Hors de contrôle

L’Union européenne est incapable de trouver une solution à la crise grecque

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Lorsque ce texte a été terminé (le 29 juin au matin), personne ne savait comment la confrontation entre la Grèce et les 17 autres pays de l’Euro-groupe finirait. Tout est possible. La crise a atteint un tel enchaînement précipité, que personne n’est en mesure de contrôler entièrement le processus. Il se pourrait encore, jusqu’à la dernière minute, qu’un compromis soit trouvé. Le fait qu’Obama ait appelé Merkel le dimanche 29 juin, indique qu’il y a une pression de Washington pour maintenir la Grèce dans la zone euro pour des raisons géopolitiques. Mais il pourrait aussi y avoir une insolvabilité et, dès lors soit par accident soit par intention, un Grexit.

Indépendamment de la façon dont le drame va se poursuivre, le dommage est déjà énorme et irréversible. De l’extérieur, la situation ressemble à un gâchis total. Comparé à la somme des problèmes extraordinaires à laquelle l’UE est confrontée – migration, Ukraine, Brexit, populisme de droite, crise économique et chômage dans de nombreux Etats-membres – la question grecque semble presque le plus facile à gérer. Ainsi, vu de Rio, Tokyo ou Pékin, le vouloir-être super-puissance de l’UE semble plutôt ridicule.

Le référendum grec, trop démocratique pour l’UE

A y regarder de plus près, on peut voir un abîme de jeu de puissance brutale et de chantage de la part du néolibéral Goliath contre le David grec. Goliath ne peut pas admettre qu’un pays dont la population est complètement épuisée et déprimée par cinq années d’échec de gestion de la crise, puisse avoir droit à l’autodétermination démocratique. Le fait, que le référendum est ressenti comme un choc par l’Euro-groupe rend compte en profondeur de la perception de la démocratie. Dans une déclaration adressée lors de la réunion des ministres des Finances, le représentant de la Grèce, Yannis Varoufakis, avait rappelé que son « parti avait enregistré 36 % des voix et le gouvernement dans son ensemble, un peu plus de 40 %. Pleinement conscients du poids considérable de notre décision, nous nous sentons obligés de soumettre la proposition des institutions au peuple de la Grèce ».

Le ministre des Affaires étrangères allemand a qualifié le référendum de prise en « otage » du peuple grec

Mais un tel raisonnement semble étranger aux « institutions » et aux principaux gouvernements. Jeroen René Victor Anton Dijsselbloem, ministre néerlandais des Finances et président de l’Eurogroupe, a qualifié la décision grecque de « déloyale » après que la Grèce ait refusé d’avaler l’ultimatum qu’il avait proposé. Encore une fois les sociaux-démocrates sont en pointe quand il s’agit de propagande et de calomnie contre la Grèce. Le ministre des Affaires étrangères allemand Frank-Walter Steinmeier, a même qualifié le référendum comme la prise en « otage » du peuple grec.

Mais cela ne devrait pas être une surprise. Les élites eurocratiques ont l’habitude de prendre des décisions historiques sans consulter le pouvoir souverain en démocratie, les citoyens. Ainsi, le traité de Lisbonne, qui a remplacé un projet de constitution, après son rejet par référendum en France, aux Pays-Bas et de l’Irlande en 2005 ou les mesures de grande ampleur dans la gestion de crise depuis 2008, sont mis en œuvre dans une sorte d’urgence permanente.

Ceux qui espèrent une UE sociale et démocratique devraient être définitivement désabusés par l’expérience grecque

On ne peut qu’être d’accord avec le commentaire de Krugman dans le New York Times : « Si vous me le demandez, ce fut un acte de folie monstrueuse de la part des gouvernements créanciers et des institutions que de pousser les choses jusqu’à ce stade. Mais ils l’ont fait, et je ne peux pas du tout blâmer Tsipras de se tourner vers les électeurs, plutôt que de ne s’en remettre qu’à eux-mêmes. » L’expérience grecque ajoute un nouveau chapitre dans la longue histoire du déficit démocratique de l’UE. Ceux qui espèrent depuis 25 ans une UE sociale et démocratique devraient maintenant être définitivement désabusés par l’expérience grecque.

Par ailleurs, il est intéressant de lire l’ensemble de la déclaration de Varoufakis. L’information politique de l’Eurogroupe est très opaque. Ils publient les seuls documents que la plupart des médias relient aux déclarations de responsables politiques qui, bien sûr, sont toujours biaisées par leurs intérêts stratégiques et leur rejet du blâme sur les autres, tandis que la position grecque n’apparaît guère. Syriza a également publié le projet d’accord que l’Eurogroupe a refusé. On y voit, par exemple, que des déclarations à la télévision comme celle de Martin Schulz, chef du Parlement européen, comme quoi ils avaient renoncé à augmenter la TVA grecque, ne sont tout simplement pas vraies. Soit Schulz ne sait pas de quoi il parle, soit il ment.

L’UE à un tournant

Quoi qu’il se passe avec la Grèce dans l’avenir, tout le drame est un indice supplémentaire de ce que l’UE arrive à un tournant de son histoire. Trop de lourds problèmes en suspens, à commencer par la monnaie. Economiquement, c’est un contresens que d’avoir une monnaie commune dans un tel groupe hétérogène d’économies sans Etat fédérateur unique. La crise économique et l’échec de la gestion de celle-ci accroissent encore les asymétries. Les tendances centrifuges augmentent. Même si un autre référendum, celui du Royaume-Uni, ne devrait pas conduire à un Brexit, il y aura, dans tous les cas, un relâchement dans les règles et règlements.

Le numéro de téléphone de l’UE n’est, ni Juncker, ni Tusk, mais Merkel

La tendance centrifuge sera renforcée par un autre développement important : comme mentionné ci-dessus, Obama a téléphoné à Merkel pour exprimer l’intérêt des Etats-Unis pour le cas de la Grèce. Ce qui semble être un détail banal, révèle une nouvelle dimension de la situation dans l’UE. Un bon mot d’Henry Kissinger en donne un raccourci. Interrogé quant à son opinion sur l’Union européenne, il avait l’habitude de dire : « Quel est le numéro de téléphone de l’UE ? » Aujourd’hui, on a répondu à la question de Kissinger. Le numéro de téléphone de l’UE n’est, ni Juncker, ni Tusk, mais Merkel.

Hégémonie allemande

En d’autres termes, les crises des sept dernières années ont servi de catalyseur pour l’établissement d’une hégémonie allemande ou, comme on l’appelle dans le discours dominant : le leadership allemand. Le problème cependant, est que trop de gens et certains gouvernements se souviennent encore que le mot allemand pour leader est Führer. Bien que l’Allemagne contemporaine ne puisse en aucun cas être comparée à l’époque où l’Europe a été intégrée sous leadership allemand de l’Atlantique à Stalingrad, la crise actuelle a montré la facilité avec laquelle les spectres du passé peuvent être mobilisés.

En particulier, les anciens dirigeants à Londres et à Paris ne sont guère enthousiastes quant à la nouvelle hiérarchie. Obama est conscient de cela et sait que les capacités allemandes sont limitées et contestées par les rangs inférieurs de la hiérarchie informelle. Cela augmente l’influence des Etats-Unis sur les questions européennes.

L’UE décline fortement. Ce ne sera pas freiné par la récente proposition de Juncker, Tusk, Schulz, Dijsselbloem et Draghi1 pour un bond en avant dans l’intégration de la zone euro. Ce plan ne fonctionnera pas, dans la mesure où la plupart des pays ne sont pas prêts à suivre cette voie. Afin de ne pas retomber dans la fragmentation nationale complète, il serait sage de redéfinir l’avenir de l’UE, la question dite de la finalité. Il est temps de dire définitivement adieu au rêve des Etats-Unis d’Europe. Au lieu de cela, plus de flexibilités et plus d’ouverture interne vers le monde extérieur sont obligatoires. Nous avons besoin de moins de centralisations et plus de diversité. Cela signifie désintégration sélective dans certains domaines, tels que la monnaie commune et intégration sélective dans d’autres domaines, pour les énergies renouvelables par exemple.

L’ouverture sur le monde extérieur pourrait signifier, développer des liens plus étroits avec la région du Maghreb et de la Turquie ou en reprenant l’idée d’un espace économique de Vladivostok à Lisbonne, comme suggéré par le Prince des Ténèbres au Kremlin et globalement accepté par Merkel dans l’accord Minsk II. Nous avons besoin de réalisme, par d’eurosomantisme plutôt que d’euromanticisme !

Peter Wahl est économiste, membre du Conseil scientifique d’Attac Allemagne.

Traduction : Jacques Cossart

  • 1. Achever l’union économique et monétaire de l’Europe. Rapport: Jean-Claude Juncker, en étroite coopération avec DonaldTusk Jeroen Dijsselbloem Mario Draghi et Martin SchulzAchever l’union économique et monétaire de l’Europe. Rapport: Jean-Claude Juncker, en étroite coopération avec DonaldTusk Jeroen Dijsselbloem Mario Draghi et Martin Schulz.

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