la base de la prévalence et de la gravité des maladies et de considérations de coût-efficacité. Ces médicaments peuvent être acquis auprès de centrales d’achat, à des prix bas. De plus, le stockage et le conditionnement de 250 médicaments coûtent beaucoup moins cher et occasionnent des pertes de péremption moins importantes que le stockage de 2 000 ou 3 000 médicaments.

Le recours aux génériques

Le recours aux médicaments sous nom générique s’est aussi imposé en Afrique. Ces médicaments, dont la liste va de 30 à 150 molécules, ne sont plus protégés par des brevets et peuvent être fabriqués ou acquis à des prix très inférieurs à ceux des spécialités correspondantes. Ils sont obtenus par appels d’offres internationaux. Beaucoup sont importés du Brésil et surtout de l’Inde, mais d’autres sont fabriqués en Afrique ou plus de 300 entreprises pharmaceutiques disposent aujourd’hui d’usines de production et sont actives à la fois dans la fabrication de médicaments et dans les essais cliniques.

En Afrique, plus de 300 entreprises pharmaceutiques produisent des génériques

Ainsi Aspen Pharmacare, sise en Afrique du Sud, est la plus grande entreprise de médicaments génériques en Afrique mais également l’une des dix premières mondiales. Une capacité importante de production est actuellement en développement en Tanzanie, au Kenya, en Ouganda, en Ethiopie, au Ghana, au Nigeria et au Mozambique.

Les faux médicaments seraient responsables de 100 000 morts par an en Afrique. Tous les moyens de lutte contre ce fléau doivent être encouragés.

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