Tribune

La COP21 expliquée à ma fille

15 min
Pavillon des Etats-Unis à la COP21, à Paris. PHOTO : ©HAMILTON/REA

« – Mais enfin, qu’est-ce que c’est que cette fichue COP21 dont j’entends parler à tout bout de champ à la télé, à la radio, dans les journaux ? Et même à la maison ! Et ne me prends pas pour une demeurée : je sais déjà qu’il s’agit de réchauffement climatique, et que COP21 n’est pas le nom d’un superflic du XXIe siècle chargé de le stopper.

– OK, OK, du calme ! Je vais essayer de t’expliquer. Commençons par « COP ». COP, c’est l’abréviation dans cette langue internationale indispensable qu’est l’anglais – et que tu dois donc bien apprendre à l’école ! – de « Conference of the Parties ». C’est-à-dire la conférence des Etats qui font partie de la communauté des nations signataires de la Convention internationale pour lutter contre le réchauffement climatique. Il s’agit d’une conférence annuelle et cette année, c’est la 21e fois qu’elle se réunit. D’où COP21.

– Merci papa, mais ne profite pas de tes explications pour me rappeler insidieusement que j’ai foiré mon contrôle d’anglais. Là, on parle d’autre chose, tu veux ?

– Bon, pardon, je ne recommencerai plus, promis.

– Je te pardonne pour cette fois. Continue : c’est quoi cette convention contre le réchauffement climatique ?

Ce texte est une sorte de promesse que la plupart des pays du monde ont signée en 1992 dans la ville brésilienne de Rio de Janeiro pour lutter tous ensemble contre le réchauffement de la planète et ses effets

– La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, de son vrai nom. Ce texte est une sorte de promesse que la plupart des pays du monde ont signée en 1992 dans la ville brésilienne de Rio de Janeiro pour lutter tous ensemble contre le réchauffement de la planète et ses effets. Si on ne fait rien, ils pourraient devenir dévastateurs lorsque tu seras grande. Tous ces pays – ils sont 195 Etats signataires aujourd’hui – ont à l’époque enfin compris que ce phénomène était une chose extrêmement sérieuse et qu’il fallait absolument le combattre. Ils en ont pris conscience grâce au premier rapport du Giec, publié en 1990. Le Giec est un groupe qui réunit plusieurs centaines de savants de tous les pays et il a été créé en 1988 à la demande des Etats membres des Nations unies. Il est chargé de rédiger des rapports sur le changement climatique sur la base d’absolument toutes les études scientifiques qui existent sur le sujet.

– Pourquoi est-ce grave ?

– La planète s’est réchauffée de près d’un degré centigrade en moyenne (0,8 plus précisément) depuis la fin du XIXe siècle. C’est à l’échelle de l’histoire de la Terre, une évolution du climat très rapide et très brutale. Si elle se poursuivait, cela deviendrait très dangereux pour toutes les espèces vivantes. La cause principale de cette évolution récente est le gaz carbonique (CO2) que nous rejetons dans l’atmosphère lorsque nous brûlons du pétrole pour faire rouler nos voitures et voler nos avions, et lorsque nous brûlons du gaz et du charbon pour produire de l’électricité qui fait marcher, entre autres, ta tablette ou ton portable. Il y a d’autres gaz que le CO2 qui contribuent au réchauffement de la planète, mais le CO2 rejeté lorsque nous brûlons du charbon, du pétrole et du gaz représente à lui tout seul les deux tiers du problème.

Si nous n’éliminons pas totalement ces émissions avant 2100, ce gaz carbonique va entraîner à la fin du siècle un réchauffement qui pourrait atteindre 2 ou 3 degrés de plus par rapport à aujourd’hui

Il faut que tu saches aussi que ces trois sources d’énergie assurent aujourd’hui les quatre cinquièmes des besoins en énergie de l’ensemble des habitants de la planète. Or, si nous ne réduisons pas très rapidement l’usage de ces combustibles fossiles et si nous n’éliminons pas totalement ces émissions avant 2100, ce gaz carbonique va continuer à s’accumuler dans l’atmosphère et entraîner à la fin du siècle un réchauffement qui pourrait atteindre 2 ou 3 degrés de plus par rapport à aujourd’hui. Ce serait une véritable catastrophe, car cela modifierait tellement le temps qu’il fait et la végétation que la planète risquerait alors de devenir à cette époque inhabitable pour des millions et des millions de personnes. Imagine par exemple des sécheresses qui se succèdent à un rythme tellement rapide que des pays n’arrivent plus à reconstituer leurs réserves de blé, de maïs ou de riz après les récoltes et que des populations entières finissent par se faire la guerre pour mettre la main sur ce qui reste de stocks de céréales ou cherchent à fuir sans avoir nulle part où aller…

