Commerce

Prêt-à-porter : les raisons de la crise

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Les annonces de redressements judiciaires pleuvent ces derniers mois dans l’univers du prêt-à-porter, causés par de multiples facteurs, aussi bien conjoncturels que structurels.

La série noire se poursuit pour le prêt-à-porter français. L’enseigne de chaussures Minelli, qui emploie 500 personnes en France, a été placée en redressement judiciaire le 28 septembre 2023. Après la liquidation de Camaïeu, annoncée fin septembre 2022, puis le placement en redressement judiciaire de Kookaï, Go Sport et André l’hiver dernier, c’est Naf Naf, 660 salariés en France, qui avait également demandé fin août son placement en redressement judiciaire.

Du Pareil au même et Sergent Major, tous deux propriétés du groupe Générale pour l'enfant, ont respectivement été placés en redressement et en procédure de sauvegarde fin juin, tandis que Catimini a dévoilé le 19 juillet un plan prévoyant la fermeture de 44 magasins sur 50 d’ici décembre…

La série noire se poursuit pour le prêt-à-porter français. L’enseigne de chaussures Minelli, qui emploie 500 personnes en France, a été placée en redressement judiciaire le 28 septembre 2023. Après la liquidation de Camaïeu, annoncée fin septembre 2022, puis le placement en redressement judiciaire de Kookaï, Go Sport et André l’hiver dernier, c’est Naf Naf, 660 salariés en France, qui avait également demandé fin août son placement en redressement judiciaire.

Du Pareil au même et Sergent Major, tous deux propriétés du groupe Générale pour l’enfant, ont respectivement été placés en redressement et en procédure de sauvegarde fin juin, tandis que Catimini a dévoilé le 19 juillet un plan prévoyant la fermeture de 44 magasins sur 50 d’ici décembre.

L’année 2023 a été émaillée de bien d’autres annonces illustrant les difficultés du secteur. Don’t Call Me Jennyfer, Gap et Burton of London ont aussi été placés en redressement judiciaire, et San Marina en liquidation.

Rien que depuis janvier, plus de 2 600 emplois ont été supprimés dans les enseignes de la mode, selon l’Alliance du commerce. Plus de 3 500 sont menacés dans des procédures collectives en cours.

Les enseignes mises à rude épreuve depuis cinq ans

Certaines marques vont bénéficier d’une reprise partielle de leurs magasins et de leur personnel. C’est le cas de Kaporal, qui était aussi en redressement et dont 395 salariés sur 434 devraient finalement être conservés.

D’autres enseignes n’attendent pas de déposer le bilan et réduisent la voilure en amont. Pimkie, rachetée par le consortium Pimkinvest (Lee Cooper France, Kindy…) à la famille Mulliez en février, prévoit de fermer plus de 60 magasins sur environ 310 d’ici 2027, entraînant la suppression progressive de quelque 250 postes. Comptoir des cotonniers et Princesse Tam-Tam, deux chaînes du groupe Fast Retailing, propriétaire du japonais Uniqlo, doivent baisser le rideau de 55 boutiques. Là encore, plus de 300 emplois pourraient disparaître.

Comment expliquer cette succession de mauvaises nouvelles dans le prêt-à-porter ? L’inflation tout d’abord, qui handicape l’achat de vêtements, descendu très bas dans l’ordre des priorités d’emplettes des Français.

« Nous assistons à des arbitrages dans la consommation, qui ne se font pas en faveur de la mode. Les ménages diffèrent leurs achats de vêtements, voire y renoncent, quand se produit un choc économique, résume Gildas Minvielle, directeur de l’Observatoire économique de l’Institut français de la mode (IFM). Les prix des habits ont augmenté, mais sans commune mesure avec ceux de l’alimentaire ou de l’énergie. »

C’est donc avant tout l’inflation d’autres produits et services qui pèse sur le budget des Français et vient réduire leur consommation de vêtements.

