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Violences conjugales : faire changer les hommes, mode d’emploi

8 min

Il y a deux ans, le Grenelle contre les violences conjugales avait proposé de systématiser le suivi des hommes violents, en prenant appui sur le travail pionnier des associations. Comment s’y prennent-elles ?

Dénoncer les violences conjugales que l’on subit c’est déjà, nous ont appris les récentes mobilisations féministes, toute une épreuve. Mais, à supposer que celle-ci soit surmontée, qu’advient-il après ? Que faire, en particulier, des hommes qui ont menacé ou frappé leur conjointe et sont susceptibles de récidiver ?

Il y a tout juste deux ans, le Grenelle contre les violences conjugales s’était conclu sur la nécessité d’un...

Dénoncer les violences conjugales que l’on subit c’est déjà, nous ont appris les récentes mobilisations féministes, toute une épreuve. Mais, à supposer que celle-ci soit surmontée, qu’advient-il après ? Que faire, en particulier, des hommes qui ont menacé ou frappé leur conjointe et sont susceptibles de récidiver ?

Il y a tout juste deux ans, le Grenelle contre les violences conjugales s’était conclu sur la nécessité d’un suivi global et systématique des conjoints mis en cause pour des faits de violences au sein de leur foyer. Il avait été acté la création d’ici 2022, dans chaque région, de deux CPCA ou Centres de suivi et de prise en charge des auteurs de violences conjugales. Ces CPCA s’appuient pour la plupart sur des dispositifs pré-existants portés par des structures associatives1. En 2020, le gouvernement a soutenu la création de 18 CPCA, tandis qu’une douzaine de projets de centres supplémentaires ont été sélectionnés à l’été 2021.

Les CPCA ont été articulés avec deux dispositifs d’urgence mis en place (et pérennisés depuis) durant le premier confinement, durant lequel avait été relevée une hausse des signalements de violences conjugales : une plate-forme nationale d’orientation vers l’hébergement des auteurs de violences conjugales, gérée par le groupe SOS Solidarités, ainsi qu’une ligne d’écoute téléphonique nationale Ne frappez pas.

En Franche-Comté, le CPCA Les Remparts a ouvert en s’appuyant sur le travail déjà entamé par les associations locales, dont l’ADDSEA2.

« Nous accompagnions déjà des femmes victimes de violences conjugales », explique son chef de service, Sébastien Girin. « Elles subissent une double peine, devant quitter le domicile en plus d’être victimes de violences. Il nous fallait changer de paradigme. »

L’association met alors en place en 2018 un dispositif, ALTERITE, adressé aux auteurs de violences, comprenant un hébergement dédié, le plus souvent sur adressage de la Justice. Il peut s’agir d’individus placés sous contrôle judiciaire après avoir été évincés du domicile conjugal, ou d’hommes condamnés et placés à l’extérieur (semi-liberté, bracelet électronique, etc.).

Sortir du déni

D’une durée moyenne de quatre mois, l’accompagnement a une double dimension psychologique et sociale. Au rythme de séances hebdomadaires, la thérapeute a pour mission de travailler sur le déni des actes, de permettre un travail d’introspection sur le parcours personnel et familial de l’intéressé, afin de faire émerger chez lui une prise de conscience du potentiel de violence, du recours à celle-ci pour gérer un conflit, et enfin de son retentissement sur la victime.

L’assistante sociale s’occupe, elle, de tout le volet administratif : ouverture de droits sociaux, accompagnement en matière de formation, d’insertion ou de maintien dans l’emploi selon les situations, recherche de logement pour l’après-accompagnement, etc. Il s’agit aussi de s’assurer que la personne suivie puisse participer aux frais d’hébergement (dont une partie est à sa charge), ainsi qu’aux charges locatives du foyer familial, si ce dernier n’a pas été dissous.

Des sessions collectives, animées par le binôme psychologue-assistante sociale, sont également prévues. Durant deux jours et demi, sous forme d’ateliers et de groupe de parole thérapeutique, il s’agit de confronter les représentations des participants à celles de leurs pairs, d’initier chez eux une réflexion, en abordant notamment le rapport à la loi, les relations femmes-hommes, les modes de communication verbale et non verbale, l’expression de ses besoins et émotions, le cycle de la violence, ou encore les stratégies d’évitement de celle-ci sous forme de mises en situation. La prise en compte du point de vue de la victime et de l’impact de la violence sur les éventuels enfants fait également partie des objectifs visés.

La majorité des accompagnements se fait dans le cadre de la contrainte judiciaire. Mais, ce n’est pas l’unique point d’entrée :

« Certains sont volontaires pour poursuivre l’accompagnement à l’issue du contrôle judiciaire, ou sont orientés via des travailleurs sociaux pour des passages à l’acte non judiciarisés, sans hébergement », précise Sébastien Girin.

Financé par les ministères de l’Egalité entre les femmes et les hommes et celui de la Justice, ce CPCA régional dispose d’une quarantaine de places. Au premier semestre 2021, une cinquantaine d’auteurs sous contrainte judiciaire s’inscrivaient dans le dispositif, ainsi que 28 volontaires.

