Le modèle nordique se transforme
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La période semble propice pour relancer la réflexion sur les contours d’un modèle social européen, à l’instar de ce que viennent de faire Marine Boisson-Cohen et Bruno Palier, ou pour réfléchir aux forces et faiblesses des modèles nationaux, comme l’ont également proposé Jean Pisani-Ferry et Henrik Enderlein. Dans ce contexte, la publication d’une étude sur le(s) modèle(s) nordique(s) par une équipe de chercheurs de la FAFO, institut de recherches norvégien indépendant sur les questions sociales, vient à point nommé.
Un modèle en panne
Couvrant le Danemark, la Suède, la Finlande, la Norvège et l’Islande, les auteurs s’interrogent sur le possible renouveau ou déclin du modèle scandinave en prenant comme perspective l’année 2030. Ils en analysent les forces et faiblesses, mais mettent clairement en lumière les conséquences de la grande crise sur l’augmentation du chômage (en particulier celui des jeunes Suédois). Celle-ci s’accompagne d’une diminution des taux d’emploi si on les compare à ceux des années 1990. Pour revenir à de tels taux (de presque 80 %), il faudrait créer 1,3 million d’emplois supplémentaires d’ici à 2030. C’est donc un pilier essentiel du modèle qui est en panne. A cela s’ajoute une montée des inégalités qui met à mal la philosophie même du modèle nordique.
La montée des inégalités met à mal la philosophie même du modèle nordique
Mais plutôt que de parler de « modèle », il vaudrait mieux parler de famille. Comme dans toutes familles, des traits communs sont partagés, mais il existe aussi des diversités et des variations. Ainsi la Finlande (membre de la zone euro) et le Danemark (membre de facto mais non de jure) affichent des performances négatives en termes de croissance cumulée entre 2008 et 2014 (environ – 4 %), alors que la Norvège (+ 4 %) et la Suède (+ 6 %) s’en sortent nettement mieux. Mais ce qui est frappant à la lecture du rapport, c’est la capacité d’apprentissage collectif propre à ce groupe de pays.
Montée de la droite
Deux éléments forts ressortent de cette étude. La première est la fragmentation du paysage politique et la fin de la domination des partis sociaux-démocrates, qui étaient le ciment du pacte social scandinave. Les partis d’extrême droite ou de droite populiste réalisent maintenant entre 12 % et 20 % aux dernières élections et s’installent durablement dans le paysage politique. Cette fragmentation de l’espace politique et la polarisation à droite n’ont, en revanche, pas eu de conséquences radicales sur l’Etat-providence (la droite et les partis populistes le soutenant), même si une érosion de la générosité est manifeste ainsi que la tendance à la décentralisation.
La polarisation à droite n’a pas eu de conséquences radicales sur l’Etat-providence
Le constat semble plus inquiétant pour les syndicats. Traditionnellement, les pays nordiques se caractérisaient par un haut taux de syndicalisation (80 %). Cette image n’est plus exacte même si, comparées aux autres pays européens, ces moyennes restent élevées (de l’ordre de 65 %). Toutefois, la tendance est claire et si elle se poursuit, seule la moitié de la main-d’œuvre sera couverte en 2030. Pire : si les courbes épousent l’évolution norvégienne, seuls 45 % des salariés le seraient à cette échéance et les syndicats accuseraient 2,1 millions de membres en moins. Revenir aux taux des jours glorieux nécessiterait pour ces organisations d’enregistrer plus de 2 millions de membres supplémentaires en 2030.
Syndicats fragilisés
Or, d’une part, les plus jeunes se détournent des syndicats. Il n’est plus naturel (et bien vu) d’être membre d’un syndicat. C’est pourquoi les discours des principaux syndicats nordiques sont de plus en plus centrés sur la nécessité de recruter de nouveaux membres. D’autre part, l’Europe du Nord est devenue plus attractive en matière d’immigration (surtout la Suède et la Norvège) et de nombreux travailleurs peu qualifiés se retrouvent aux marges du marché du travail ou dans des secteurs de plus faible syndicalisation, créant une dualisation inconnue à ce jour.
Une conclusion pourrait être qu’en devenant moins exceptionnels par rapport aux autres pays européens, tout en gardant de solides atouts, les pays scandinaves continuent à fournir un modèle certes plus modeste et contradictoire. Celui-ci pourrait néanmoins permettre des échanges et des apprentissages communs plus riches qu’auparavant, lorsque ces pays apparaissaient comme une sorte de graal par nature inaccessible.
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