Pesticides

Prolongation du glyphosate en Europe : l’heure de vérité

10 min

Le 13 octobre, les Etats membres de l’Union européenne devront voter pour ou contre le renouvellement pour dix ans de l’autorisation de mise sur le marché du glyphosate. Controverses scientifiques, opacité du processus décisionnel, enjeux économiques… Alternatives Economiques fait le point.

Que va faire la France ? A Bruxelles, la question hante les spécialistes de l’environnement et de la santé publique, à quelques jours du vote « pour » ou « contre » le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché du glyphosate, pour une durée de dix ans.

Le 13 octobre, les membres du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale, le « Scopaff » d’après son acronyme en anglais, ne pourront pas tergiverser. Particulièrement depuis le scandale des Monsanto Papers en 2017, la saga de l’herbicide n° 1, très controversé en raison de ses impacts sanitaires et environnementaux, a été jalonnée de multiples rebondissements, de reports de vote, de négociations en coulisses…

Que va faire la France ? A Bruxelles, la question hante les spécialistes de l’environnement et de la santé publique, à quelques jours du vote « pour » ou « contre » le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché du glyphosate, pour une durée de dix ans.

Le 13 octobre, les membres du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale, le « Scopaff » d’après son acronyme en anglais, ne pourront pas tergiverser. Particulièrement depuis le scandale des Monsanto Papers1, en 2017, la saga de l’herbicide n° 1, très controversé en raison de ses impacts sanitaires et environnementaux, a été jalonnée de multiples rebondissements, de reports de vote, de négociations en coulisses.

Six ans plus tard, le glyphosate divise toujours autant les Etats de l’Union européenne. Pour que Bayer, Syngenta ou Sinon Corporation puissent vendre leur substance phare pendant dix ans de plus sur le territoire de l’UE, la proposition devra être adoptée à la majorité qualifiée. Au moins 55 % des Etats membres devront approuver le renouvellement, soit 15 Etats qui représentent au moins 65 % de la population.

En cas de majorité simple, la Commission saisira le comité d’appel, toujours composé des Etats membres. Le vote du 13 octobre est donc crucial. Il permettra de jauger les forces en présence. Comme en 2017, l’exécutif bruxellois pourrait mettre de l’eau dans son vin, en fonction du vote des Etats membres, et revenir avec une proposition de renouvellement d’une durée plus courte, de cinq ans par exemple, ou assortie de davantage de restrictions d’usage.

Parmi les pays qui s’abstiendront ou voteront contre, on compte l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique et le Luxembourg. Les Pays-Bas pourraient se joindre aux opposants. Et la France ? « C’est le vote décisif, celui qui pourrait faire pencher la balance d’un côté ou d’un autre », dit-on au Parlement européen.

Alors qu’en 2017, la position française contre le renouvellement était claire, les voies de la majorité sont aujourd’hui moins pénétrables, en cette période de « pause réglementaire » dans le domaine de l’écologie, appelée de ses vœux par Emmanuel Macron et la droite européenne.

Des poids importants de la macronie – Pascal Canfin, Stéphane Séjourné – ont affiché leur opposition à la proposition de Bruxelles, insistant sur la nécessité d’ajouter des restrictions d’usage du glyphosate à l’échelle européenne. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture a quant à lui déclaré dans Ouest France « faire confiance à la science, aux études qui disent que le glyphosate ne pose pas de problème cancérigène ».

D’après le média en ligne Contexte, les autorités françaises ont réclamé, le 28 septembre, une prolongation de sept ans de la substance. Du côté du Parlement européen, cette proposition française suscite d’ores et déjà de vives réactions.

« Sept ou dix ans, cela ne fait aucune différence. La position de la France est irresponsable », lance Christophe Clergeau, député européen socialiste.

Pour Marie Toussaint, eurodéputée écologiste, la position française, « est marquée par l’opacité. Elle est inacceptable au vu de l’ensemble des études qui démontrent la nocivité de la substance. Cela montre à nouveau la contradiction entre les mots d’Emmanuel Macron et ses actes. Qu’il s’agisse d’une durée de cinq ans, ou de sept ans, c’est toujours cinq ou sept ans de trop. »

Un glyphosate toujours aussi lucratif

Huit entreprises productrices de produits à base de glyphosate ont introduit le dossier de renouvellement, auprès des autorités européennes, en 2019. Si le glyphosate, mis sur le marché en 1974, est entré dans le domaine public en 2002, il reste le pesticide « le plus vendu du monde », selon la formule consacrée.

La valeur du marché du glyphosate est estimée à 9,67 milliards d’euros en 2023

Les procédures d’homologation des substances, longues et coûteuses, touchent le « business model » des producteurs, comme le relatait le Bureau d’analyse sociétal d’intérêt collectif dans un rapport en 2021. De plus en plus de substances sont interdites en Europe ou aux Etats-Unis à cause de leur dangerosité pour la santé humaine.

Le coût de développement et d’homologation de nouveaux produits avait plus que doublé en 20 ans, alors que la durée nécessaire à la création de nouveaux pesticides n’avait fait que croître. Les anciennes substances, lorsqu’elles ne sont pas interdites, restent donc une valeur sûre pour le secteur. La valeur du marché du glyphosate est estimée, dans la dernière mouture du « Glyphosate global market report », à 9,67 milliards d’euros en 2023.

Des analystes de marché tablent sur une croissance de 6 % par an jusqu’en 2031, principalement grâce à la vente couplée de produits à base de glyphosate et de semences de soja ou de maïs génétiquement modifiées… pour résister au glyphosate. Les marchés en croissance se situent sur le continent américain ou en Asie.

La région européenne ne représente plus que 16,6 % des ventes de glyphosate à l’échelle mondiale. Malgré ce poids relatif, le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché au sein de l’UE est une priorité des industriels, qui concentrent beaucoup d’efforts pour l’obtenir, « car une interdiction créerait un précédent et exercerait une pression sur les autres marchés », analyse Carla Hoinkes, de l’ONG Public Eye. Des chercheurs, des ONG, et des sources européennes contactées par Alternatives Economiques regrettent le lobbying intense des producteurs pour obtenir le sésame du renouvellement.

Controverses scientifiques et carences démocratiques

Comme en 2017, les délibérations du Scopaff, les votes de chaque Etat membre et la liste des participants ne seront pas rendues publiques, soulignant les carences démocratiques d’un processus marqué par l’opacité et qui se situe hors de la procédure législative ordinaire. Sur ce sujet, le Parlement européen n’a aucun rôle décisionnel. Il est contraint de jouer les rôles d’aiguillon à coups d’objections et de résolutions.

En effet, la ré-autorisation du Glyphosate, comme celles des autres pesticides, est considérée comme une simple décision technique. C’est, dans le jargon, un « acte d’exécution », supervisé par les Etats membres et qui s’inscrit dans ce que l’on nomme à Bruxelles la « Comitologie ». « On laisse un pouvoir conséquent aux Etats membres sans les exposer aux conséquences politiques de leur vote », regrette Cécile Robert, professeure en science politique à l’IEP de Lyon.

« Dans la logique institutionnelle, il s’agit d’un simple acte administratif qui s’appuie sur les conclusions scientifiques de l’autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), dont l’analyse épuiserait les marges d’interprétation, ajoute Cécile Robert. Il n’en est rien. D’une part, l’analyse de l’Efsa est largement questionnée sur le plan purement scientifique. D’autre part, l’avis de l’Efsa n’a pas pour fonction de répondre à la question de la pertinence de cette ré-autorisation. Celle-ci implique une balance entre les "avantages" notamment économiques d’une ré-autorisation du glyphosate et ses conséquences négatives sur la santé humaine, l’environnement. Autant de questions qui nécessitent des arbitrages politiques. »

Pierre angulaire du processus de décision, l’évaluation des risques menée par l’Efsa et l’analyse du danger intrinsèque de la substance par l’agence européenne des produits chimiques (Echa), sont l’objet de vives controverses. Elles révèlent les fortes tensions qui s’expriment entre la science réglementaire et la science académique.

« C’est un véritable tour de force d’évacuer les publications pertinentes sur le glyphosate qui remettraient en cause la lecture d’une substance "sans danger" et de les mettre sous le tapis » – Laurence Huc, Inrae

« La science réglementaire va examiner les études scientifiques avec une focale trop étroite », déplore Cécile Robert. Le contraste entre l’avis du Centre international de recherches sur le cancer (Circ), pour qui le glyphosate est un « cancérigène probable » et l’absence d’inquiétudes du côté de l’Echa, reste saisissant.

Quant à l’Efsa, elle s’appuie sur l’analyse de l’Echa concernant les dangers potentiels du glyphosate – son caractère cancérigène, mutagène ou reprotoxique. Elle étend son évaluation à divers domaines dont l’impact sur la biodiversité, le caractère neurotoxique de la substance ou ses propriétés de perturbateur endocrinien. Après des années de travail, l’Efsa, n’a pas identifié de « points de préoccupation majeurs », malgré une revue par une petite centaine de membres d’agences réglementaires nationales.

Pourtant, depuis 2017, les études académiques sur les propriétés et les effets du glyphosate se sont multipliées, et beaucoup d’entre elles mettent en évidence des risques pour la santé humaine et l’environnement. En 2021, l’Inserm compilait soigneusement 5 300 documents scientifiques.

« De nombreuses études mettent en évidence des dommages génotoxiques (cassures de l’ADN) qui (…) peuvent conduire à l’apparition de mutations et déclencher ainsi un processus de cancérogénèse », pouvait-on lire dans la méta-analyse de l’Inserm, qui notait par ailleurs, toujours au sujet du glyphosate, « des effets délétères en lien avec un mécanisme de perturbation endocrinienne ».

Ces conclusions sont à l’opposé des rapports de l’Echa et de l’Efsa, qui basent pourtant leur travail sur l’analyse d’études en partie identiques, à partir d’un rapport de base produit par quatre Etats membres, la Hongrie, les Pays-bas, la Suède et la France.

« Toutes les études, qu’elles soient issues de l’industrie ou du monde académique sont rassemblées et analysées en fonction de la méthodologie dite du "poids de la preuve", indique Guilhem De Seze, chef de département « production des évaluations du risque » à l’Efsa. Certaines sont considérées comme non-pertinentes, mais plus de 700 études issues du monde académique ont été prises en compte. Le poids de chacune est évalué et pondéré en fonction de nombreux critères réglementaires, la valeur statistique de l’étude, la taille de la cohorte d’animaux, la reproductibilité des protocoles ou le suivi des "bonnes pratiques de laboratoire" édictées par l’OCDE’. »

Le suivi de ces « bonnes pratiques de laboratoires » confère davantage de poids aux études qui s’y conforment – souvent issues de l’industrie – dans l’analyse des risques effectuée par l’Efsa. Ces pratiques sont pourtant jugées archaïques par des scientifiques du monde académique, où la robustesse des recherches est garantie par un examen par les pairs.

« Les scientifiques ont développé des approches bien plus élaborées que ces "bonnes pratiques", trop procédurales. Et pourtant, elles n’ont pas de valeur réglementaire », déplore Laurence Huc, directrice de recherche à l’Inrae, qui regrette que les règles du jeu réglementaire « aient été édictées avec les industriels ».

Laurence Huc rappelle que « Le glyphosate est l’une des substances pesticides les plus documentées. C’est un véritable tour de force d’évacuer les publications pertinentes qui remettraient en cause la lecture d’une substance "sans danger" et de les mettre sous le tapis. A ce niveau-là c’est de la supercherie. » Du côté de l’Efsa on insiste sur le volume d’études pris en compte à coups de chiffres spectaculaires. 180 000 pages évaluées. 2 400 études analysées.

Malgré ce travail, l’Efsa reconnaît de multiples « lacunes » dans les données à sa disposition, par exemple relatives à l’impact du glyphosate sur la biodiversité, ou l’absence de « méthodologie harmonisée » concernant les effets de la substance sur le microbiote intestinal.

Des questions aussi importantes que l’évaluation du risque alimentaire sont « non résolues », laissant de grandes béances dans l’évaluation européenne. Les Etats devront donc trancher ces questions sans réponses. Dans le cocon opaque des réunions du Scopaff, où l’on pourrait décider en dernière minute de repousser le vote.

  • 1. La publication des Monsanto Papers avait révélé l’étendue de la désinformation scientifique pratiquée par le géant américain des pesticides, racheté depuis par Bayer.

À la une

Commentaires (3)
Rébénacq 13/10/2023
Votre article ne précise pas clairement "qui va décider?" est ce le Conseil Européen (les Chefs d’États où leurs représentants mandatés), ou est-ce le Parlement Européen (les députés européens)?
Xavier Molénat 13/10/2023

Bonjour,

C’est indiqué dans l’article :

Sur ce sujet, le Parlement européen n’a aucun rôle décisionnel. Il est contraint de jouer les rôles d’aiguillon à coups d’objections et de résolutions.

En effet, la ré-autorisation du Glyphosate, comme celles des autres pesticides, est considérée comme une simple décision technique. C’est, dans le jargon, un « acte d’exécution », supervisé par les Etats membres et qui s’inscrit dans ce que l’on nomme à Bruxelles la « Comitologie ». 

Rébénacq 14/10/2023
Si je comprends bien, ce sont donc les Chefs d’États. Donc pour la France le Président MACRON.
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !