Analyse

Vladimir Poutine en a trop dit sur l’Ukraine pour reculer

6 min

Les déclarations du président russe rendent difficilement concevable tout recul majeur dans l’offensive militaire qu’il a lancée contre l’Ukraine.

Capture d'écran de Vladimir Poutine, lors d'une interview le 12 mai 2020. PHOTO : Xosé Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Spécial Ukraine
Par Yann Mens

Il peut y avoir une part de grandiloquence dans le verbe politique. Mais Vladimir Poutine a trop parlé, avec trop de gravité, ces derniers jours pour que ses mots ne l’obligent pas.

Or, ses mots, c’est d’abord à ses compatriotes qu’il les a adressés les 21 et 24 février. Ils décrivent une vision de la Russie, de son histoire, de son environnement qui...

Il peut y avoir une part de grandiloquence dans le verbe politique. Mais Vladimir Poutine a trop parlé, avec trop de gravité, ces derniers jours pour que ses mots ne l’obligent pas.

Or, ses mots, c’est d’abord à ses compatriotes qu’il les a adressés les 21 et 24 février. Ils décrivent une vision de la Russie, de son histoire, de son environnement qui engage le président russe devant son peuple. Et qui rendent difficilement concevable tout recul majeur dans l’offensive militaire qu’il a lancée contre l’Ukraine. Il est impossible de savoir ce qui dans la rhétorique débordante du président russe relève de sa conviction réelle ou de la propagande cynique.

Mais en réalité, peu importe que Vladimir Poutine croie vraiment à la fable tragique selon laquelle un génocide se déroulait dans le Donbass contre les populations de langue maternelle russe, justification à ses yeux de la reconnaissance par Moscou des républiques auto-proclamées de Donetsk et de Lougansk. Peu importe qu’il pense vraiment que les actuels dirigeants élus par les Ukrainiens sont des « nazis », et à ce titre présumés continuateurs de la collaboration entre certains Ukrainiens et le régime hitlérien durant la Seconde Guerre mondiale. Peu importe qu’il soit persuadé, comme il l’a affirmé le 21 février, que l’Ukraine a l’intention de fabriquer des armes nucléaires avec la possible complicité des pays occidentaux, alors qu’elle a renoncé en 1994 aux bombes soviétiques qui étaient stationnées sur son sol.

Ce qui importe aujourd’hui, c’est que le panorama qu’il a dressé devant ses concitoyens énumère une série de menaces contre lesquelles, si elles étaient toutes réelles, la Russie ne saurait rester passive, sauf à accepter sa soumission à terme.

Résistance ukrainienne

Pour les éradiquer, Vladimir Poutine veut à tout prix obtenir la « démilitarisation » de l’Ukraine qu’il associe à sa « dénazification ». Et comment pourrait-il y parvenir autrement que par la force la plus brutale désormais ? Peut-on croire que par une négociation, les dirigeants élus de l’Ukraine lui céderaient la souveraineté sur leur pays ?

Dans son discours du 24 février, au moment où il annonçait cette « opération militaire spéciale » – que les autorités russes se refusent à qualifier de guerre –, le président russe en appelait aux soldats ukrainiens pour qu’ils déposent les armes et qu’ils refusent d’obéir aux ordres de ce qu’il désigne comme « la junte » au pouvoir à Kiev.

Pour l’heure, cet appel est un échec. Les militaires ukrainiens qui se sont renforcés depuis 2014, année de l’annexion de la Crimée par Moscou, combattent et opposent aux troupes russes, en zone urbaine notamment, une résistance qu’elles n’attendaient peut-être pas au vu de la fantastique disproportion des forces. Et une partie de la population civile, bien qu’inexpérimentée, a saisi à son tour des armes.

La Russie est vouée à se transformer en bourreau, soit directement comme puissance occupante, soit par le biais d’un gouvernement collaborateur

Car, tout à son obsession de rétablir une manière d’empire doté de vastes marches protégeant sa capitale contre des assauts extérieurs, Vladimir Poutine a refusé de voir que le nationalisme ukrainien ne s’est pas dilué depuis le référendum de décembre 1991, qui avait vu 92 % des citoyens du pays voter pour son indépendance au moment de la dissolution de l’Union soviétique. Et qu’en dépit des multiples fautes commises par les dirigeants ukrainiens depuis lors, de leur corruption notamment, les pressions russes, surtout quand elles s’exercent par l’occupation et les armes, ne feront que renforcer cette volonté de souveraineté. Y compris bien sûr chez de nombreux Ukrainiens qui ont le russe pour langue maternelle.

