Agriculture

Les plantes sauvages victimes de leur nouveau pouvoir d’attraction

7 min

La pression augmente sur certaines plantes sauvages face à l’engouement pour leur cueillette. Des initiatives fleurissent pour tenter d’assurer la pérennité de la ressource.

Reine-des-prés, ail des ours, bourgeon de hêtre...En tisane, en soin, dans les cosmétiques ou encore dans nos assiettes, les plantes sauvages, souvent perçues comme des ingrédients sains et authentiques, ont la cote. Le phénomène est mondial.

Selon un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la demande mondiale pour les ingrédients issus de végétaux sauvages a connu une hausse de 75 % en valeur entre 2000 et 2020… 

Reine-des-prés, ail des ours, bourgeon de hêtre...En tisane, en soin, dans les cosmétiques ou encore dans nos assiettes, les plantes sauvages, souvent perçues comme des ingrédients sains et authentiques, ont la cote. Le phénomène est mondial.

Selon un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la demande mondiale pour les ingrédients issus de végétaux sauvages a connu une hausse de 75 % en valeur entre 2000 et 2020. En France, la cueillette de ces végétaux à des fins de commercialisation se développe également, même s’il est difficile d’évaluer le nombre de personnes la pratiquant.

« On estime que les cueilleurs sont entre 1 000 et 1 500 mais leur nombre a augmenté de façon importante ces 5 à 10 dernières années avec l’arrivée à la campagne de profils relativement jeunes, les néoruraux du XXIe siècle. Ces personnes ne bénéficient pas d’une transmission foncière mais ont envie d’une activité en proximité avec la nature, veulent s’investir dans la transition écologique, et vivre correctement de ce métier », explique Florence Pinton, professeure de sociologie à AgroParisTech.

La cueillette en amateur semble aussi avoir le vent en poupe et un peu partout fleurissent des animations pour découvrir la flore sauvage. De quoi s’interroger sur l’impact de cette tendance.

Selon le rapport de la FAO, parmi les 21 % de plantes aromatiques et médicinales ayant fait l’objet d’une évaluation, 9 % sont menacées d’extinction. En France, où environ 700 espèces feraient l’objet de cueillettes commerciales, l’inquiétude concerne surtout la gentiane jaune et l’arnica des montagnes. Bien sûr, la cueillette n’est pas la seule responsable de cette pression : changement climatique et destruction des milieux naturels accentuent la difficulté.

« Ce n’est jamais seulement la surcueillette qui est en cause. Les plantes sauvages souffrent de l’érosion de la biodiversité liée à la pollution, au changement de pratiques agricoles et à l’expansion urbaine notamment », souligne ainsi Raphaële Garreta, ethnologue au conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées (CBNPMP).

Cet aspect multifactoriel ne signifie pas que la cueillette est exempte de responsabilités. Avec l’augmentation de la demande et des gains potentiels, des pratiques de cueillette peu compatibles avec la préservation des ressources sont constatées. Ces « pillages », dénoncés par certains cueilleurs, seraient surtout le fait de « collecteurs », c’est-à-dire des entreprises qui centralisent les récoltes ou montent des équipes de ramasseurs venus parfois de l’étranger.

« Certains font travailler pour une misère des gens qui ne connaissent ni la plante, ni le milieu. Ils cueillent à tout-va et proposent ensuite des prix au ras des pâquerettes », déplore William Marotte, président de la Sicarappam, une coopérative de cueilleurs et de cultivateurs de plantes.

Pillages et mobilisation des cueilleurs

Face à ce constat, l’Association française de professionnels de la cueillette de plantes sauvages (AFC) a été créée en 2011. Elle regroupe aujourd’hui environ 300 membres aux profils variés. Certains disposent d’un peu de foncier où ils cultivent des plantes, en cueillent localement d’autres pour compléter leur gamme et transforment leur production pour la vendre en circuit court.

D’autres, itinérants, parcourent la France pour cueillir des volumes conséquents qu’ils vendent aux industries utilisatrices. « Nous avons des modèles très différents mais des intérêts en commun à commencer par la préservation des ressources », explique Alexandre Dufour, membre du conseil d’administration de l’association et cueilleur professionnel.

S’ils tiennent à conserver la liberté attachée à leur métier, les professionnels de la cueillette assurent qu’ils ne sont pas hostiles à la mise en place de réglementations plus poussées

Dans cet objectif, l’AFC, qui collabore avec des chercheurs, a élaboré un guide des bonnes pratiques de cueillette pour une gestion durable de la ressource. Outre le respect de la loi, qui impose d’obtenir l’accord du propriétaire d’une parcelle pour y récolter des plantes et permet aux préfets d’encadrer ou d’interdire la cueillette de certaines espèces, les cueilleurs préconisent de varier les terrains de cueillette, d’y respecter des taux de prélèvements permettant aux populations de plantes de se régénérer et d’attendre certains délais avant de renouveler le passage sur un même lieu. L’AFC réfléchit aussi à un dispositif de certification des cueillettes.

