Environnement

Va-t-on manquer d’eau potable ?

10 min

[Les nouvelles guerres de l’eau] Prioritaire sur les autres usages de l’eau mais tributaire de ceux-ci, l’approvisionnement en eau potable va connaître des tensions croissantes alors qu’il dispose de marges de manœuvre réduites.

PHOTO : Marine Joumard
Dossier 2/5

Vous avez aimé la sécheresse de 2022 ? Vous adorerez celle de 2023. Début mai, quatre communes des Pyrénées-Orientales ont déjà été ravitaillées avec des bouteilles d’eau, les pompiers de la zone ont été contraints...

Vous avez aimé la sécheresse de 2022 ? Vous adorerez celle de 2023. Début mai, quatre communes des Pyrénées-Orientales ont déjà été ravitaillées avec des bouteilles d’eau, les pompiers de la zone ont été contraints de pomper dans les piscines et la majorité du département a été placée en situation de « crise », le niveau d’alerte sécheresse le plus élevé.

Les arrêtés préfectoraux restreignant l’usage de l’eau potable concernent déjà des dizaines de villes métropolitaines et la France doit, une nouvelle fois, gérer des conflits d’usage sur le précieux liquide.

Les départements concernés par ces restrictions de niveau « alerte », « alerte renforcée » ou « crise » sont tous plus nombreux que l’an dernier à la même date.

Le rapport d’inspection sur la gestion de la sécheresse de 2022 vient pourtant à peine de paraître. S’ il juge que « le pire a été évité » l’année dernière, il estime que plus d’un millier de communes ont dû mettre en place des mesures exceptionnelles, dont « 343 ont dû transporter de l’eau par camion, et 196 distribuer des bouteilles d’eau ».

Le document alerte sur l’impré­paration de la puissance publique et « la persistance de vulnérabilités dans notre système de production et de distribution d’eau potable face au changement climatique » :

« La probabilité que des scénarios plus sévères se réalisent dans l’avenir est forte et (...) les solutions de secours simples comme la distribution de bouteilles ou le citernage pourront faire défaut, notamment si celles-ci doivent être apportées simultanément à de nombreuses communes, voire une grande ville. »

Enormément de territoires présentent des fragilités. Une bande de l’Hexagone allant de la Champagne jusqu’au bassin de la Garonne, en passant par le Bassin parisien et le Poitou-Charentes, ainsi que des localités du pourtour méditerranéen et de la vallée du Rhône sont déjà classées en « zone de répartition des eaux », car la ressource y est structurellement inférieure aux besoins de la population, et les seuils de déclaration et d’autorisation de prélèvement y sont abaissés.

« On ne peut pas exclure des problèmes d’approvisionnement sur de grands bassins ces prochaines décennies, et pas seulement sur des captages isolés, car il y aura des sécheresses pluriannuelles. Cela pourrait même toucher la région parisienne, pourtant bien alimentée par les barrages sur la Marne et la Seine, s’inquiète Régis Taisne, chef du département cycle de l’eau de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. S’il n’y a plus d’eau dans le réseau d’une petite ville, on peut ravitailler avec un camion-citerne, mais si c’est dans une grande ville, il faudra évacuer. »

Une gestion inefficace et inadaptée

Difficile de prévoir à quel point ces tensions vont s’étendre et s’intensifier. « Il est compliqué de faire de la prospective quand on a déjà du mal à savoir ce qui s’est passé il y a quelques mois », ironise ­l’expert. En effet, selon le rapport d’inspection, l’Etat agit à l’aveugle, car « aucun système d’information ne recense actuellement les tensions que rencontrent les communes en période de sécheresse en matière d’eau potable ».

La mission pointe le manque d’anticipation des pouvoirs publics mais aussi des restrictions trop tardives ou laxistes. L’essentiel de ses dix-huit préconisations vise donc à mieux organiser les multiples acteurs publics compétents sur l’eau pour prévoir les sécheresses, à leur donner les moyens techniques de gérer celles-ci en temps réel, et à coordonner leur action et leur communication.

Mais le problème se pose au-delà des crises : la multiplicité de décideurs aux intérêts parfois contradictoires rend la gestion de l’eau « inadaptée » à la nouvelle réalité du réchauffement, estime la Cour des comptes dans son rapport annuel 2023.

La multiplicité de décideurs aux intérêts parfois contradictoires rend la gestion de l’eau « inadaptée » à la nouvelle réalité du réchauffement

Elle recommande de rapprocher les découpages administratif et hydrographique du pays, en accélérant le déploiement des schémas d’aménagement et de gestion des eaux (Sage), qui réunissent les utilisateurs de l’eau à l’échelle d’un sous-bassin et les pouvoirs publics (élus, services de l’Etat…) afin de planifier l’usage de la ressource.

Une partie de ces mesures ont été reprises dans le plan eau présenté par Emmanuel Macron le 30 mars dernier, mais dont l’ambition manque sur l’essentiel : la sobriété.

Alors que l’objectif de baisse des prélèvements fixé par les Assises de l’eau en 2019 a été repoussé par le président, le rapport d’inspection appelle à le respecter, et juge que « seules des politiques de transformation de nos usages de l’eau dans la durée permettront d’éviter les ruptures brutales ».

Car même si le code de l’environnement impose de privilégier l’approvisionnement en eau potable, la sécurité civile et la santé, ces services ne peuvent être assurés que si les autres usages – économiques – de l’eau ont suffisamment préservé la ressource.

« L’eau potable reste tributaire des autres usages, ce qui veut dire que la sobriété pour tous les secteurs – en particulier l’irrigation – est indispensable, explique Olivier Petit, maître de conférences en économie à l’université d’Artois et chercheur au Clersé (CNRS-université de Lille). D’autant plus qu’il sera difficile de diminuer de plus de 10 % la consommation d’eau potable du ménage moyen, car ses usages sont très contraints. »

Économiser au maximum

Cela dit, tout litre superflu est bon à économiser. Alors que faire ? Plusieurs incitations à la sobriété individuelle sont prévues dans le plan eau, notamment la tarification progressive qui facture le mètre cube plus cher à partir d’un certain seuil, afin d’éviter la surconsommation.

Le chef de l’Etat a chargé le Conseil économique, social et environnemental (Cése) d’y travailler, et l’instance elle-même a préconisé la mesure – en complément de la sobriété – dans un récent rapport.

Pour Régis Taisne cependant, des obstacles techniques restent à surmonter pour ne pas pénaliser les familles nombreuses ou favoriser les résidences secondaires. L’expert vante plutôt « les appels à la sobriété, qui se révèlent efficaces en cas de tension, même dans des zones touristiques, avec des baisses de 15 à 20 % constatées ». Sur ce plan, un « Ecowatt de l’eau », permettant aux particuliers de connaître les tensions et restrictions sur leur territoire, est en préparation.

En plus de la sobriété, plusieurs leviers d’efficacité peuvent aussi contribuer à économiser l’eau potable. Par exemple, la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) ou de celles issues des pluies.

Le chef de l’Etat veut que 10 % de ces eaux « non conventionnelles » soient réutilisées d’ici à 2030, contre moins de 1 % aujourd’hui. La France ne compte en effet que quelques dizaines de dispositifs de réutilisation pour l’irrigation, l’arrosage des espaces verts ou des golfs.

D’autres pays s’en servent déjà pour recharger leurs nappes ou produire de l’eau potable, et une expérimentation de ce type va d’ailleurs démarrer en Vendée. Mais la technique n’est pas magique et ne crée pas d’eau nouvelle. Si bien que sa captation, après sa première utilisation et son retraitement, provoque une baisse du débit des cours d’eau où elle devait être rejetée.

Par ailleurs, il faut que cette eau réutilisée respecte les seuils sanitaires pour servir à l’irrigation ou être potable – ce qui augmente son coût de traitement. Pour les ONG environnementales comme pour le Cerema, auteur d’un rapport sur le sujet en 2020, il faut d’abord « infléchir la demande en eau ».

Grands travaux cherchent financements

Une mesure fait cependant l’unanimité : accélérer la rénovation des réseaux d’eau potable, dont le taux de fuite atteint 20 % au niveau national et jusqu’à 50 % dans certaines zones rurales. Le plan eau promet 180 millions d’euros annuels supplémentaires pour y parvenir, mais les besoins d’investissements se chiffreraient plutôt à 1,5 milliard par an, selon le cabinet Carbone 4.

Et en plus de ce nécessaire chantier, « il serait utile de doubler les réseaux d’eau dans les constructions neuves : eau potable pour les usages alimentaires, et eau non potable pour les usages non alimentaires, comme la chasse d’eau », défend Olivier Petit.

Au-delà des aspects quantitatifs, la qualité de l’eau potable est aussi menacée par le réchauffement climatique, provoquant des précipitations plus concentrées, donc des crues qui saturent les systèmes d’assainissement, et réchauffant l’eau, ce qui favorise le développement de bactéries.

Enfin, en réduisant les masses d’eau (cours d’eau, nappes phréatiques…), le réchauffement augmente leur concentration en polluants (pesticides, nitrates, composés per- et polyfluoroalkylés…).

C’est pourquoi le Cése recommande de réduire les intrants en agriculture, de diminuer les cheptels et d’obliger les industriels à traiter tous leurs rejets. Il préconise aussi, comme tous les experts, de sauvegarder et restaurer les zones humides (marais, marécages…) qui font office « d’éponges » face aux crues.

Au-delà des aspects quantitatifs, la qualité de l’eau potable est aussi menacée par le réchauffement climatique

En dégradant la qualité et la disponibilité de l’eau, le réchauffement augmente son coût de captage, de potabilisation et d’assainissement (le « petit cycle de l’eau »), tout en obligeant à investir pour la protection des milieux aquatiques ou la renaturation (le « grand cycle de l’eau »). Mais qui financera ces chantiers massifs ?

« La tentation pourrait être grande de mettre davantage à contribution les usagers de l’eau. Or, ceux-ci financent déjà largement la politique de l’eau à travers les redevances qu’ils versent et qui constituent l’essentiel des ressources des agences de l’eau », conclut un rapport sénatorial de 2022.

Comme le Cése, il plaide pour une augmentation des moyens de ces agences, et donc pour une diversification des sources de financement, notamment en taxant les activités faisant pression sur la biodiversité.

Il s’agit, en bref, de passer du principe « l’eau paie l’eau » au principe « l’eau et les atteintes à la biodiversité paient l’eau », tout en mettant réellement en œuvre le principe « ­pollueur-payeur ».

Emmanuel Macron a certes annoncé une hausse du budget des agences de l’eau, qui passerait de 2,5 à 3 milliards d’euros par an, mais de nouvelles sources de financement seront nécessaires. Et sur ce point, c’est encore le désert.

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Volvic et Vittel accusées de trop pomper

Le symbole est parlant : l’eau manque à Volvic et à Vittel. La première ville, située dans le Puy-de-Dôme, est concernée par un arrêté préfectoral qui interdit l’usage d’eau potable pour laver sa voiture, remplir sa piscine ou arroser en journée les espaces verts.

Pendant ce temps, l’entreprise du même nom, propriété de Danone, est accusée par des associations environnementales de pomper trop d’eau dans la nappe au détriment des écosystèmes en aval. Elle a annoncé une baisse volontaire de 5 % de ses prélèvements, jugée insuffisante par certains riverains.

Situation similaire à Vittel et Contrexéville, dans les Vosges, où Nestlé Waters a suspendu deux de ses six forages alimentant son eau Hépar, en raison des « sécheresses régulières suivies de fortes pluies ». La ville a été reconnue en état de catastrophe naturelle après la sécheresse de 2022, et le contexte y est tout aussi conflictuel.

Un schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage) y est en cours de finalisation, mais des associations estiment d’ores et déjà qu’il préserve trop les intérêts économiques de l’embouteilleur, lequel emploie 1 000 personnes dans les Vosges.

 

Retrouvez notre dossier : « Les nouvelles guerres de l’eau »

 

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Commentaires (3)
Gourou51 28/05/2023
Encore une fois constatons que le défaut d'entretien de nos infrastructures sont des économies de court terme . Combien nous coutent aujourd'hui nos milliers de conduites d'eau percées?
ERIC MARTINEZ 28/05/2023
Excellent article Le changement des pratiques agricoles est un élément central. Puiser dans les réserves avec ou sans bassines pour produire des céréales destinées à l’exportation pour nourrir les animaux de fermes usines c’est choisir de contraindre la population pour favoriser le profit de quelques uns… pour l’industrie je serais surpris que ces pouvoirs publics lui ajoutent des obligations de retraitement ou des impôts.
Elegehesse 27/05/2023
Bon survol de comment sera gérée l'eau quand on on aura commencé de s'en préoccuper. Ya tellement de pays qui en ont moins et y arrivent, que cela devrait être faisable. Perso, ce qui me choque le plus c'est de n'avoir que de l'eau potabilisée sur tous les robinets. Pour boire et cuisiner ya assez d'eau... pour la faire couler et jeter dans les égouts et la mélanger avec déchets, saletés et autres on peut facilement en manquer.
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