Opinion

Benoît Hamon, une voix politique pour l’économie sociale et solidaire

6 min
Timothée Duverger Ingénieur de recherche à Sciences Po Bordeaux, responsable de la Chaire Territoires de l’ESS (TerrESS)

Benoît Hamon a été élu, mercredi 10 avril, à la présidence d’ESS France, la structure représentative de l’économie sociale et solidaire (ESS) qui en fédère les organisations nationales et régionales. A l’origine de la loi relative à l’ESS de 2014, dont nous célébrons les dix ans cette année, il entend poursuivre le travail de son prédécesseur, Jérôme Saddier. Ce dernier, président du Crédit coopératif, a notamment œuvré depuis 2019 en faveur de l’unité et de la mise en mouvement de l’ESS, au travers de son projet de « République de l’ESS ». Un bilan unanimement reconnu.

Ancien militant socialiste et fondateur du parti Génération.s, député européen, ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire et à la Consommation, puis ministre de l’Education nationale, Benoît Hamon vient apporter un poids politique important à ce champ.

Avec Benoît Hamon, c’est bien en effet le projet politique de l’ESS qui est renforcé à un moment charnière. Le Conseil supérieur de l’ESS a récemment adopté un avis qui, tout en reconnaissant les apports majeurs de la loi de 2014 du point de vue de la clarification juridique de ce domaine, a aussi souligné que « les objectifs fixés par la loi n’ont pas été atteints, en raison d’un manque de mise en œuvre politique ou d’un manque de moyens ».

La newsletter d'Alternatives Économiques

Chaque dimanche à 17h, notre décryptage de l'actualité de la semaine

A la veille des élections européennes, c’est le même reproche qui est adressé par Social Economy Europe au plan d’action de la Commission en faveur de l’économie sociale. En France, la récente nomination d’un délégué ministériel à l’ESS chargé d’une feuille de route ambitieuse suscite des attentes.

Des convictions

Dans sa lettre de candidature, Benoît Hamon a fait part de quatre convictions. La première concerne sans surprise le financement de l’ESS. Il souhaite que « le gouvernement hisse sa considération pour l’ESS au rang qui est réellement le sien dans l’économie ». C’est la raison pour laquelle il critique le plan d’économies budgétaires annoncé par Bercy qui ampute l’ESS de 2 milliards d’euros, comme l’a relevé l’Udes, le syndicat d’employeurs du secteur.

Il reprend à son compte les revendications pour une loi de programmation en faveur de l’ESS, c’est-à-dire un financement pluriannuel, ainsi qu’un crédit d’impôt à destination des associations pour soutenir l’innovation sociale.

Sa deuxième conviction est qu’il faut proposer un « triple débordement ». Il souhaite ainsi la création de nouveaux indicateurs de richesse, plus favorables aux acteurs associatifs, coopératifs et mutualistes, à l’aune desquels évaluer les politiques publiques. Benoît Hamon appelle également à l’intégration de l’ESS à la diplomatie économique française pour faire rayonner ses modèles à l’étranger.

Enfin, il veut encourager la transformation des entreprises conventionnelles en coopératives ou en sociétés commerciales de l’ESS, notamment par l’établissement de fonds de conversion. Le secteur des médias est cité en exemple pour renforcer son indépendance.

Sa troisième conviction porte sur la démarchandisation du secteur des services à la personne, de la petite enfance au grand âge, notamment à la suite du scandale Orpéa. Benoît Hamon ne cherche cependant pas à cliver, à opposer les modèles, mais appelle au contraire à des coalitions avec les entreprises conventionnelles, notamment les entreprises à mission ou celles qui s’engagent dans le mécénat dont bénéficient les organisations de l’ESS.

Sa dernière conviction repose sur la stratégie de développement territorial de l’ESS, ce qui passe entre autres par un rattrapage des moyens alloués aux chambres régionales de l’ESS (Cress) par rapport aux chambres consulaires, qui doit s’accompagner d’une politique de structuration des filières de l’ESS ainsi que de développement de la commande publique responsable. Il se montre enfin attaché aux expérimentations de l’ESS, des territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) aux pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) en passant par les monnaies locales ou le commerce équitable.

Faire de la politique autrement

Cet investissement de Benoît Hamon en faveur de l’ESS vient prolonger un changement dans son parcours, lorsqu’il annonçait il y a trois ans dans Le Monde quitter la vie politique pour rejoindre l’ONG Singa Global, dont il est encore le directeur général. Déjà, il témoignait de son nouvel engagement associatif :

« J’ai moins envie de participer au débat public sous la forme classique, mais j’ai ressenti le besoin d’être davantage dans l’action. […] Je ne dénigre pas la politique, j’encourage les gens à s’engager. Mais si on prend le féminisme, le mouvement #MeToo a eu beaucoup plus d’impact sur le comportement des hommes et les lois que vingt ans d’action institutionnelle classique. Sur le plan du climat, la mobilisation citoyenne a eu beaucoup plus d’impact sur l’appui des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) que la totalité des ministres de l’écologie réunis. »

Ce tournant fait écho à la reconversion de nombreux militants qui ont décidé de rejoindre l’ESS, contribuant à sa structuration politique. Pour bien le comprendre, il faut en relever la filiation rocardienne. C’est Michel Rocard qui le premier a reconnu l’économie sociale en France dans les années 1980 en lui donnant une définition juridique ainsi qu’une ébauche de politique publique. Or Benoît Hamon est entré en politique avec les jeunes rocardiens dans les années 1980. Un engagement qu’il partage avec son prédécesseur Jérôme Saddier, qui a défendu avec lui la loi de 2014 en étant à son cabinet lorsqu’il était ministre.

Le rocardisme a été façonné dans le creuset de l’autogestion, dont il a longtemps porté la bannière. C’était une manière de redéfinir les rapports entre l’Etat et la société, de faire de la politique autrement. A condition de s’autonomiser, la société civile peut être le lieu d’une revitalisation démocratique, d’un renouvellement des engagements, d’un foisonnement des expérimentations.

Reste que la question politique se pose désormais avec acuité. Comment cette affirmation du projet politique de l’ESS va-t-elle être perçue par le gouvernement ?

En Amérique latine dans les années 2000 ou actuellement en Espagne, les expériences internationales ont montré que les politiques en faveur de l’ESS doivent souvent leur essor aux gouvernements de gauche. Il serait cependant risqué de faire reposer le développement de l’ESS sur une alternance plus qu’incertaine.

Quoi qu’il en soit, avec Benoît Hamon, l’ESS s’est donné une voix pour se faire entendre.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !