Opinion

Enfin une grève féministe pour le 8 mars 2024 ?

7 min
Rachel Silvera Maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre

C’est une première. Cinq organisations syndicales, la CFDT, la CGT, la FSU, Solidaires et l’Unsa, appellent à faire grève et à se mobiliser ce 8 mars 2024, journée internationale de luttes pour les droits des femmes.

En général, les huit principales organisations syndicales (avec FO, la CFE-CGC et la CFTC) se contentent d’un communiqué commun. Et, jusqu’à présent, pour cette année également, la grève féministe est à l’appel d’associations féministes et de certains syndicats, mais pas de la CFDT ni de l’Unsa…

On peut supposer que cet appel plus large s’inscrit dans le prolongement de la forte mobilisation unitaire contre la réforme des retraites où l’intersyndicale a réussi à se maintenir. Et c’est aussi très certainement l’effet de la présence de deux femmes à la tête des deux premiers syndicats : Marylise Léon pour la CFDT et Sophie Binet pour la CGT !

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Pour l’égalité au travail et dans la vie

Le premier sujet de mobilisation des organisations syndicales reste les inégalités salariales et de carrière. Elles rappellent que les salaires des femmes sont d’un quart inférieurs à ceux des hommes, que 58 % des smicards sont des femmes ou que, bien que toujours plus diplômées, elles ne comptent que pour 39 % des cadres.

D’où l’idée portée par la CGT de débrayer à 15 h 40, heure à partir de laquelle les femmes travaillent gratuitement, ou de considérer que, chaque jour, elles perdent 20 euros et qu’elles n’ont plus le temps d’attendre jusqu’en… 2186 !

De plus, la question de la revalorisation des métiers féminisés et celle de l’application du principe « un salaire égal pour un travail de valeur égale » sont posées dans l’ensemble des appels, et il est demandé « que soit rendue obligatoire et dans un délai contraint l’ouverture de négociations portant sur les classifications dans le privé et les grilles indiciaires dans la fonction publique, en vue de reconnaître et valoriser les missions, les qualifications et compétences mises en œuvre dans les métiers et corps à prédominance féminine ».

L’assignation des femmes à leur rôle de mère est également évoquée, puisqu’elles sont ultra-majoritaires dans le temps partiel et les congés parentaux. « Le poids de la parentalité, incluant la double journée et la charge mentale, pénalise exclusivement la carrière des mères », souligne l’appel.

Un investissement massif dans les services publics pour garantir un droit d’accueil aux enfants et pour répondre aux problèmes liés à la perte d’autonomie est revendiqué. Il est ainsi rappelé qu’il manque plus d’un million d’emplois dans les métiers du soin et du lien aux autres, et au moins 200 000 places d’accueil dans la petite enfance.

Dans le communiqué, la proposition du gouvernement d’un congé de naissance écourté à six mois est critiquée, de crainte qu’en l’absence de nouvelles places d’accueil, il ne remette en cause les droits à l’emploi des mères. Un congé mieux rémunéré et étendu jusqu’aux trois ans de l’enfant est également demandé.

Contre les violences, contre l’extrême droite

Bien sûr, l’enjeu de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles est réaffirmé, alors que 30 % des salariées ont déjà été harcelées ou agressées sur leur lieu de travail et que 70 % d’entre elles n’en ont pas parlé à leur employeur. Les moyens alloués par le gouvernement sont insuffisants :

« 80 % des plaintes sont classées sans suite et le gouvernement français refuse d’inclure la notion de consentement et le viol dans la directive européenne sur les violences. »

De même, les syndicats dénoncent le fait que la France ait ratifié à droit constant la convention 190 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sans tenir compte de la recommandation 206 de l’OIT, qui offrait de nouveaux droits contre ces violences et le harcèlement au travail (droits des victimes de violences domestiques à des congés, des lieux d’hébergement, des formations sur les violences…).

Autour de #Grève féministe, l’appel plus large de plus de 45 associations féministes, de la CGT, de FSU et Solidaires (avec le soutien de tous les partis politiques de gauche) intègre également la lutte contre l’extrême droite :

« Les idées d’extrême droite prônent la haine de l’autre, le racisme, la misogynie, la LGBTQIAphobie (…). En France, le gouvernement et la droite en reprennent à leur compte. La loi immigration votée en décembre dernier en est un exemple. Même si un tiers des dispositions, comme celles instituant la préférence nationale, ont été invalidées par le Conseil constitutionnel, cette loi raciste s’attaque au droit d’asile et à tous et toutes les sans-papiers. »

Ce texte rappelle également l’échéance des Jeux olympiques et paralympiques, pour lesquels des mesures concrètes devront être prises afin de « lutter contre toutes les violences sexistes et sexuelles, protéger les victimes et combattre les réseaux de traite prostitutionnelle et de proxénétisme ».