– Sympa, ton truc… Toi, tu vis confortablement avec ton pétrole, ton gaz et ton charbon, et tu seras mort avant que ça chauffe pour de bon. Mais moi, je n’ai pas envie de connaître un monde devenu hostile où les gens se battent entre eux pour survivre ! Or, ta fameuse Convention internationale sur le climat, elle a été signée en 1992. Aujourd’hui, on est en 2015. Ça fait donc vingt-deux ans qui se sont écoulés mais tu me racontes que le monde tourne toujours avec 80 % d’énergie fossile qu’on ferait mieux de laisser sous terre. Elle n’a donc pas trop été tenue cette promesse !

– 2015 moins 1992 font 23 années ma chérie.

– Ah zut, papa ! Tu veux me faire remarquer que j’ai eu une mauvaise note en maths, c’est ça ? Mais tu es insupportable !

– Hé, laisse ce coussin ! Aïe eu…

– C’est bien fait. Tu n’avais qu’à tenir ta promesse ! Tu es vraiment pire qu’un chef d’Etat. Bon, alors, pourquoi les chefs d’Etat ne l’ont pas tenue, eux, leur promesse, en 1992 ?

Si certains seulement font des efforts pour diminuer leurs émissions et pas les autres, cela ne va pas réduire suffisamment l’ensemble des émissions de la planète pour contenir le réchauffement climatique

– Hum. Bon, continuons. Comme je te l’ai dit, en 1992, les pays du monde entier ont enfin compris qu’il y avait un gros problème et qu’il fallait agir sans traîner. Ils ont également compris qu’il fallait agir de manière collective. En effet, si seulement certains font des efforts pour diminuer leurs émissions et pas les autres, cela ne va pas réduire suffisamment l’ensemble des émissions de la planète pour contenir le réchauffement climatique. Et en plus, ce serait injuste pour ceux qui se donnent du mal. Si je te demandais uniquement à toi de débarrasser la table et jamais à ton frère, tu trouverais cela injuste et tu aurais bien raison. Mais pour que tous fassent des efforts, il est également indispensable d’être solidaires entre nous, car nous n’avons pas tous les mêmes moyens et nous ne sommes pas tous dans les mêmes situations.

– Euh, je ne te suis pas trop, là.

– Prenons un exemple. Si, au lieu d’aller en voiture à l’école, tu y vas à pied, en bus, en vélo ou en métro, tu vas réduire tes émissions (l’ensemble des voitures, avec leurs pots d’échappement, c’est énormément de CO2). Mais si un grand nombre de tes camarades continue de venir en voiture, ça va beaucoup moins réduire les émissions que si tous changeaient de moyen de transport.

– Ben c’est simple. Il suffit d’interdire d’aller à l’école en voiture…

– Comme tu y vas, toi ! Tu vas finir comme Robespierre si tu continues ! Je suis d’accord avec toi sur le fait qu’il faille introduire des règles qui imposent de limiter nos émissions, mais nous ne sommes pas dans une dictature. Les règles, pour fonctionner, doivent être grosso modo acceptées, et pour qu’elles soient acceptées, il faut qu’elles soient acceptables.

Reprenons notre exemple de l’école. Parmi les parents qui accompagnent leurs enfants en voiture, tous n’ont pas les moyens de faire autrement. Certains habitent trop loin de leur lieu de travail et ont besoin d’une voiture pour s’y rendre après avoir déposé leur enfant. Et parmi ceux qui ne peuvent se passer d’une voiture, tous n’ont pas les moyens de se payer une voiture électrique qui n’émet pas de CO2. Pour changer de comportement, par exemple ne plus utiliser des véhicules qui polluent, il est donc également nécessaire de réorganiser la manière dont nous vivons ensemble. Par exemple construire et organiser nos villes de telle sorte qu’on n’ait pas besoin de faire une heure de voiture pour aller à l’école ou pour aller travailler. Ou encore avoir des usines capables de fabriquer des véhicules propres, pratiques et pas chers.

Les dépenses pour faire la transition énergétique, par exemple remplacer une centrale électrique à charbon ou à gaz par des centrales solaires, ne sont en réalité pas très élevées

Or, de tels changements qui permettent de satisfaire nos besoins quotidiens sans émettre de CO2 et qui font partie de ce que l’on appelle la « transition énergétique », ça représente aussi des dépenses. Ces dépenses pour faire la transition énergétique, par exemple remplacer une centrale électrique à charbon ou à gaz par des centrales solaires, ne sont en réalité pas très élevées. Mais elles supposent néanmoins que les citoyens se mettent d’accord pour y consacrer une partie de leur argent. C’est un peu comme toi avec ton argent de poche : veux-tu tout dépenser pour toi, ou es-tu d’accord pour donner quelques euros à tes copains qui collectent de l’argent pour financer des capteurs solaires dans un petit village du Mali privé d’électricité ? Car même au Mali, quand tu fais brûler ta lampe à pétrole le soir pour faire tes devoirs dans ta case, tu émets du CO2 (et tu inhales en prime des microparticules qui vont abîmer tes poumons) ! Bref, pour faire cette transition énergétique, on va avoir besoin de plus partager et de réduire les inégalités.

– Je comprends ton exemple, mais quel rapport avec la COP ?

– J’y viens. Je viens de t’expliquer que pour combattre efficacement le changement climatique, nous avons besoin de solidarité car nous n’avons pas tous les mêmes possibilités. Ce qui est vrai à l’échelle de ton école avec mon histoire de transport, l’est également à l’échelle des pays et à l’échelle du monde entier. A l’échelle du monde entier, les Etats n’ont jamais réussi à se mettre d’accord, depuis 1992, sur la manière d’être solidaires pour lutter contre le réchauffement. En gros, les pays pauvres, qui ont envoyé depuis un siècle beaucoup moins de CO2 dans l’atmosphère que les pays riches, ont accusé ces derniers de ne pas faire assez d’efforts pour réduire leurs émissions. Ils leur disaient : « Si vous voulez que nous, pays en développement, réduisions nos émissions, alors commencez par faire plus d’efforts et donnez-nous un coup de main pour réduire les nôtres, car vous en avez les moyens. » Ce à quoi les pays riches répondaient : « Si vous voulez qu’on fasse plus d’efforts, il faut vous y mettre aussi, car aujourd’hui, vous émettez autant de CO2 que nous ». Bref, un dialogue de sourds.

– Tu veux dire qu’ils n’ont rien fait pour essayer de se mettre d’accord ?

– Si, ils ont essayé, bien sûr. Pour mettre en œuvre leur promesse et trouver un terrain d’entente, les pays partie prenante à la convention de Rio de 1992 ont organisé leur première Conférence des parties en 1995, à Berlin. Ce fut la première « COP », qu’on a appelé « COP1 ». On y discuta d’un projet de compromis : par rapport à l’effort mondial nécessaire pour contenir le réchauffement climatique dans des limites supportables pour l’humanité et en vertu du « principe de responsabilité commune mais différenciée » inscrit dans le texte de 1992, les pays riches commenceraient à réduire seuls leurs émissions, puis, au bout d’un certain temps, les pays pauvres se mettraient à leur tour au boulot. Je te rappelle que cet effort mondial n’est pas une mince affaire : il faut arriver à diviser par deux ces fichues émissions avant 2050 (par rapport à l’année 1990) et à les neutraliser en 2100.

C’est ainsi que l’on a abouti en 1997, lors de la 3e COP organisée au Japon, au « protocole de Kyoto ». C’était un accord international où les pays riches s’engageaient, pour commencer, à réduire de quelques pourcents leurs émissions avant 2012, avec l’idée qu’ils feraient plus d’efforts à partir de 2012, tandis que les pays du Sud commenceraient à leur tour à se mettre au travail. Le problème est que les Etats-Unis, à l’époque le principal émetteur de CO2, n’ont jamais voulu adopter cet accord au motif que les Chinois, qui allaient devenir les premiers émetteurs au cours des années 2000, ne voulaient pas prendre d’engagements de baisse de leurs émissions. De leur côté, les Chinois, qui avaient une population d’un milliard d’habitants à nourrir et l’envie de ne pas rester éternellement pauvres, se demandaient au nom de quoi ils devraient s’interdire d’avoir des voitures, des tablettes et des portables et de jouir du même confort que les Occidentaux. Cette situation a bloqué toutes les discussions entre Etats qui ont eu lieu entre 2005 et 2008 pour reconduire le protocole de Kyoto après 2012.

Le protocole de Kyoto n’a jamais marché, car seule l’Union européenne et quelques autres pays riches avaient accepté de s’y engager

Finalement, lors de la COP15, organisée en 2009 à Copenhague, au Danemark, les Etats se sont rangés à l’idée poussée par les Etats-Unis et la Chine d’abandonner définitivement le protocole de Kyoto. Les deux principaux pays émetteurs de CO2 de la planète ont dit, en substance : « Puisqu’il est impossible de nous mettre d’accord sur un partage de l’effort à accomplir pour limiter le changement climatique, alors mettons-nous d’accord pour que chacun fasse quelque chose, mais en veillant à ce que chacun fasse vraiment ce qu’il promet de faire. » Et c’est ainsi que fut décidé il y a six ans d’adopter, en 2015 à Paris, lors de la 21e COP, un nouvel accord international destiné à remplacer le protocole de Kyoto. Non plus un accord construit sur la base du partage entre Etats de l’effort que l’ensemble de la planète devrait accomplir pour contenir le réchauffement, mais construit sur la base de ce que chacun accepterait de faire. C’est cet accord que 195 Etats sont censés adopter le 6 décembre prochain à la clôture de cette 21e COP.

– Et cet accord va permettre de limiter le réchauffement climatique à un niveau qui nous permettra, à moi et à mes futurs enfants, de vivre en paix sur une planète en bon état de marche ?

Cette COP ne sera un succès que si les Etats se mettent d’accord pour se retrouver très régulièrement afin d’augmenter leurs efforts

– C’est bien là le problème. Le protocole de Kyoto n’a jamais marché, car seule l’Union européenne et quelques autres pays riches avaient accepté de s’y engager. Aujourd’hui, à Paris, nous avons 191 pays – riches, pauvres ou entre les deux – qui ont fait des annonces sur l’évolution future de leurs émissions. De ce point de vue, c’est une grande avancée. Mais du point de vue du climat, le compte n’y est vraiment pas. Si on additionne toutes les promesses de réduction des émissions que les uns et les autres ont bien voulu mettre dans la corbeille, et à supposer que ces promesses soient respectées, on n’arrivera pas, loin s’en faut, à contenir le réchauffement sous la barre des + 2 °C depuis la révolution industrielle, qui est pourtant le niveau que les Etats ont reconnu comme celui qu’il ne fallait absolument pas dépasser. Un peu comme si 191 enfants devaient participer aux travaux de nettoyage et d’entretien de leur école, mais où chacun se dirait que ce serait bien s’il pouvait en faire le moins possible tout en ayant envie que l’école soit propre et jolie, parce que c’est quand même plus agréable…

– Ce n’est pas agréable du tout, ton histoire ! Et même désespérant !

– Oui, et non. Oui, c’est rageant, parce que quel que soit l’accord qui pourra être trouvé à l’issue de la COP21, il représente un niveau d’effort collectif qui est vraiment beaucoup trop insuffisant pour empêcher que notre planète ne devienne invivable. Cette COP ne sera donc un succès que si les Etats se mettent d’accord pour se retrouver très régulièrement afin d’augmenter leurs efforts.

Mais il ne faut pas perdre de vue que notre avenir n’est pas suspendu à un accord international. L’essentiel de la lutte contre le réchauffement se joue dans les actions que nous décidons de mener pour réduire nos émissions ici et maintenant à tous les niveaux de notre existence, à la maison, à l’école, au travail, dans notre quartier, dans le bulletin de vote quand nous désignons ceux à qui nous confions le pouvoir de gouverner et à qui nous avons le devoir de demander des comptes. Il ne t’est pas interdit d’écrire à ton président pour lui dire que s’il veut des bonnes notes, il faut qu’il corrige sa copie afin que notre pays aille beaucoup plus vite sur la voie de la transition énergétique.

D’autant plus que ce changement n’est pas une chose triste et qui nous imposerait des sacrifices. Au contraire ! Aujourd’hui, les énergies renouvelables commencent à ne pas coûter plus cher que les énergies sales. Construire ce monde qui n’émet plus de CO2, ce n’est vraiment plus de la science-fiction. C’est un rêve à portée de main et c’est un rêve désirable. Car réaliser ce rêve va nous conduire à créer de très nombreux emplois (il y a, tu le sais, beaucoup de jeunes au chômage aujourd’hui). Car réaliser ce rêve va nous pousser à construire un monde plus partagé et plus solidaire, donc plus convivial et plus joyeux. Alors, on s’y met ? »

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Commentaires (1)
Lolo 08/12/2015
merci! super article qui fait un bien fou!!! ;-)
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