S’ils tiennent à conserver la liberté attachée à leur métier, ces professionnels assurent qu’ils ne sont pas hostiles à la mise en place de réglementations plus poussées. Pour Raphaële Garreta, il serait utile d’imposer la mise en place de plans de gestion, pour mieux connaître les ressources et suivre leur exploitation, sur les territoires où poussent les plantes faisant l’objet de tensions.

Dans les Vosges, grenier à arnica de l’Europe, une convention a été signée en 2007 par le Parc naturel régional des Ballons des Vosges, le Conseil départemental, des cueilleurs, des laboratoires utilisant la marguerite, et des agriculteurs, engageant chacun à des pratiques favorables à la préservation de la ressource. Cette année, la cueillette a été annulée faute d’une quantité suffisante de fleurs.

Mise en culture

Signataire de cette convention, le groupe de soins et de cosmétiques Weleda s’est tourné vers l’arnica de culture pour limiter la pression sur les fleurs sauvages. « La cueillette est marginale dans nos approvisionnements, de l’ordre de 300 kilos maximum alors que l’on utilise 10 tonnes de plantes entières cultivées », recense Pierre Kappler, responsable récolte et jardins en Suisse chez Weleda.

Mais la mise en culture de plantes sauvages peut s’avérer difficile techniquement et coûteuse. « La gentiane de culture, il faut 7 ans pour pouvoir la récolter et on n’aura pas de racines de la taille de ce que l’on trouve en sauvage », explique William Marotte, de la Sicarappam. Il n’est en outre pas forcément souhaitable de supprimer toute cueillette. « Elle contribue à la préservation des milieux et des paysages dans lesquels poussent les plantes », rappelle Alexandre Dufour.

Pernod-Ricard a changé de politique et fabrique désormais sa Suze à partir de plantes sauvages

Cultiver ou cueillir ? Les deux options sont plus complémentaires qu’il n’y paraît. Dans le Massif central, Pernod Ricard fabrique depuis longtemps sa Suze à base de gentiane. Le groupe cultive la plante depuis 40 ans. Initialement, l’objectif était de pouvoir couvrir 100 % de ses besoins (autour de 200 tonnes par an) et limiter les prélèvements en milieux naturels.

Désormais le géant mondial du secteur des apéritifs a changé de politique et fabrique sa Suze à partir de plantes sauvages. « Nous considérons tout aussi vertueux de contribuer au maintien de savoir-faire ancestraux liés à la cueillette et de revenus diversifiés sur les territoires », explique Virginie Bartholin, responsable des achats de matières premières alimentaires chez Pernod Ricard France.

Rôle du consommateur

Le groupe entend néanmoins conserver une ferme cultivant la gentiane en Auvergne, celle-ci pouvant notamment servir de réservoir de graines pour favoriser la réimplantation de gentiane dans les prairies. Le projet est porté par l’association interprofessionnelle Gentiana Lutea, qui regroupe l’ensemble des maillons de la filière, des propriétaires de terrains à gentiane aux entreprises utilisatrices – dont l’alcoolier – en passant par les cueilleurs ou les collecteurs.

Créée en 2014, elle doit favoriser une gestion durable de la ressource. Un guide de bonnes pratiques a été élaboré et la marque « gentiane – filière développement durable » déposée en 2021. « L’objectif est de permettre le contrôle des pratiques que nous préconisons et de réunir des données économiques sensibles sur la ressource en assurant la confidentialité des données individuelles », expose Stéphanie Flahaut, animatrice de l’association.

L’implication de l’ensemble des acteurs et notamment des entreprises utilisatrices de plantes sauvages est nécessaire pour pouvoir mesurer la pression qui s’exerce sur les différentes populations de plantes mais aussi pour que les efforts accomplis par les cueilleurs en faveur d’une exploitation durable des ressources ne soient pas vains.

L’AFC s’attache ainsi à sensibiliser les responsables des achats de ces entreprises. « Dans la majorité des cas, cela bouge favorablement mais il restera toujours un ou deux moutons noirs aux pratiques irresponsables », souligne Alexandre Dufour. Rien n’empêche un industriel de s’approvisionner chez un fournisseur ou dans un pays de son choix en fermant les yeux sur les conditions de collecte.

En la matière, les consommateurs finaux ont sans doute un rôle à jouer en questionnant l’origine des ingrédients de leur tisane ou de leur crème de jour et en adoptant les bonnes pratiques préconisées par l’AFC lorsqu’ils s’adonnent eux-mêmes à la cueillette.

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