« Quand les femmes s’arrêtent, tout s’arrête »

Plus généralement, cet appel à la grève féministe, ce 8 mars 2024, est là pour démontrer le rôle fondamental des femmes et rappeler que « quand les femmes s’arrêtent, tout s’arrête ». L’objectif est qu’il y ait suffisamment de préavis de grève pour que les manifestations prévues partout en France soient massives.

Déjà, les années précédentes, ce mouvement s’amorçait, notamment dans le contexte des diverses réformes des retraites, quand, avec les cortèges des Rosies1, les manifestations ont été plus importantes et visibles, au-delà du seul cercle des initiées. De même la participation du collectif Nous Toutes, depuis 2023, contribue à renouveler et élargir la mobilisation auprès de femmes plus jeunes, pas forcément militantes.

Une telle mobilisation s’inspire de nos voisins. En Espagne, les 8 mars 2018 et 2019,de 3 à 4 millions de personnes ont fait grève et sont descendues dans la rue en clamant : « Sans nous, le monde s’arrête. »

« Ce qui est en jeu avec une telle grève féministe, c’est bien d’impliquer l’ensemble du monde du travail »

En Suisse, plusieurs centaines de milliers de personnes étaient en grève le 14 juin 2023. Et en Islande, le 24 octobre 2023, 100 000 personnes (soit un quart de la population) sont descendues dans la rue et ont appelé à faire la grève du travail rémunéré, mais aussi des tâches domestiques, exiger l’égalité salariale et la fin des violences faites aux femmes.

Ce qui est en jeu avec une telle grève féministe, c’est bien d’impliquer l’ensemble du monde du travail dans cette perspective féministe, de montrer que ces combats sont ceux de tous et toutes les salarié·e·s. Il s’agit de faire entendre la cause des femmes dans les luttes sociales, en un mot de ne plus opposer genre et classe. De repenser aussi la manière dont travail domestique et travail salarié s’agencent.

Sans les femmes, tout s’arrête, car non seulement elles sont indispensables dans bon nombre de professions, notamment du soin et du lien aux autres, mais qui plus est, elles continuent à assumer la grande majorité des tâches domestiques et parentales. Cette histoire féministe des mobilisations populaires est au cœur de l’ouvrage de Fanny Gallot, Mobilisées ! aux éditions du Seuil, qui sort… le 8 mars 2024.

  • 1. Mouvement féministe créé en 2019 par Attac mobilisant avec des chants et des chorégraphies. Voir Lou Chesné & Youlie Yamamoto, Manifeste des Rosies, Les Liens qui libèrent, 2024.

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Commentaires (4)
Hervé DEMAZURE 08/03/2024
Encore un nouveau motif de grève, qui va concerner en priorité les personnels les mieux protégés (la caissière de grande surface ne va pas faire grève) et les plus habitiés à la grève. L'accumukation des prétextes pour cesser le travail ne sert pas les causes qu'ils sont censées défendre.
STEPHANE B. 07/03/2024
Un grève ? Mais quelle idée novatrice donc pas du tout inspirée de ce qu'ont employé comme moyen de pression des générations d'hommes essentiellement (la composition du monde du travail était ainsi) pour leurs combats sociaux... Mais également, quelle idée pas du tout clivante, pas du tout génante, et qui ne va donc pas du tout ternir cette cause noble mais tellement défendue souvent dans une forme d'hystérie décrédibilisante...
onae laks 07/03/2024
entre temps la Cfdt et l unsa ont appeléà la grève
Charlie P 07/03/2024
Je ne partage pas du tout ces constats. Dans la fonction publique, les salaires sont les mêmes quelque soit le sexe du fonctionnaire. Des pères prennent du temps parental pour s'occuper des enfants. Chez Francis et Marie, c'est Francis qui fait la cuisine et les courses. Le frère de Francis est assistant familial et il accueille chez lui des enfants placés. Dans son entreprise, les cadres sont des femmes à 80 %. Mais les déterminismes sociaux ont la vie dure, pas partout heureusement.
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