Il est possible bien sûr que la résistance des Ukrainiens s’épuise rapidement dans sa forme actuelle, surtout si les forces russes n’hésitent plus à tuer en masse des civils pour briser le moral de l’adversaire. Mais elle peut aussi se muer en guérilla de long terme dans une partie du pays après la fin des combats conventionnels. Dans tous les cas, la Russie est vouée à se transformer en bourreau, soit directement comme puissance occupante si elle veut s’assurer elle-même de la « démilitarisation » du pays, soit par le biais d’un gouvernement collaborateur chargé de tenir l’Ukraine pour son compte.

Jugement de l’histoire

Comment alors Vladimir Poutine justifiera-t-il devant ses compatriotes les violences que les soldats russes ou leurs auxiliaires infligeront au peuple ukrainien, ces hommes et ces femmes que dans sa harangue du 21 février, il appelait lui-même « nos camarades, ceux qui nous sont les plus chers non seulement des collègues, des amis, des personnes avec qui nous avons servi – mais aussi des parents, des gens auxquels nous sommes liés par le sang, par des liens de famille » ? Tous ceux qui, selon lui, n’auraient jamais dû quitter le giron de la Russie parce que leurs ancêtres ont été des sujets de l’empire tsariste et qu’ils vivent sur une terre qui serait « historiquement russe ».

Aux yeux de Vladimir Poutine, comme il l’a expliqué à plusieurs reprises, l’Ukraine moderne est une création artificielle, fruit d’une décision opportuniste, politicienne, des dirigeants bolcheviques, au moment de la Révolution, mais dans le même temps, il affirme qu’une partie au moins de ses habitants sont indissolublement liés par le sang et par la langue au peuple russe. Dès lors, le gouvernement de Moscou peut-il martyriser, écraser les Ukrainiens ? Le président russe est-il sûr de pouvoir convaincre ses compatriotes que de tels crimes sont légitimes contre des êtres si proches ?

Bien sûr, même si c’est à eux qu’il s’adresse dans ses harangues et même si ce sont eux qui pourraient un jour remettre en cause ses actes terribles, ce n’est pas le jugement de ses concitoyens d’aujourd’hui qui intéresse le plus Vladimir Poutine. Mais celui de l’histoire. En soumettant l’Ukraine, il entend réparer définitivement un tort majeur causé selon lui à la Russie par Lénine, qui fit de l’Ukraine une république soviétique autonome. Et à l’aune de l’histoire, le nombre des victimes n’est sans doute qu’un détail pour le maître du Kremlin.

Pour aller plus loin, retrouvez notre dossier spécial consacré à la guerre en Ukraine.

 

 

