Tribune

Loi travail et réseaux de franchise : un progrès social essentiel

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Lancement de la franchise Mythic Burger (groupe FL Finance) en juin 2014, à Boulogne. PHOTO : ©Pascal SITTLER/REA
Par Collectif

Ce texte est cosigné par Denys Robiliard, député de Loir-et-Cher, Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire, rapporteur du projet de loi travail, Jean-Marc Germain, député des Hauts-de-Seine, Olivier Faure, député de Seine-et-Marne, Jean-Patrick Gille, député d’Indre-et-Loire et Gérard Sebaoun, député du Val-d’Oise.

Le projet de loi travail adopté le 13 mai dernier en première lecture reprend un amendement que nous avions porté ou soutenu : celui-ci prévoit de doter les réseaux de franchise d’un embryon de comité d’entreprise et de délégués syndicaux.

Il s’agit là d’une innovation importante pour tenir compte de la réalité de la structuration du tissu économique et corriger l’écart qui s’est creusé entre les droits des salariés des petites et des grandes entreprises. Il est essentiel que le gouvernement et les parlementaires tiennent bon à l’occasion de la seconde lecture de la loi face à l’intense lobbying du patronat contre ces dispositions novatrices. 

Les franchises, des réseaux qui se développent rapidement

La franchise, c’est un accord par lequel une entreprise concède contre rétribution le droit à une autre d’utiliser sa marque, son savoir-faire, de bénéficier d’une assistance et/ou de distribuer ses produits. Peuvent s’y ajouter la mutualisation de certaines fonctions, notamment celle des achats et des ressources humaines. Ce système a les faveurs de marques prestigieuses : les restaurants McDonald’s, les magasins de vêtements Celio, les garages Feu Vert, les hôtels Ibis ou encore les coiffeurs Jean-Louis David en sont quelques exemples connus.

Sur la dernière décennie, le développement des franchises a été impressionnant : entre 2003 et 2015, le nombre de franchiseurs a été multiplié par 2,4 et celui des franchisés a doublé, selon la Fédération française de la franchise. On dénombrait l’an dernier 1 834 réseaux qui animent 101 000 points de vente (dont 69 500 tenus par des franchisés) et emploient 750 000 salariés (dont 340 000 chez des franchisés).

Les salariés sont les grands perdants du développement des réseaux de franchise

La franchise est intéressante pour le franchiseur : il met à disposition sa marque mais c’est le franchisé qui assume les risques financiers. Le franchisé s’y retrouve, car ce système lui permet de se lancer tout en bénéficiant de la visibilité d’une marque connue et d’un savoir-faire qui a fait ses preuves. Quant au consommateur, il accède ainsi à des services standardisés à la qualité contrôlée.

Les salariés des franchisés sont en revanche les grands perdants de l’affaire : ils sont en effet coupés de tout lien juridique, tant avec les salariés des autres franchisés qu’avec le franchiseur et sont considérés comme appartenant à des unités totalement indépendantes, en général de petite taille : un établissement franchisé emploie en moyenne 4,9 salariés.

Pourtant, en pratique, ils appartiennent bien à un réseau qui forme une « quasi-entreprise » : les produits et services vendus font l’objet d’une politique commune et le franchiseur va parfois jusqu’à imposer les équipements, l’organisation du travail, les horaires d’ouverture et même les tenues des employés.

L’absence de dialogue social

Cela pose problème à plusieurs titres. Tout d’abord, en termes de progression professionnelle, les salariés des franchisés ne bénéficient évidemment que de perspectives très limitées au sein de leur entreprise. De même, dans le cas où un magasin franchisé périclite, avec suppression de postes à la clef, l’obligation de reclassement, qui incombe à tout employeur, se révèle chimérique au sein d’une entreprise ne comptant souvent qu’une poignée de salariés.

Enfin, en termes de dialogue social (et de ses bénéfices pour les salariés), l’injustice est criante vis-à-vis des groupes intégrés. Le seuil donnant droit à des délégués du personnel est fixé à onze salariés, au-dessus de l’effectif moyen d’un établissement franchisé. Quant au seuil de 50 salariés qui permet de créer un comité d’entreprise, il est très rarement atteint.

Directement salariés par le franchiseur, les employés des franchisés auraient droit à des représentants du personnel, un plan de formation, une négociation annuelle obligatoire sur les salaires et les élus du personnel disposeraient de moyens pour exercer leurs missions, etc.

Le gouffre entre les droits sociaux des salariés des grands groupes et de ceux des PME constitue l’une des injustices les plus grandes

Depuis trente ans, cet écart s’est creusé entre les droits très limités des salariés des PME et ceux des salariés des grandes entreprises. Ce gouffre constitue aujourd’hui l’une des injustices les plus importantes au sein d’une société où neuf personnes en emploi sur dix sont salariées.

Avec la possibilité de mettre en place une représentation collective dans les réseaux de franchise employant plus de 50 salariés – selon des modalités à négocier entre employeurs, franchisés et franchiseurs, et organisations syndicales – l’amendement à la loi travail commence donc à corriger cette injustice. Les obligations prévues ont cependant, bien entendu, une portée significativement plus faible que celles qui s’appliquent aux grands groupes intégrés.

Les organisations patronales crient au loup

Comme toujours, les organisations patronales montent au créneau en prétendant qu’un tel progrès social menacerait la survie des réseaux de franchise. Comme on l’a constaté déjà depuis deux siècles au sein des entreprises classiques, il n’en est rien : au contraire, le fait d’intégrer davantage les salariés au fonctionnement du réseau, accroissant ainsi leur sentiment d’appartenance à un projet commun, va contribuer à limiter le turn-over dans ces entreprises et accroître leur attractivité sur le marché de l’emploi tout en améliorant la qualité des prestations rendues et la productivité des salariés.

Malgré le lobbying intense de certaines organisations patronales, il est donc essentiel que le gouvernement maintienne le cap pour permettre un progrès social adapté aux réalités du XXIe siècle.

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