Ecologie

La police de l’environnement, bouc émissaire de la crise agricole

9 min

Surchargés, peu nombreux, les inspecteurs de l’Office français pour la biodiversité ont été accusés par le syndicalisme majoritaire… de simplement faire appliquer les règlements environnementaux.

Manifestation d'agriculteurs, le 30 janvier 2024, avec des slogans hostiles à l'Office français de la biodiversité (OFB), dont certains agents sont chargés de la police environnementale. PHOTO : Matthieu Mirville/ZUMA-REA

CRS, GIGN, BAC, PJ… Ces sigles associés aux forces de l’ordre sont bien connus. Mais qui a déjà entendu parler de l’OFB, l’Office français de la biodiversité, qui œuvre à l’application des normes environnementales par les agriculteurs, les collectivités territoriales, les entreprises et les particuliers ?

Léo Magnin, sociologue et coauteur d’un court ouvrage sur le sujet, s’en amuse : « Lorsque nous montrons notre livre, qui a pour couverture un agent de l’OFB en uniforme, les gens nous demandent si c’est une plaisanterie, si cette institution existe vraiment en France… »

CRS, GIGN, BAC, PJ… Ces sigles associés aux forces de l’ordre sont bien connus. Mais qui a déjà entendu parler de l’OFB, l’Office français de la biodiversité, qui œuvre à l’application des normes environnementales par les agriculteurs, les collectivités territoriales, les entreprises et les particuliers ?

Léo Magnin, sociologue et coauteur d’un court ouvrage sur le sujet1, s’en amuse : « Lorsque nous montrons notre livre, qui a pour couverture un agent de l’OFB en uniforme, les gens nous demandent si c’est une plaisanterie, si cette institution existe vraiment en France… »

La « police de l’environnement »2 est pourtant très identifiée par le monde agricole. Respect des arrêtés sécheresse, usage des pesticides, taille des haies… Les inspecteurs de l’OFB ont pour mission de vérifier que les activités des agriculteurs ne viennent dégrader ni les cours d’eau, ni la biodiversité qui les entoure. Sans surprise, leurs visites dans les exploitations ne se passent pas toujours très bien.

« Avoir un contrôle de l’OFB, ce n’est pas marrant. Les inspecteurs sont toujours à deux ou trois, l’agriculteur est souvent seul dans sa ferme. Les relations peuvent être tendues », affirme un fin connaisseur des contrôles environnementaux, qui a tenu à rester anonyme.

Si l’OFB est perçu comme l’ennemi à abattre depuis une quinzaine d’années, notamment par la FNSEA, l’institution a été victime d’un déferlement de violence particulièrement intense lors du mouvement du début de l’année.

Banderoles insultantes lors des défilés de tracteurs, tags, dégradations de bâtiments et même appel à la démission de certains agents… Une partie du monde agricole n’a eu de cesse de vilipender les inspecteurs de l’OFB, les dépeignant comme des agents tatillons n’ayant pour but que d’exaspérer, voire de terroriser, les agriculteurs.

Des réglementations multiples

D’autres polices environnementales historiques, comme les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), ont, elles aussi, fait les frais de la colère paysanne. Leurs locaux vides à Carcassonne ont ainsi été soufflés mi-janvier par une explosion. Un mois plus tard, le portail de la Dreal à Marseille était enfoncé par un tracteur.

Lors d’une conférence de presse, le 26 janvier, le Premier ministre a lui-même regretté la « pression des contrôles »

Lors d’une conférence de presse depuis une exploitation agricole en Haute-Garonne, le 26 janvier dernier, le Premier ministre a lui-même regretté la « pression des contrôles ». A raison ?

Rappelons d’emblée que les contrôles environnementaux ne sont pas du seul fait de l’OFB. Beaucoup d’autres entités gravitent autour des fermes pour surveiller leurs différentes activités, comme les Dreal, mais aussi les directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf), les directions départementales des territoires (DDT), les directions départementales de la protection des populations (DDPP), sans oublier l’Agence de service et de paiement (ASP) et les agences de la Politique agricole commune (PAC).

« Les agriculteurs doivent s’adresser à toutes ces institutions, parfois sous des formes différentes. Tout cela est complexe et demande une solide compétence administrative » reconnaît Léo Magnin.