Qui doit payer ?

En Ile-de-France, l’Association pour le contrôle judiciaire en Essonne (ACJE 91) prend en charge depuis 2005 les auteurs sous contrainte judiciaire dans le cadre d’un accompagnement associé à un hébergement. Cette structure a également développé à partir de 2012 des stages de responsabilisation dans le cadre de mesures de composition pénale, ainsi que des stages de sensibilisation adressés à des conjoints repérés dans le cadre de violences circonstancielles faisant l’objet d’un simple rappel à la loi. Bilan : plus de 5 000 auteurs accompagnés.

« On admet depuis quelques années qu’il n’est pas antinomique d’accompagner à la fois les auteurs et les victimes de violences conjugales », François Roques, Fnacav

« On admet depuis quelques années qu’il n’est pas antinomique d’accompagner à la fois les auteurs et les victimes de violences conjugales », soulève François Roques, directeur de l’ACJE 91 et secrétaire de la Fédération nationale des associations et centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales (Fnacav).

La chose n’allait en effet pas de soi. « La prise en charge des auteurs de violences conjugales fait débat au sein des associations féministes, constituées dans une optique d’aide aux victimes et où les financements ne sont pas à la hauteur des besoins », pointe Louise Delavier, responsable des programmes de l’association En avant toute(s). « D’autant qu’une part des budgets pour la prise en charge des auteurs est assurée sur des crédits alloués au titre des droits des femmes. »

C’est le cas des financements de l’Etat dans le cadre des appels à projets 2020 et 2021 pour la création des CPCA, assurés sur un programme budgétaire Egalité entre les femmes et les hommes.

Des résultats probants

Et tout cela, pour quel résultat ? Le gouvernement l’avait assuré dans sa communication autour du Grenelle : « Les résultats en termes de prévention de la récidive [de ces dispositifs, NDLR] sont significatifs. »

« Il n’y a pas à ce jour d’étude nationale sur la récidive des auteurs de violences conjugales concernés, tempère Sébastien Girin. De notre côté, nous avons mis en place une échelle d’évaluation fondée sur l’attribution de responsabilité : il en ressort qu’au début de l’accompagnement, l’auteur tend à attribuer la responsabilité de ses actes violents à la victime, ou encore incrimine le système judiciaire. A la fin, si le travail d’accompagnement a été efficace, il s’en attribue la responsabilité. »

Démarche similaire pour l’association Dans le genre égales, qui assure depuis 2016 des stages collectifs de responsabilisation de quatre jours pour des auteurs de violences conjugales sous contrainte judiciaire. Animés par des professionnels de tous ordres (psychologues, magistrats, une conseillère conjugale, une formatrice en communication non violente, etc.), ils ont là encore pour but de faire émerger une prise de conscience des actes commis et des mécanismes de la violence, de sensibiliser aux conséquences de celle-ci au plan familial et judiciaire, de prévenir la répétition de ces comportements en explorant d’autres manières d’agir, ainsi que de replacer les violences conjugales dans le cadre plus large des inégalités entre hommes et femmes.

« Le discours des auteurs, recueilli par questionnaire anonyme, change par rapport au premier jour du stage, où la majorité des participants est dans le déni », relève Jean-Michel Taliercio, co-fondateur de Dans le genre égales. « Nous travaillons avec eux pour faire prendre conscience que la violence n’est pas inéluctable, qu’il est possible d’apprendre à régler ses problèmes autrement. »

Quant à l’ACJE 91, Sur les 1 793 procédures en contrôle judiciaire qu’elle a conduites 2005 et 2019 inclus, le taux de récidive de violences physiques connues est de 3,5 %. Et il est plus bas pour les stages de responsabilisation entrepris depuis 2012 – 1,7 % – et de sensibilisation créés depuis 2014 – moins de 1 %.

« Cette faible récidive légale montre que ce type de dispositifs fonctionne, analyse François Roques, même s’il faut être prudent, car il peut y avoir des faits répétés qui restent inconnus car non judiciarisés. »

Agir au plus tôt

Au-delà de cette sensibilisation des auteurs de violences conjugales, les acteurs de terrain pointent la nécessité d’une prévention dès le plus jeune âge.

« Depuis 2015, nous intervenons notamment en collège et lycée », explique Louise Delavier, de l’association En avant toute(s). « Les jeunes se questionnent sur les relations filles-garçons, constatent les inégalités femmes-hommes... On s’appuie sur leur parole, sans la juger, pour déconstruire des préjugés sexistes institués par les adultes, les médias, tout ce qui fait le terreau des violences conjugales. »

A travers ces séances de prévention en milieu scolaire, dans les universités, auprès du grand public, ou encore la formation de professionnels en lien avec de jeunes publics, l’association touche plus de 1 500 personnes en moyenne par an.

« La lutte contre le sexisme, ce devrait être partout et tout le temps, s’exclame de son côté Jean-Michel Taliercio. Les choses bougent, mais l’action publique sur ce volet reste insuffisante. »

La réalité virtuelle à la rescousse

Le mois dernier, une expérimentation d’usage de casque de réalité virtuelle à destination d’auteurs de violences conjugales a été lancée par le Ministère de la Justice à Lyon, Meaux et Villepinte : une immersion propulsant l’utilisateur dans le quotidien d’un couple avec enfant, une famille où règnent les violences conjugales, selon un scénario réalisé en lien avec des experts. Objectif : faire émerger l’empathie chez l’auteur de violences, déclencher le dialogue, inciter à la réflexion. Et ne pas oublier la place de l’enfant, témoin de la situation, sur lequel les conséquences psychologiques peuvent être importantes.

La réalité virtuelle à la rescousse

Le mois dernier, une expérimentation d’usage de casque de réalité virtuelle à destination d’auteurs de violences conjugales a été lancée par le Ministère de la Justice à Lyon, Meaux et Villepinte : une immersion propulsant l’utilisateur dans le quotidien d’un couple avec enfant, une famille où règnent les violences conjugales, selon un scénario réalisé en lien avec des experts. Objectif : faire émerger l’empathie chez l’auteur de violences, déclencher le dialogue, inciter à la réflexion. Et ne pas oublier la place de l’enfant, témoin de la situation, sur lequel les conséquences psychologiques peuvent être importantes.

  • 1. Membres de deux fédérations associatives, Citoyens et Justice et la Fnacav
  • 2. Ainsi que l’AHSSEA près de Vesoul, l’Armée du Salut à Belfort, et Saint Michel le Haut dans le Jura

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Commentaires (9)
Thibaut 22/11/2021
Sur le sujet, de superbes articles dans le dernier 6 mois, dont un article sur les réunions de groupe : https://boutique.4revues.fr/revue6mois-22
BERNABEU YVES-ANDRÉ 21/11/2021
Je suis totalement d’accord avec Jean-Francois. J’ai été choqué par le titre de cet article. Dommage d’altérer la qualité d’un papier par pur souci de faire un titre choc pour attirer la lectrice ou le lecteur. « Changer les hommes violents », ça n’aurait été plus juste ? Votre raccourci est saisissant. Vraiment Dommage !
BERNABEU YVES-ANDRÉ 21/11/2021
Je suis totalement d’accord avec Jean-Francois. J’ai été choqué par le titre de cet article. Dommage d’altérer la qualité d’un papier par pur souci de faire un titre choc pour attirer la lectrice ou le lecteur. « Changer les hommes violents », ça n’aurait été plus juste ? Votre raccourci est saisissant. Vraiment Dommage !
FRANCOIS BEAUJEU 21/11/2021
...lorsqu'un non-lieu est finalement prononcé, 18 mois ou 2 ans + tard, les enfants ont été élevés entre-temps dans l'hostilité à leur père, et le lien parental père - enfants est durablement, sinon irrémédiablement, très endommagé. Si la détermination doit être sans faille pour lutter contre les violences intra-conjugales avérées, un stéréotype sexiste (homme ontologiquement coupable) ne saurait en effacer un autre (la victime "l'a bien cherché").
FRANCOIS BEAUJEU 21/11/2021
...(suite et fin) le jeune homme, nerveusement épuisé, se laisse imposer une amende, et un stage pour "hommes violents". 2) J'ai été témoin, direct ou indirect, de stratégies suivies par certaines mères (encouragées par qq avocat-e-s), alléguant faussement des violences sur elles (quand ce n'étaient pas des agressions sexuelles sur les enfants) pour obtenir d'un juge aux affaires familiales l'interruption des contacts entre le père et leurs enfants; ...
FRANCOIS BEAUJEU 21/11/2021
Tout ceci est bel et bon, et l'actuelle vague féministe fait dans l'ensemble avancer l'égalité F / H. CEPENDANT, afin d'éviter injustices et chocs en retour, il importe de lutter AUSSI contre des effets pervers possibles. 2 ex, vécus directement: 1) Un très proche, agressé par sa compagne (séjours récurrents en HP par ailleurs) l'immobilise en lui tenant les bras ==> bleus aux bras ==> plainte à la police ==> "Monsieur, on sait bien que ce sont les hommes qui sont violents" (dixit policière)...
VERSON THIERRY 20/11/2021
et si on changeait la société, il ne serait pas plus facile de changer les hommes ?
JEAN FRANCOIS PROFIZI 19/11/2021
"Faire changer LES hommes" : tous les hommes sont violents ? L'inconscient sexiste de l'auteure ?
GUILLAUME COSTE 13/12/2021
C'est vrai que cette culpabilisation permanente de l'ensemble des hommes à cause des agissements inqualifiables de certains commence à être usante et, au bout d'un moment, contre-productive... Qui a envie d'adhérer à un discours dans lequel on est systématiquement stigmatisé parce qu'on a le malheur d'être ce qu'on est ?
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