Les ventes sont certes reparties à la hausse en 2022, améliorant de 3,9 % le chiffre d’affaires du secteur par rapport à 2021, selon l’IFM, pour atteindre 26,2 milliards d’euros. Pour autant, celui-ci n’a toujours pas récupéré de la chute observée de 15 % en 2020 durant la crise sanitaire et reste inférieur de 4,4 % au niveau de 2019.

Mais le prêt-à-porter n’a pas attendu le Covid pour entrer en crise. Depuis le pic des ventes atteint en 2007, le chiffre d’affaires du secteur ne fait que se réduire, avec en toile de fond le ralentissement de la progression du pouvoir d’achat.

En volume, la consommation a certes progressé, atteignant près de 2,3 milliards d’articles en 2019, soit 4 % de plus par rapport à 2009, selon une étude réalisée par Kantar. Une augmentation impulsée par les ventes de vêtements féminins, en hausse de 5 % en 10 ans, mais surtout par la croissance démographique, le nombre d’articles achetés restant stable, à 46 unités par an et par personne en moyenne.

En valeur, en revanche, les achats ont bel et bien baissé de 3 % sur la même période. La légère hausse des volumes n’a donc pas compensé la baisse des prix.

De nombreuses enseignes ont aussi étendu plus que nécessaire leur réseau, pour mailler le territoire. « Les mètres carrés commerciaux se sont développés à un rythme supérieur à la consommation des ménages », rappelle Philippe Moati, économiste à l’Université Paris Cité et cofondateur de L’Observatoire société et consommation (ObSoCo). Résultat, le marché ressort aujourd’hui en surcapacité. Pas moins de 3,3 milliards de vêtements ont été commercialisés en France en 2022, selon l’éco-organisme Refashion : c’est un milliard de plus que ce qui est consommé !

Pour tenter d’écouler les stocks, les enseignes sont rentrées dans une surenchère de promotions, devenues quasiment permanentes. « Il y en a à tout va pendant l’année. Elles tuent le métier », déplore Pierre Talamon, président de la Fédération nationale de l’habillement (FNH). Pour tenter de séduire le chaland, le passage d’une collection à l’autre tend à s’accélérer. La valse des étiquettes suit, d’autant plus que les nouveaux acteurs en ligne ne lésinent pas non plus sur les promotions.

Le débarquement de ces nouveaux acteurs numériques est d’ailleurs venu complexifier encore plus l’équation des enseignes. Shein illustre à merveille cette concurrence féroce. La marque chinoise, 100 % en ligne hormis quelques boutiques éphémères, connaît un succès fulgurant en France. Elle a su séduire les jeunes avec son offre sans cesse renouvelée. De l’ultra fast-fashion destructrice pour l’environnement mais qui a trouvé un public.

Selon l’application de shopping Joko, qui a analysé pendant trois ans les transactions bancaires de ses utilisateurs, Shein est devenue, au deuxième trimestre 2023, la troisième enseigne où les Français de 18 à 44 ans dépensent le plus, derrière Vinted et Kiabi mais devant Intersport et Zara.

« Les charges augmentent pendant que l’activité stagne » – Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du commerce

L’habillement représente aujourd’hui la première catégorie de produits achetés sur Internet, selon la Fevad, la fédération du e-commerce. Toutefois, la part de marché des ventes en ligne de vêtements tend à se stabiliser autour de 20 % depuis mi-2021, pointe l’Alliance du commerce.

Crise du milieu de gamme

L’accroissement des volumes a aussi favorisé l’essor de la seconde main. Inondés de vêtements, les particuliers vident leurs armoires et utilisent de plus en plus des sites comme Vinted, pour vendre et acheter leurs habits. Une pratique qui illustre de nouvelles attentes des consommateurs, plus soucieux de leur empreinte environnementale, même si les faibles prix restent le critère numéro un pour recourir à l’occasion. Ce marché représentait déjà 9,3 % des dépenses d’habillement en 2020, selon l’Institut Kantar.

« Des marques moins chères, ainsi que des discounters comme Aldi et Lidl et des destockeurs tels que Noz ou Action, ont pris des parts de marché aux marques de milieu de gamme », ajoute Gildas Minvielle de l’IFM. Il constate aujourd’hui « une forte dispersion des prix, devenus très étalés », avec des premiers prix très bas et, à l’opposé, le luxe qui ne connaît pas la crise.

C’est ainsi le modèle de l’enseigne milieu de gamme qui se retrouve remis en cause. A l’image de Camaïeu et Kookaï, qui avaient su prendre des parts de marché aux détaillants multimarques, « premier circuit de distribution dans les années 1990 », rappelle Gildas Minvielle, ces enseignes sont devenues trop chères en période d’inflation.

« À l’époque, Kookaï était complètement en phase avec les consommateurs. Mais son image s’est écornée et n’est aujourd’hui plus du tout favorable. C’est difficile de durer dans les métiers de la mode », conclut l’économiste.

Des marques comme Zara et H&M résistent mieux à la concurrence, notamment car « elles ont acquis des positions de leaders et bénéficient d’une forte aura internationale », pointe l’économiste. A cela se sont ajoutées des reprises d’enseignes par des fonds d’investissement aux stratégies parfois court-termistes. « Vivarte, qui englobait Kookaï, Naf Naf, La Halle,… et Camaïeu sont emblématiques de ces problèmes de gouvernance et de gestion », pointe Gildas Minvielle.

Effet ciseau

En parallèle de ces difficultés structurelles, la pression sur les coûts s’est accentuée ces dernières années. L’inflation, en effet, n’affecte pas uniquement les ménages : les enseignes sont directement touchées avec la hausse des prix des matières premières.

« Les détaillants indépendants sont confrontés à la hausse des prix pratiqués par les marques, de 14 % en moyenne », pointe Pierre Talamon de la Fédération nationale de l’habillement (FNH). Mais aussi de l’électricité et des loyers, qui ont progressé. « Les loyers commerciaux, indexés sur l’inflation, ont pris automatiquement 10 % en deux ans », déplore Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du Commerce.

Le « bouclier loyer », mis en place à l’été 2022, a toutefois été prolongé jusqu’au 31 mars 2024. Il permet de bloquer la hausse à 3,5 % pour les PME. Mais ne suffit pas à empêcher un effet ciseau : « les charges augmentent pendant que l’activité stagne », constate Yohann Petiot.

« Aujourd’hui, 97 % des vêtements vendus en France sont importés » – Yves Dubief, président de l’Institut français du textile et de l’habillement

A cela s’ajoutent de potentielles hausses de salaires qui jouent sur l’équilibre des magasins. « Ceux qui avaient déjà un fort niveau d’endettement, avec parfois des prêts garantis par l’Etat (PGE) à rembourser, subissent une pression financière accrue. »

Résultat : entre 2010 et 2020, le nombre d’entreprises et de salariés du commerce de l’habillement a fortement diminué. Les magasins indépendants ont particulièrement souffert, enregistrant un repli de 50 % des quantités achetées, quand les pure players (Zalando, Amazon, Vinted…) et les spécialistes du sport, à l’image de Décathlon et Intersport, gagnaient, eux, du terrain. Les sneakers sont devenus tendance, aux dépens de marques comme André et San Marina, connus pour leurs modèles en cuir.

L’industrie de l’habillement a également vu fondre ses effectifs de plus d’un quart sur la même période. « Aujourd’hui, 97 % des vêtements vendus en France sont importés », regrette Yves Dubief, président de l’Institut français du textile et de l’habillement (IFTH). La production hexagonale est notamment liée à des marques premium ou de luxe, ainsi qu’à de jeunes acteurs, « qui veulent faire de la proximité et sont souvent sur des marchés de niche », précise-t-il.

C’est finalement peut-être la solution, pour survivre face à des poids lourds comme Shein, Zara, Zalando ou Primark : cibler une clientèle bien précise, en misant sur le local ou une mode plus vertueuse et respectueuse de l’environnement. En produisant moins mais mieux. Une piste suivie par des marques comme Asphalte, Veja ou Saint James par exemple.

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