À la une

Commentaires (18)
THIERRY HEER 07/03/2022
Oui on peut toujours négocier, Mais rappelez vous ce que disait Churchill à propos des accords de Munich : "Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre ».
VERSON THIERRY 05/03/2022
Et si on s'occupait des intérêts économiques en jeu? Et si on s'intéressait aussi aux populations civiles du Dombass bombardées depuis 2014 par l'armée Ukrainienne? Comdab rien n'est clair et on nous manipule. La seule certitude c'est que ce sont les peuples qui vont payer la casse et que les plus gros vont encore y gagner. Jeu de dupes. On est tous couillons et cocus.
FERNANDO FRANCO 02/03/2022
Je reste perplexe du fait qu'ici tout se joue sur du politique et du rapport geo-stratégique et rien sur le sort du peuple Ukrainien, rien sur le fait que l'Otan, institution supposé dissuasive de conflits, soit à l'origine de la diaspora, de la destruction de toutes les infrastructures d'un pays et du massacre d'une partie importante du peuple Ukrainien. Je me demande qu'est-ce qui légitime l'option de Zelenskii de soumettre le pays et le peuple à cette tragédie plutôt qu'assumer la neutralité.
Françoise CLERC 03/03/2022
La neutralité c'est une fiction. Ce que vise Monsieur Poutine, comme le rappelle Yann Mens, c'est soit l'annexion soit la mise en place d'un gouvernement fantoche comme il l'a fait dans d'autres pays.
Lionel BRAULT 02/03/2022
Le comportement de Mr P. vis à vis de ses collaborateurs laisse interpréter une perversion plutôt qu'une paranoïa. Définie comme une pulsion d'emprise, déviante, au mépris de toutes les règles. Hypothèse peu optimiste: Mr P. sera incapable de reconnaitre ses erreurs, incapables de négocier calmement, mais au contraire conduit à pousser toujours plus loin son agressivité.
JEAN CLAUDE TURINI 06/03/2022
D'accord .sur qq'unMême s'il est toujours hasardeux de pratiquer "le jeu de la psychiatrie" ( Analyse Transactionnelle)...
JEAN CLAUDE TURINI 06/03/2022
D'accord .sur qq'unMême s'il est toujours hasardeux de pratiquer "le jeu de la psychiatrie" ( Analyse Transactionnelle)...
Serge Martin 02/03/2022
L'histoire retiendra aussi que les armées occidentales ont laissé faire l'armée russe, comme en 1939 les armées françaises et anglaises ont laissé l'Allemagne et l'Urss se partager la Pologne. Quand il parle des frontieres M. Poutine ne doit pas oublier celles de 1939 pour la Pologne.
fabien laquay 01/03/2022
Un bon négociateur sait qu’il faut toujours laisser une porte de sortie honorable pour l’adversaire, les parties actuelles sont allées trop loin pour accepter de reculer. Seul le peuple Russe ou les oligarques pourraient nous sortir de cette impasse mais en ont-ils les moyens ou la possibilité ? Les images et les mises en scène des interventions des ministres et généraux en présence de Poutine nous montrent des personnes apeurées, comment imaginer qu’ils auraient le courage de le renverser?
MANUEL LUTZ 01/03/2022
Poutine ne reculera pas, ok. Mais s'il légitime l'intervention de l'armée russe par la démilitarisation de l'Ukraine et la protection des populations du Donbass, ne serait-il pas possible de mettre un terme à ce conflit en proposant l'envoi d'une force internationale d'interposition et de démilitarisation comme l'ONU en a envoyé dans de multiples conflits à travers le monde, sans l'associer à une condamnation faite pour faire échouer une telle résolution ?
MANUEL LUTZ 01/03/2022
La question est : qui veut tenter de mettre un terme à ce conflit au point de proposer cette résolution pour pousser Poutine dans les limites de son discours ? A priori personne. Au contraire, tout le monde joue sa partition à merveille pour aggraver le conflit.
Elegehesse 01/03/2022
le titre ne correspond pas à l'analyse . Poutine, reclus dans ses forteresses est victime de mal information. Il n'a vu ni le nationalisme Ukrainien, ni le renforcement de l'état après la chute/Maidan des oligarques, ni surtout l'imbrication de l'économie russe dans le monde. La Russie s'est mise au banc moral et économique du monde. Pour longtemps on ne pourra plus rien croire de Poutine. Non seulement il va reculer mais il va sauter .
Non renseigné Non renseigné 02/03/2022
Peut-on croire Poutine est une bonne question. Elle s’applique aussi à nos dirigeants occidentaux. La quantité de mensonges infligés chez nous et la partialité médiatique doivent nous inciter à une énorme prise de distance avec tout ça… vu qu’en plus, nul, ici, n’est ministre ou député et ne peut peser sur les décisions à venir…
Elegehesse 01/03/2022
deux belles et riches pages sur l'Ukraine, Université de Laval au Québec Canada. https://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/ukraine-2histoire.htm https://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/ukraine-1demo.htm
Elegehesse 05/03/2022
il semble qu'il faille copier les liens pour que cela marche , le clic dans le message ne semble pas suffire
ANTOINE HIBON 01/03/2022
Erreur 404, merci quand même :;
FRANCOIS AUDIGIER 01/03/2022
Certes, certes... une Ukraine neutre nous arrangerait en nous permettant de retourner à nos petites affaires. Mais qui doit décider d'une telle neutralité? Le tsar Poutine et sa cours de boyards ou les ukrainiens eux-mêmes? Quant à l'exemple de la Suisse, n'oublions pas ce que fut la "neutralité suisse" pendant la 2nde GM. La situation est absolument dramatique. Rêvons un peu, trop de boyards sont dépendants des pays occidentaux et vont, d'une manière ou d'une autre, contraindre le dictateur
JACQUELINE KERGUENO 01/03/2022
J'aime beaucoup l'analyse de Yann Mens. Mais l'UE ne pourrait-elle pas obtenir un cesser le feu en s'engageant à aider l'Ukraine à devenir un État neutre (un peu comme la Suisse) entre la Russie et l'Europe?
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !