Visio-conférence Chine-Union européenne réunissant le président chinois Xi Jinping, le président du Conseil européen Charles Michels, la chancelière allemande Angela Merkel et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le 14 septembre 2020.© Pignatelli/EUC/ROPI-REA
?
Entretien

Accord d’investissements : « L’Union européenne prête allégeance au régime chinois »

6 min
Valérie Niquet Responsable du pôle Asie de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), auteure de La Chine en 100 questions, Paris, Tallandier, 2021.

A la fin du mois de décembre, Bruxelles et Pékin annonçaient la signature surprise d’un accord sur les investissements, parachevant sept longues années de négociations. Selon la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le projet de traité « offrira aux investisseurs européens un accès sans précédent au marché chinois ».

Mais des doutes sont rapidement apparus sur l’intérêt économique du deal, et plus encore sur son opportunité politique alors que le régime chinois se fait de plus en plus répressif : enfermement des Ouïghours en camps de travail, condamnations à de longues peines de prison des opposants de Hong Kong, ou même arrestations sans procès de chefs d’entreprise, comme celui d’Alibaba.

La ratification par les 27 Etats membres et le Parlement européen s’annonce donc délicate. Alternatives Economiques ouvre le débat avec Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et auteure de La Puissance chinoise en 100 questions (éditions Tallandier, 2017, bientôt réédité en poche, refondu).

Alternatives Economiques : quelle est la portée réelle du projet d'accord sur les investissements entre l'Union européenne et la Chine ?

Valérie Niquet : Pour le moment, il est difficile de se prononcer en l’absence de la publication du texte complet de l’accord, mais les gains semblent très limités. Surtout, une partie d’entre eux a déjà été accordée par d’autres engagements de la Chine, par exemple les déclarations de Pékin sur le climat qui sont censées engager la République populaire à l’horizon 2030 puis 2060.

Dans d’autres secteurs, comme les services liés à la santé, l’ouverture n’est garantie que dans certaines zones et peut être remise en cause, comme toujours en Chine où…

 

A la fin du mois de décembre, Bruxelles et Pékin annonçaient la signature surprise d’un accord sur les investissements, parachevant sept longues années de négociations. Selon la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le projet de traité « offrira aux investisseurs européens un accès sans précédent au marché chinois ».

Mais des doutes sont rapidement apparus sur l’intérêt économique du deal, et plus encore sur son opportunité politique alors que le régime chinois se fait de plus en plus répressif : enfermement des Ouïghours en camps de travail, condamnations à de longues peines de prison des opposants de Hong Kong, ou même arrestations sans procès de chefs d’entreprise, comme celui d’Alibaba.

La ratification par les 27 Etats membres et le Parlement européen s’annonce donc délicate. Alternatives Economiques ouvre le débat avec Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et auteure de La Puissance chinoise en 100 questions (éditions Tallandier, 2017, bientôt réédité en poche, refondu).

Alternatives Economiques : quelle est la portée réelle du projet d’accord sur les investissements entre l’Union européenne (UE) et la Chine ?

Valérie Niquet : Pour le moment, il est difficile de se prononcer en l’absence de la publication du texte complet de l’accord, mais les gains semblent très limités. Surtout, une partie d’entre eux a déjà été accordée par d’autres engagements de la Chine, par exemple les déclarations de Pékin sur le climat qui sont censées engager la République populaire à l’horizon 2030 puis 2060.

Dans d’autres secteurs, comme les services liés à la santé, l’ouverture n’est garantie que dans certaines zones et peut être remise en cause, comme toujours en Chine où la conception du droit, y compris le droit international, demeure contrainte par la nature du régime. Enfin, aucun système d’arbitrage n’est prévu au niveau des entreprises.

Qui en profiterait le plus ? La Chine, l’UE, l’Allemagne, certains secteurs ?

En ce qui concerne l’accès aux investissements, la Chine demeure contrainte par les nouvelles règles de contrôle des investissements dans les secteurs stratégiques adoptés par l’Union européenne en 2019. Pékin n’a pas obtenu, semble-t-il, une remise en cause des limites imposées à l’entreprise de télécom Huawei par certains pays.

Pour l’Allemagne, en effet, les enjeux sont plus importants – notamment dans le secteur automobile –, Berlin étant de loin le premier partenaire économique de Pékin en Europe.

Serait-ce surtout un accord pour contraindre les Etats-Unis à se montrer moins offensifs vis-à-vis de la Chine ?

L’Union européenne pouvait espérer un accès au marché chinois plus facile et plus égalitaire pour ses entreprises, ainsi que le moyen – selon certains – de réaffirmer son « indépendance » stratégique face aux Etats-Unis, signal envoyé à la nouvelle administration après quatre ans de trumpisme.

« La Chine devait montrer aux Etats-Unis, avant l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, qu’elle n’est pas isolée »

Pour la Chine, l’annonce de cet accord (quels que soient les délais de ratification) répond à un objectif stratégique et de politique intérieure : il fallait montrer aux Etats-Unis, avant l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, que la Chine n’est pas isolée, pour se doter d’un moyen de pression sur la nouvelle administration en espérant obtenir la remise en cause des sanctions adoptées par Donald Trump.

Il fallait également démontrer à sa population, la supériorité du système politique chinois, auquel même l’Union européenne, en dépit de ses valeurs, prête allégeance.

En bafouant l’accord international sur Hong Kong, Pékin ne vient-il pas de démontrer qu’on ne peut pas contracter avec lui ? Ne serait-il pas logique que la première sanction des pays occidentaux soit de refuser de signer un accord avec la Chine ?

La notion de droit et de respect des engagements ne peut exister pour un régime politique dont toute la stratégie répond à la nécessité de se maintenir au pouvoir. Ce sont les fondements du léninisme, qui dirigent encore aujourd’hui, en dépit des réformes, les choix stratégiques du leadership du Parti communiste (PCC) au pouvoir.

Ces choix peuvent être pragmatiques, d’ouverture ou de reprise en main, le seul facteur décisif est l’analyse que les membres du bureau politique du PCC et son secrétaire général Xi Jinping font des rapports de force.

Le patron d’Alibaba, Jack Ma a « disparu » pendant deux mois, et l’introduction en bourse de sa société a été suspendue sans explication par les autorités, sans doute parce qu’il avait critiqué le secteur bancaire chinois. Cela démontre le peu de protection dont jouissent les entrepreneurs, comme tous les citoyens et résidents en Chine, soumis à l’arbitraire du Parti. Or, le projet de traité sur les investissements ne prévoit aucun mécanisme de protection des investissements. Est-ce le signe de la naïveté des Européens ?

Le cas de Jack Ma est particulièrement intéressant. Il suit de nombreuses arrestations, officielles ou non, de dirigeants de grandes entreprises, souvent sous le prétexte de corruption qui est liée au fonctionnement même du système politico-économique.

Comme dans les dernières années de la dynastie des Qing, avant son effondrement en 1911, le pouvoir se raidit, par peur de l’émergence d’une société civile et de contre-pouvoirs autonomes, comme une bourgeoisie indépendante. Il fait le choix de les briser et d’interrompre les réformes.

Mais ce faisant, c’est la survie du régime qui est mise en danger à long terme, en raison de cette incapacité à accepter les réformes nécessaires.

Le gouvernement chinois, qui envoie les Ouïghours dans des camps de travail, se dit prêt à rejoindre un jour les normes et conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (contre le travail forcé, la liberté de syndicalisation...). Ont-elles la moindre chance d’être mises en œuvre par la direction du PCC ?

La Chine ne s’est en rien engagée, ni sur la mise en œuvre réelle, ni sur la ratification des règles de l’OIT. Comme le soulignait un expert chinois proche du pouvoir, tout ce qui concerne le droit du travail, et notamment la liberté d’association et de syndicat, est intouchable en Chine. Cela fait partie des principes fondamentaux de contrôle du système, et les dirigeants chinois n’ont pas oublié le rôle de Solidarnosc dans l’effondrement du système en Pologne dans les années 1980.

Propos recueillis par Hervé Nathan

À la une

Commentaires (3)
decatjc 20/01/2021
Nous n’avons pas fini de payer les affronts du passé: le sac du Palais d’été, les cinquante-cinq jours de Pékin. L’empire du Milieu est plus ombrageux que l’on ne pense et a la mémoire longue. Notre ultralibéralisme lui est, d’autre part, un allié précieux en s’étant mis sous sa dépendance dans des domaines-clés. Il faut une longue cuillère pour manger avec le diable... or, notre Europe - si tant est que l’on puisse dire "notre" - n’est pas un convive pour la Chine mais un gibier à déguster.
dughera 19/01/2021
on espère en effet que le parlement européen saura enterrer ce projet voulu par merkel et ainsi démontrer que l'europe des citoyens peut encore se construire . en début d'année , il n'est pas interdit d'émettre ce voeu avant de voir les démocratie européennes sombrer dans les démocratures.
Ultec 19/01/2021
On aura compris que Angela Merkel voulait une cerise sur le gâteau avant de quitter ses fonctions, et une autre cerise pour le gâteau de l’industrie allemande, quant au reste de l’Europe ... circulez rien n’à voir!. Chacun joue perso, et Macron passe son temps à raccrocher ses petits wagons à la locomotive; bref, du bluff qui pourrait s’avérer bien contre productif pour l’Europe des citoyens.
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !