Spectacles

Rentrée difficile pour le secteur de la culture

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La mise en place du pass sanitaire, les incertitudes liées au variant et les risques d’annulation ont freiné cet été le retour des spectateurs dans les festivals et salles de spectacle. A l’heure de la rentrée, le secteur cherche à se réinventer.

Salle de cinéma à Paris. Le cas des cinémas est parmi les plus emblématiques de la baisse de fréquentation des lieux culturels. PHOTO : © Mathilde MAZARS/REA

« C’est un bilan en demi-teinte », nous dit d’emblée Malika Séguineau, directrice générale du Prodiss, le syndicat national du spectacle musical privé. « Les dernières tendances de fréquentation ne sont pas bonnes », surenchérit Jean-Michel Mathé, directeur du festival de Besançon et trésorier de la fédération France Festivals.

Les chiffres l’illustrent de manière criante : les Vieilles Charrues ont accueilli cet été 30 000 spectateurs alors que la jauge était de 50 000. A Montpellier, le festival a comptabilisé 55 000 spectateurs, loin des 100 000 en 2019. « La baisse des recettes de billetterie par rapport à 2019 est d’environ 50 % à 60 %. Il y a des situations catastrophiques », souligne Malika Séguineau. Des manifestations ont même préféré jeter l’éponge, comme le festival We love green, qui vient d’annuler son édition prévue du 10 au 12 septembre.

Après la fermeture pendant sept mois des lieux culturels, la reprise du secteur depuis le 19 mai est donc tout sauf aisée. Quels sont les freins au retour du public ? La mise en place du pass sanitaire, rendu obligatoire pour les lieux culturels depuis le 21 juillet, une vingtaine de jours avant les restaurants, a eu un impact immédiat.

Le cas des cinémas est parmi les plus emblématiques : « nous étions revenus début juillet à un niveau d’activité quasi normal, avec trois millions d’entrées par semaine. Mais dès la mise en place du pass, ce chiffre est tombé à deux millions. Les jeunes, alors parmi les moins vaccinés, ont fait défaut, alors que ce sont des habitués des salles », observe Benoit Danard, directeur des études, des statistiques et de la prospective au Centre national du cinéma (CNC), avant de préciser que « si au fil des semaines, le nombre d’entrées est peu à peu remonté, il n’a pour autant pas encore retrouvé son niveau précédent, restant autour de 2,5 millions d’entrées par semaine. »

Brouillard réglementaire

Outre la mise en place du pass, les annonces tardives et parfois contradictoires du gouvernement sont pointées du doigt par le secteur. Limite de jauge, distanciation… difficile pour le public, et parfois même pour les professionnels, d’y voir clair dans le protocole. A cela s’ajoute sur certains territoires la flambée du variant Delta. Confrontée à une recrudescence des cas, la Corse a préféré annuler une grande partie des manifestations culturelles de l’été. « Les spectateurs ont une certaine réticence à acheter des places quand il y a encore tellement d’incertitudes », reconnaît Jean-Michel Mathé.

Des spectacles ont aussi dû être modifiés ou annulés à la dernière minute. Au Festival d’Avignon, les dernières représentations de la pièce Autophagies n’ont pas pu être données, des membres de la compagnie ayant été cas contact. « Ce sont les formats les plus festifs, en plein air, qui ont le mieux fonctionné, constate Vincent Cavaroc, directeur de la Halle Tropisme de Montpellier. Après la crise, je crois que les gens n’avaient pas forcément envie de s’enfermer dans des salles pour voir de longs spectacles ».

« Après la crise, je crois que les gens n’avaient pas forcément envie de s’enfermer dans des salles pour voir de longs spectacles »Vincent Cavaroc, directeur de la Halle Tropisme de Montpellier

Les restrictions encore en vigueur à certaines frontières, avec parfois des quarantaines obligatoires, limitent toujours les déplacements des artistes internationaux. Pour les groupes anglais, le Brexit est venu également compliquer l’organisation des tournées. Le public étranger fait d’ailleurs lui aussi défaut, ce qui impacte tout particulièrement certaines institutions, comme le Château de Versailles ou l’Opéra de Paris, tirant une partie de leurs revenus du tourisme.