Parfois, les règles à respecter sont enchevêtrées : « Sur les produits phytosanitaires, il y a d’abord des règles pour encadrer les équipements de protection, ce qui était loin d’être une ineptie. Puis il y a eu des règles pour limiter les mélanges, puis des règles sur les délais pour entrer de nouveau sur une parcelle après traitement, les zones de non-traitement, les distances de sécurité pour les personnes vulnérables, les distances de sécurité pour les riverains, etc. », estime cette même source anonyme.

Et de conclure : « Pour les éleveurs, qui vont réaliser seulement un ou deux traitements par an et dont ce n’est pas le cœur de métier, c’est dur de suivre l’arsenal législatif. » Denis Sicard, agriculteur en Haute-Garonne, peut en témoigner :

« Je n’ai jamais été contrôlé par l’OFB, mais j’ai mis 10 000 euros de côté au cas où, car s’ils débarquent un jour chez moi, j’ai peur qu’ils trouvent quelque chose qui m’aurait échappé et de me retrouver avec une amende. »

13 procès verbaux par département en 2023

Si aujourd’hui les agriculteurs ont le sentiment d’être la cible privilégiée de la police de l’environnement, cela s’explique aussi mécaniquement : la surface agricole représente 54 % du territoire français, et elle est exploitée par 2 % des actifs. Les agriculteurs concentrent donc logiquement la majorité des contrôles… qui sont en réalité peu nombreux.

« S’agissant de la PAC, seule une exploitation sur cent est contrôlée chaque année. Les agriculteurs qui ne respectent pas le cahier des charges reçoivent un simple avertissement, ou alors une réduction de 1 % des aides », rappelle Félix Tuchais, assistant parlementaire de l’eurodéputé EELV Benoît Biteau.

De son côté, l’OFB est très loin de pratiquer une répression brutale. Selon le syndicat EFA-CGC, seul 0,75 % des exploitations françaises a été contrôlé en 2023. Et pour cause : il n’existe que 1 700 inspecteurs de l’OFB, soit environ une quinzaine par département.

L’année dernière, 2 759 fermes seulement ont ainsi fait l’objet d’un contrôle administratif, c’est-à-dire une simple vérification du respect des obligations réglementaires. En matière judiciaire, pas plus de treize procès-verbaux par département, en moyenne, ont été délivrés.

« Les enquêtes judiciaires doivent par ailleurs être approuvées par le parquet, ce n’est pas automatique. Avant d’engager une procédure, les inspecteurs prennent le temps de faire de la pédagogie auprès des agriculteurs », tient à souligner Véronique Caraco-Giordano, secrétaire générale du Syndicat national de l’environnement (SNE).

« Ce sont les grandes exploitations les plus polluantes, dont l’objectif est de produire toujours plus pour exporter, qui ont le plus à perdre avec les contrôles de l’OFB » – Véronique Caraco-Giordano, syndicat national de l’environnement

Alors pourquoi tant de haine à l’égard de l’OFB ? Premier élément de réponse : une instrumentalisation de la part du syndicalisme majoritaire. « Se liguer contre l’OFB permet à la FNSEA de mobiliser largement des exploitants agricoles qui n’ont pas nécessairement les mêmes intérêts. Ce syndicat a fait de la police de l’environnement une de ses cibles privilégiées, alors qu’une réforme de l’OFB ne répondrait pas aux problèmes des revenus en agriculture et du renouvellement des générations », fait valoir Léo Magnin.

« Evidemment que ce sont les grandes exploitations les plus polluantes, dont l’objectif est de produire toujours plus pour exporter, qui ont le plus à perdre avec les contrôles de l’OFB », pointe Véronique Caraco-Giordano, qui rappelle que « la Confédération paysanne soutient, elle, les agents de l’OFB, et défend une agriculture biologique, qui seule permettra à terme aux petits paysans de survivre ».

L’OFB a d’autant plus le mauvais rôle que, contrairement à d’autres entités administratives, elle n’octroie aucune subvention. Ses agents sont par ailleurs armés, une prérogative largement décriée par les agriculteurs au cours de la crise agricole. Gabriel Attal a lui-même questionné publiquement la pertinence de « venir armé pour contrôler une haie ».

Des propos qui ont enflammé les syndicats du secteur. « Quel policier n’est pas armé en France ? Outre les agriculteurs, les agents de l’OFB doivent contrôler des chasseurs et des braconniers qui sont parfois dangereux », rappelle Véronique Caraco-Giordano. Sans compter que, dans la pratique, certains inspecteurs camouflent volontairement leur arme lorsqu’ils se rendent sur les exploitations.

La FNSEA veut un OFB sous tutelle

Mais, pour la FNSEA, l’OFB doit être mise sous tutelle. Parmi sa liste de revendications, le puissant syndicat agricole a réclamé que les inspecteurs de l’environnement soient désormais placés sous l’autorité du préfet, ce qui est déjà partiellement le cas. Les contrôles administratifs sont en effet programmés en amont avec la préfecture tandis que les missions de police judiciaire sont sous l’autorité du procureur de la République.

« En vertu de la séparation des pouvoirs, le judiciaire ne peut être placé sous l’autorité de l’exécutif, que représente le préfet », rappelle Léo Magnin. La FNSEA a également exigé, comme elle le fait depuis maintenant une quinzaine d’années, que les agents soient désarmés.

Une convention doit être signée entre les chambres d’agriculture et l’OFB. Le désarmement des agents est au cœur des discussions

Afin d’apaiser les tensions, une convention doit être signée entre les chambres d’agriculture et l’OFB. Le désarmement des agents est au cœur des discussions… qui patinent. En mars, Matignon déclarait, un peu hâtivement, qu’un accord avait été trouvé autour d’un « port d’arme discret ». Une annonce tout de suite démentie par les principaux intéressés.

« Si l’attitude de l’OFB exaspère les agriculteurs, l’attitude de ceux qui veulent nous faire adopter une convention de force est tout aussi exaspérante. (…) Un tel vote n’a pas été et n’est pas à l’ordre du jour des instances des chambres d’agriculture de France », affirmait Sébastien Windsor, le président de Chambres d’agriculture France, dans un communiqué du 15 mars dernier. Les négociations sont toujours en cours depuis.

Pour Denis Sicard, agriculteur en Haute-Garonne, une des solutions pour apaiser les tensions pourrait être la mobilisation des chambres d’agriculture, afin de faire de la pédagogie auprès des exploitants hors des clous, et les préparer aux futurs contrôles.

Mais les liens entre ces institutions consulaires et le syndicat professionnel majoritaire sont tels que « personne ne veut prendre les devants », regrette cet agriculteur. Une logique clientéliste qui pourrait être encore renforcée à l’issue des prochaines élections professionnelles, en janvier 2025.

  • 1. Polices environnementales sous contraintes, par Léo Magnin, Rémi Rouméas et Robin Basier, Rue d’Ulm, 92 pages, 12 euros.
  • 2. L’OFB regroupe l’ex-Office national de l’eau et des milieux aquatiques et l’ex-Office national de la chasse et de la faune sauvage.

À la une

Commentaires (3)
Gourou51 26/04/2024
La police de l'environnement confiée aux chasseurs et à la FNSEA prochaine étape!
Jean Christophe Leydet 26/04/2024
Avec de telles orientations politiques, les militants pour la protection des espaces naturels et agricoles et de la biodiversité vont devoir se mobiliser encore plus pour presever nos biens communs naturels… Si les agents de l’OFB sont armés, ce n’est pas pour rien, c’est qu’ils sont confrontés a des contrevenants prêts à tout : menaces physiques et psychologiques, dégradation de bien public (plastiquages, tracteur bélier…). Cherchez qui se comporte en terrosistes : pas les « éco-terrorites » !
MICHEL MAGNANT 25/04/2024
On peut devenir contrevenant et verbalisé sur la route juste pour quelques km/h ou le verre ou le joint de trop et ça peut faire des morts. On peut remettre des pesticides ou autres et ça peut faire des morts. Bcp trop caricatural, mais y a t'il une différence ? Certains voudront toujours aller plus vite et libérer l'accélérateur. Qui en contrôle la bonne position, sinon le représentant de la loi, bleu ou vert. Il y a aussi celui qui fixe la bonne position de l'accélérateur, autre histoire.
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !