Géopolitique

La Chine devra-t-elle revoir ses ambitions sur la scène internationale ?

15 min

Diplomatie du masque d’un côté, rhétorique agressive de l’autre : le régime de Xi Jinping a montré depuis l’apparition du coronavirus des visages contrastés qui confirment sa volonté de puissance sur la scène internationale et qui ont renforcé les inquiétudes que ces ambitions suscitent.

Manifestation à Honk Kong le 29 mai 2020 contre l'adoption la veille par le Parlement chinois du projet de loi sécuritaire que Pékin entend faire appliquer dans cette région administrative spéciale, pourtant censée jouir jusqu’en 2047 d’un régime d’autonomie. PHOTO : LAM YIK FEI/The New York Times-REDUX-REA
Par Yann Mens

Ils sont chinois, diplomates et se qualifient volontiers de « loups guerriers ». Le monde les a découverts à l’occasion de l’épidémie de Covid. Leur surnom est directement tiré de films à succès où des Rambo de l’Armée Populaire de Libération terrassent à tous les coups leurs ennemis américains.

Les diplomates qui se réclament de ces troupes d’élite bodybuildées ne font pas davantage dans la nuance. Le 12 mars, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères affirmait…

 

Ils sont Chinois, diplomates et se qualifient volontiers de « loups guerriers ». Le monde les a découverts à l’occasion de l’épidémie de Covid. Leur surnom est directement tiré de films à succès où des Rambo de l’Armée populaire de Libération terrassent à tous les coups leurs ennemis américains.

Diplomates musclés

Les diplomates qui se réclament de ces troupes d’élite bodybuildées ne font pas davantage dans la nuance. Le 12 mars, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères affirmait sur Twitter que le coronavirus avait pu être introduit en Chine par des militaires américains. Le 27 avril, l’ambassadeur de la République populaire en Australie menaçait le pays, pour qui Pékin est un important partenaire commercial, d’un boycott de nombre de ses produits si les autorités de Canberra persistaient à demander une enquête internationale sur la gestion du coronavirus par la Chine. Plus près de nous, l’ambassadeur chinois en France affirmait le 12 avril que le personnel des Ehpad français avait « abandonné leurs postes du jour au lendemain (…) laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie ».

Un mouvement endogène plus profond inspiré par Xi Jinping et qui entend que la nation chinoise proclame la confiance en sa puissance, sa culture, son idéologie et bien sûr la supériorité de son système politique

Cette violence rhétorique, voire ce complotisme, ne sont pas représentatifs de l’ensemble du corps diplomatique chinois et y font débat. Mais des officiels du niveau de ceux qui se sont ainsi exprimés n’ont pu le faire sans l’aval des plus hautes autorités du pays. C’est-à-dire du cercle rapproché du président Xi Jinping, qui n’a cessé de concentrer le pouvoir autour de sa personne depuis son arrivée au pouvoir fin 2012 et de se présenter en nouveau Mao Zedong.

Bien sûr, une partie de l’agressivité des diplomates chinois est réactive. Du moins lorsqu’elle vise les Etats-Unis et ses plus proches alliés. Elle est le miroir du discours extrêmement belliqueux de l’administration Trump qui, non contente d’avoir lancé depuis 2018 une guerre commerciale contre la Chine, n’a cessé de parler ces deniers mois du « virus de Wuhan » pour désigner le coronavirus et d’attribuer la responsabilité de sa propagation à la Chine, au point de rendre impossible l’adoption d’une résolution sur l’épidémie par le Conseil de sécurité de l’ONU.

Mais la hargne des loups guerriers est aussi le reflet d’un mouvement endogène plus profond. Inspiré par Xi Jinping, il entend que la nation chinoise proclame la confiance en sa puissance, sa culture, son idéologie (toujours officiellement marxiste) et bien sûr la supériorité de son système politique. Une assurance retrouvée après le long intermède d’humiliation coloniale que symbolisent les guerres de l’opium (1840-42, 1856-60) et l’occupation japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Une confiance bien sûr incarnée par la spectaculaire réussite économique de la Chine depuis 1979.

Modèle hégémonique chinois

Cette foi de la Chine en elle-même a pu être ébranlée par la gestion chaotique et opaque de l’épidémie de Covid-19 lorsque les symptômes sont apparus et que des décès sont survenus au centre du pays. Mais une fois que les mesures de confinement drastiques ont été décidées, et surtout lorsqu’il est apparu à partir de mars dernier que des pays occidentaux, européens d’abord (Italie, France, Espagne, Royaume-Uni) puis les Etats-Unis surtout, étaient débordés par l’épidémie, la Chine, et singulièrement les loups guerriers, ont affirmé avec force, voire avec morgue, la supériorité intrinsèque du modèle politique chinois pour affronter ce type de crises, brandissant la comparaison entre les chiffres (officiels) diffusés par Pékin et ceux des autres pays les plus dramatiquement touchés. Au passage, les diplomates pékinois ont minimisé les succès, au moins provisoires, face au Covid-19 d’autres pays d’Asie et dotés de systèmes démocratiques, tels la Corée du Sud et Taïwan.

Aux mots belliqueux des diplomates guerriers, la Chine a rapidement joint des gestes concrets dans son environnement proche. D’abord dans des territoires que Pékin considère comme historiquement et culturellement chinois. Et donc appelés à passer sous sa souveraineté. Le 28 mai dernier, le Parlement a adopté un projet de loi sécuritaire que le gouvernement entend faire appliquer à Hong Kong, alors que la région administrative spéciale (RAS) est censée jouir jusqu’en 2047 d’un régime d’autonomie, fondé sur le principe « un pays, deux systèmes ». Un geste périlleux pour Pékin, si la RAS est la sixième place boursière mondiale, c’est en bonne partie grâce à la fiabilité de son système juridique, qui rassure les entreprises étrangères désireuses d’investir en Chine continentale mais pas de se soumettre à l’arbitraire de ses tribunaux.

Le 28 mai dernier, le Parlement a adopté un projet de loi sécuritaire que Pékin entend faire appliquer à Hong Kong, censé jouir jusqu’en 2047 d’un régime d’autonomie

Face à Taïwan, qu’elle entend soumettre à son joug à plus long terme, Pékin s’est montré d’autant plus agacé que l’île est rapidement parvenue à contenir l’épidémie et qu’elle a proposé ensuite son aide à d’autres pays, concurrençant de manière frontale la « diplomatie médicale » menée à grande échelle par la République populaire elle-même, en Europe et en Afrique notamment. L’irritation de la Chine s’est manifestée dans le cadre de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) où en dépit des succès sanitaires de Taïwan, Pékin a continué à s’opposer à ce que sa voisine puisse bénéficier d’un statut d’observateur.

Coronavirus ou pas, l’affirmation de la puissance chinoise s’est également traduite sur le plan militaire ces dernières semaines dans son voisinage. Singulièrement en mer de Chine du Sud où, courant avril, Pékin a rebaptisé 80 îlots et autres réceptifs contestés pour les placer sous sa souveraineté, au grand mécontentement des pays riverains d’Asie du Sud-Est, Vietnam en tête, qui les revendiquent aussi. Par ailleurs, des incidents ont récemment opposé des soldats chinois et indiens sur la frontière himalayenne, contestée entre les deux pays depuis 1962.

Image d’une puissance généreuse

Au-delà des territoires qu’elle considère comme chinois et en dépit des saillies régulières de ses diplomates guerriers, la République populaire a plutôt tenté d’offrir au monde ces derniers mois l’image d’une puissance généreuse en faisant grande publicité autour de ses livraisons d’aide médicale, l’envoi temporaire d’experts médicaux civils et militaires, ou encore en organisant des visioconférences avec les autoritaires sanitaires des pays visés. Livraisons effectuées directement par les autorités du pays ou par des entreprises chinoises aux ambitions philanthropiques, à l’image de Jack Ma, le patron d’Ali Baba, géant chinois du commerce en ligne, qui a multiplié les livraisons de masques aux pays africains.

Cette publicité n’a pas toujours été d’une grande subtilité. Des images d’Italiens remerciant Pékin pour ses dons ont été présentées sur fond d’hymne national chinois, alors qu’en réalité ils applaudissaient aux fenêtres le personnel de santé de leur propre pays. Par ailleurs, la mauvaise qualité de certains des matériels médicaux livrés par la Chine à différents pays risque de desservir l’image qu’elle voulait promouvoir grâce à cette diplomatie sanitaire.

Cette dernière a en tout cas attisé la suspicion de certains dirigeants européens, déjà agacés depuis plusieurs années par les tentatives de l’empire du Milieu de diviser les rangs de l’Union européenne. La constitution en 2012 du groupe 16+1 (16 pays d’Europe centrale et orientale et des Balkans, plus la Chine), devenu 17 + 1 en 2019 avec l’adhésion de la Grèce, qui vise à favoriser une coopération spécifique, indépendante des relations UE-Chine, entre ses membres en est un exemple. De même que la signature en 2019 entre la Chine et l’Italie, premier pays du G7 à le faire, d’un accord-cadre au sein de la Belt and Road Initiative (BRI), le grand projet de Pékin de « nouvelles routes de la soie ».

La dépendance des pays européens vis-à-vis de fournisseurs chinois, sur le plan médical mais pas seulement, va en inciter certains à tenter de relocaliser une partie de la production

Ces soupçons sur les intentions de Pékin, renforcées par de spectaculaires acquisitions d’entreprises européennes par des firmes chinoises, ont amené l’Union européenne à qualifier la Chine de « concurrent économique » et surtout de « rival systémique ». Ils expliquent sans doute la réaction vigoureuse de Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, mettant en garde récemment contre les visées de « la politique de générosité » de la Chine depuis le début de l’épidémie.

De fait, si dans les mois qui viennent les Vingt-Sept faisait preuve d’une insuffisante solidarité vis-à-vis de leurs membres les plus économiquement éprouvés par le coronavirus, certains d’entre eux seraient sans doute tentés de s’en remettre à une aide financière chinoise. A plus long terme, la dépendance des pays européens vis-à-vis de fournisseurs chinois, sur le plan médical mais pas seulement, que l’épidémie a révélée, va inciter certains gouvernements à tenter de relocaliser une partie de la production sur leur sol. Le Japon essaie déjà lui aussi de poser des jalons en ce sens. Mais une telle opération est à coup sûr très coûteuse, car elle risque de se heurter fréquemment à la logique des entreprises.

Confrontation sino-américaine

Sur ce plan cependant, les pays européens n’ont pas fait d’annonces aussi fracassantes que Donald Trump qui a affirmé le 15 mai que son pays avait les moyens s’il le voulait de couper toutes ses relations économiques avec la Chine. Ce qui impliquerait notamment de remplacer les fournisseurs chinois dans les chaînes de valeur des entreprises américains. En attendant ces improbables perspectives, le président américain espère surtout qu’un accord dit de « phase 1 », conclu en janvier dernier entre la Chine et les Etats-Unis, va pouvoir s’appliquer rapidement. C’est-à-dire avant le scrutin présidentiel américain de novembre prochain. Depuis son accession à la Maison-Blanche en 2017, Donald Trump s’est en effet lancé dans une guerre commerciale contre la Chine à grands coups de tarifs douaniers dans le but de réduire le déficit commercial de son pays vis-à-vis de Pékin.

Sans résultat tangible jusqu’à présent. Or il a besoin de prouver rapidement à ses électeurs, fermiers notamment, que son offensive commence à être efficace. Faute de pouvoir obtenir rapidement de résultats concrets de Pékin sur les sujets qui fâchent vraiment (vol de propriété intellectuelle par des firmes chinoises, subventions de l’Etat chinois à certains acteurs du secteur privé…), Donald Trump a donc obtenu de la Chine en janvier dernier qu’elle s’engage à augmenter ses importations de biens et services américains de 200 milliards de dollars d’ici fin 2021. Ce à quoi Pékin a consenti, soucieuse de renvoyer à une « phase 2 » les contentieux de fond et l’ouverture croissante de son marché que leur résolution impliquerait.

La Chine ne va-t-elle pas invoquer le ralentissement que le coronavirus lui a infligé pour revenir sur une partie de ses engagements vis-à-vis des Etats-Unis ?

Problèmes : la Chine, qui pour la première fois vient de renoncer à fixer à son économie un objectif de croissance pour l’année, ne va-t-elle pas invoquer le ralentissement que le coronavirus lui a infligé pour revenir sur une partie de ses engagements ? Et les producteurs américains eux-mêmes, entravés par le confinement, seront-ils à même de livrer ce que Pékin s’est engagé à acheter ? Donald Trump, dont la gestion de l’épidémie a été désastreuse, est pris entre son désir électoral d’obtenir des résultats affichables et la nécessité, tout aussi intéressée, de continuer à se présenter en champion intransigeant de son pays face à la Chine.

Ce qui est vrai pour les accords commerciaux l’est également pour la question de Hong Kong. Si les Etats-Unis, pour réagir au projet de loi sécuritaire de Pékin, retire à la RAS certains avantages, douaniers par exemple, dont elle bénéficie contrairement à la Chine continentale, ce sont des firmes américaines installées dans le territoire jusqu’ici autonome qui risquent d’en pâtir. Le ton belliqueux que Donald Trump a employé face à Pékin depuis son accession à la Maison-Blanche risque fort de contaminer dans les mois qui viennent le candidat démocrate. Jusqu’au scrutin de novembre, Joe Biden, en principe plus favorable au multilatéralisme, hésitera sans doute à se montrer devant l’opinion américaine plus conciliant que le président sortant face à Pékin.

Craintes africaines

Au-delà de son voisinage immédiat et des grandes puissances, la Chine a donné depuis le déclenchement de l’épidémie une image tout aussi contrastée dans d’autres régions du monde. Et singulièrement en Afrique. Certes, les masques et autres matériels médicaux livrés, notamment par Jack Ma, ont été appréciés au sud du Sahara où de nombreux pays, inquiets des dégâts causés par le Covid-19 dans les pays développés et conscients des faiblesses de leurs propres systèmes sanitaires, ont pris tôt des mesures de protection. En revanche, les traitements discriminatoires dont certains Africains ont été victimes en Chine dans le contexte de l’épidémie ont été très mal perçus sur le continent.

Par ailleurs, s’il se confirmait que Pékin entende exclure du moratoire sur les remboursements de dettes conclu dans le cadre du G20 le 15 avril des emprunts contractés par les pays, africains notamment dans le cadre des nouvelles routes de la soie, cela pourrait faire mauvais effet. Les Etats de la région, qui avant l’épidémie craignaient déjà que Pékin s’empare de certaines de leurs infrastructures – tels des ports – en paiement de leurs dettes, verraient leurs inquiétudes s’accentuer. Beaucoup d’entre eux ont peu d’alternatives cependant, financièrement mais aussi commercialement, la Chine étant un grand importateur de matières premières du continent.

L’épidémie de Covid-19 ne semble pas avoir fondamentalement infléchi les objectifs de politique étrangère de la Chine, objectifs qui obéissent à une volonté d’affirmer une confiance en soi retrouvée et de dépasser à terme les Etats-Unis, même si à moyen terme, c’est sans doute une relation de « rivalité coopérative » qui se poursuivra entre ces deux puissances, selon l’expression du politologue américain Joseph Nye.

Croissance en berne

En revanche, la chute de la croissance provoquée par le coronavirus risque d’amputer, au moins à court terme, les moyens financiers dont elle va disposer pour mener à bien ses projets, surtout si le plan de relance économique que Pékin vient d’adopter n’obtient pas tous les résultats escomptés pour stimuler la consommation intérieure notamment. Selon certains experts, il est probable que dans le cadre des nouvelles routes de la soie, la Chine réduise son investissement dans de gros projets classiques d’infrastructures au profit d’investissements dans les hautes technologies. Une tendance qui d’ailleurs se dessinait avant l’épidémie.

D’autres voies d’influence restent cependant moins coûteuses pour la Chine, comme l’organisation de forums dans le cadre des nouvelles routes de la soie, qui lui permettent de promouvoir sa conception très souverainiste des relations internationales, ou encore l’investissement dans des organisations internationales existantes. Ces dernières années, des candidats chinois ont d’ailleurs accédé à la direction de plusieurs organisations des Nations unies, comme la FAO. De tels succès seront d’autant plus aisés pour Pékin que Washington poursuivra après 2020 le retrait du système multilatéral entamé par l’administration Trump.

La chute de la croissance provoquée par le coronavirus risque d’amputer au moins à court terme les moyens financiers dont la Chine va disposer pour mener à bien ses projets

Les accusations proférées par les Etats-Unis contre l’OMS, dont ils affirment qu’elle a aidé la Chine à couvrir sa mauvaise gestion de l’épidémie dans les premiers temps, révèlent l’ambiguïté de la stratégie américaine. Washington peut-il à la fois combattre l’influence de Pékin dans de telles instances tout en annonçant qu’il va s’en retirer ? A l’inverse, c’est en partie parce que l’Union européenne a parlé d’une seule voix à l’OMS que Pékin a finalement consenti le 19 mai dernier à ce qu’une enquête « impartiale, indépendante et exhaustive » examine la réponse internationale à l’épidémie coordonnée par l’agence des Nations unies.

Il reste bien entendu à savoir jusqu’où, le jour venu, les autorités chinoises permettront aux experts de mener des investigations réellement approfondies sur leur territoire. Car tout résultat qui mettrait en cause directement la gestion de l’épidémie par le gouvernement serait inacceptable pour le régime hyper-personnalisé de Xi Jinping. Moins sans doute pour des raisons d’image du pays sur la scène internationale que de crédibilité du pouvoir face à son opinion. Une vraie ligne rouge pour le nouveau Mao.

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Commentaires (1)
Thierry 05/06/2020
Je crains plus l'impérialisme forcené du grand capital des USA au mépris de toute valeur morale, que le désir de puissances qui pèsent pour 20% de l'humanité de peser en conséquence sur les décisions mondiales. Ce qui m'inquiète c'est la non-démocratie de ces nations. Je crois à la collaboration et à la nécessité de donner à ces pays leur juste place et les aider à se moderniser et éduquer leurs enfants, meilleure chance pour la démocratie et la paix.
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