Seuls quelques grands musées affichent des chiffres de fréquentation enthousiasmants. Entre le 3 et le 23 août, le Centre Pompidou a enregistré 77 000 visites, soit un nombre supérieur à la période précédant la mise en application du pass sanitaire. De son côté, le Musée d’Orsay se félicite que la part de visiteurs de moins de 26 ans soit revenue à un niveau normal en juillet : 36 %, contre 38 % en 2019.

Du « quoi qu’il en coute » au « sur-mesure »

Le 30 août, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a réuni les acteurs de la culture et de l’hôtellerie-restauration pour leur expliquer le passage, en matière d’aides publiques, du « quoi qu’il en coute » au « sur-mesure ». Avec, à ses côtés, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, il a tenu à rassurer les secteurs en difficulté. Les aides seront évaluées en fonction de la perte du chiffre d’affaires et de la fréquentation de l’établissement. Malika Séguineau prévient : « Les perspectives sont noires. Sur le deuxième semestre 2021, nous estimons une baisse de 60 % du chiffre d’affaires, alors même que nous ne sommes plus interdits d’activité ! Mais avec les reports de spectacle, nous ne générons pas de chiffre d’affaires, car ce sont des billets qui ont déjà été vendus. Le retour à la normale ne se fera pas avant la fin 2022. »

A l’heure de la rentrée, le secteur culturel commence aussi à revoir certaines pratiques. « Le système des abonnements est terminé. Les spectateurs ne prévoient plus à moyen ou long terme », note Hortense Archambault, directrice de la MC93 de Bobigny et ancienne codirectrice du Festival d’Avignon. La prise en compte des impératifs écologiques, exacerbée par la pandémie, amène à repenser les modèles : « la culture ne va pas se réveiller si elle ne change pas », nous dit le metteur en scène Samuel Valensi, en charge de la culture au sein du think tank environnemental The Shift Project, qui appelle à « désaccélérer, en reconsidérant notamment le temps de résidence des artistes ».

« Le système des abonnements est terminé. Les spectateurs ne prévoient plus à moyen ou long terme », Hortense Archambault, directrice de la MC93 de Bobigny

Quarante ans après l’arrivée de Jack Lang au ministère de la Culture, la sortie de crise offrirait-elle l’occasion de repenser la politique culturelle ? Lors de l’université d’été des Verts était organisé un débat sur les droits culturels, un concept désormais cher aux élus écologistes. « On voit aujourd’hui que la seule chose importante pour les structures culturelles, c’est le retour des clients dans les salles. On est dans une régulation du marché. Or le secteur se tire une balle dans le pied en se justifiant par le seul prisme de la valeur économique », dénonce Jean-Michel Lucas, auteur des Droits culturels, enjeux, débats, expérimentations (éd. Territorial), qui participe à la politique de transition vers les droits culturels actuellement menée par la ville de Bordeaux, avant d’ajouter :

« La démocratisation de la culture n’a rien donné. Cela a juste participé à la division de la société avec en haut ceux qui décident et tous les autres en bas. Or justement, les droits culturels, ce sont les droits humains fondamentaux : le droit à la liberté d’expression artistique, pouvoir s’émanciper de sa culture d’origine pour forger son propre chemin. »

Une nouvelle orientation politique qui crée aussi certaines crispations : les institutions culturelles, jugées par certains élitistes, ont dès lors peur de voir leur budget se réduire aux profits des projets culturels de proximité, misant sur la pratique artistique et les actions sociales. Les opéras vs les tiers lieux ? « Il faut modifier l’intervention publique dans la culture, reconnaît Frédéric Hocquard, adjoint à l’économie culturelle de la ville de Paris et président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC). Mais pour cela il est nécessaire d’élargir l’argent disponible, sinon le monde culturel va s’entretuer. Cela doit par exemple passer par de nouvelles taxations sur les Gafam. »

Ébranlé par la crise sanitaire, le secteur culturel ne va assurément pas manquer de s’inviter dans la prochaine campagne présidentielle.

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