Turquie

L’attentat d’Istanbul, vu par la presse turque et allemande

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Par VoxEurop

Pour les journaux turcs et allemands, l’attentat du 12 janvier dans le quartier touristique de Sultanahmet, à Istanbul, qui a causé la mort de dix personnes dont au moins huit Allemands, est la conséquence de l’intervention d’Ankara et de Berlin en Syrie. Le principal suspect est le groupe Etat islamique.

Milliyet, Istanbul, 13 janvier

« Encore une fois, un kamikaze, et encore une fois, le bilan est tragique. Notre pays fait à nouveau la une de l’actualité avec l’annonce d’une bombe, du sang et de la terreur », écrit Melih Aşık. L’éditorialiste se dit « d’accord » avec les déclarations du Premier ministre turc Ahmet Davutoğlu après l’attentat, attribuant ce dernier au « vide du pouvoir en Syrie » et à la situation de « guerre civile en Syrie », mais, ajoute-t-il, « on ne peut pas ne pas lui poser certaines questions », qui pourraient sembler rhétoriques : « Le vide du pouvoir dont vous parlez, quelles puissances et quels Etats en sont à l’origine ? Dans ce cadre, quelle a été l’attitude de votre gouvernement ? Votre gouvernement et l’Occident ont-ils une part de responsabilité dans le déclenchement de la guerre civile qui a suivi en Syrie ? Si on pouvait remonter le temps, soutiendrez-vous toujours les opposants au régime syrien ? Seriez-vous une des parties dans cette guerre civile en Syrie que vous qualifiez aujourd’hui de la “plus grande source du terrorisme” ? »

 

Hürriyet, Istanbul, 13 janvier

« L’attentat terroriste à Istanbul était en réalité une attaque à laquelle on pouvait s’attendre », estime l’éditorialiste Mehmet Yılmaz, pour qui « c’est comme si on était assis en permanence sur une bombe qui s’apprête à exploser et pour qui la première des raisons qui explique cette situation est le fait qu’on a trop souvent fermé les yeux envers les groupes jihadistes sous prétexte de vouloir renverser Assad. L’impact négatif de l’attaque d’hier ayant pris pour cible des touristes, après le boycott russe envers le secteur touristique, n’est que le volet économique de l’affaire. La Turquie paye le prix de sa politique syrienne qui est mauvaise depuis le début. »

 

Zaman, Istanbul, 13 janvier

« Non, il ne s’agit pas du Sud-Est » – le Kurdistan turc où l’armée est engagée contre les séparatistes Kurdes du PKK : « l’explosion a cette fois touché en plein cœur Istanbul dans le quartier de Sultanahmet. La plupart des victimes sont des étrangers », note Mustafa Ünal dans ce quotidien d’opposition. Pour l’éditorialiste, « la nouvelle de l’explosion a vite dépassé les frontières d’Istanbul. L’écho s’est fait entendre dans le monde entier. La première hypothèse qui nous vient à l’esprit dans pareil cas s’est rapidement vérifiée exacte. L’explosion est le fait d’une “bombe humaine” d’origine syrienne. Tous les détails sur son profil ont été communiqués par les autorités. Y compris sa date de naissance. Il s’agit de Nabil Fadli. Il n’est pas très difficile de deviner qui l’a transformé en bombe humaine. Daech est le suspect le plus probable. Depuis quelque temps, les services de renseignement avaient averti de la menace d’un kamikaze. On parlait d’éléments terroristes en provenance de Syrie. Il est évident que le terrorisme veut frapper Istanbul et d’autres grandes villes comme Ankara. La Mosquée bleue est l’une de ces cibles. »

Sabah, Istanbul, 13 janvier

Dans ce quotidien progouvernemental, Mehmet Barlas affirme pour sa part que « ceux qui considèrent la terreur, la violence et les bombes comme des instruments légitimes pour faire de la politique ne pourront aller au-delà de la marginalité comme cela a toujours été le cas. L’aspect le plus frappant n’est-il pas qu’à l’étranger, on analyse mieux et de façon plus claire que ceux qui représentent une minorité chez nous, ce qui s’est produit en Turquie ? Par exemple, la chancelière allemande Merkel a déclaré à propos de l’explosion à Sultanahmet que “nous avons vu le visage hideux du terrorisme à Istanbul, Paris, Ankara et Tunis. Nous devons prendre position de façon déterminée pour y faire face”. Comme par le passé, le présent et l’avenir, la Turquie va considérer ces menaces comme sans effet» « En attendant », ajoute-t-il en s’adressant à l’opposition et aux pro-Kurdes, « ceux qui considèrent qu’être partisan du terrorisme est un droit démocratique n’auront ni poids ni une place dans la Turquie du futur. Les bombes humaines d’origine syrienne, tout comme les bombes verbales et écrites d’origine turque, ne pourront pas arrêter ce pays dans sa marche juste et déterminée.

Frankfurter Allgemeine Zeitung, Francfort, 13 janvier

« L’attentat devant la Mosquée bleue avait deux cibles », écrit Rainer Herrmann : « la Turquie et l’Allemagne. Cela ne peut pas être un hasard que le terroriste ait tué un groupe de touristes allemands et lui-même à Istanbul, seulement quatre jours après le début de l’action militaire allemande à l’aide d’avions de reconnaissance de type Tornado. L’attentat s’adressait également à la Turquie. Car ces avions partent de la base aérienne turque Incirlik et la Turquie s’en tient depuis peu à son annonce de ne plus laisser passer de nouveaux combattants pour le soit-disant “Etat islamique” par la frontière syrienne. Ce qui se passe en Turquie a des conséquences pour l’Europe. La politique envers les Kurdes, dépourvue de tout sens de responsabilité, crée de nouveaux réfugiés qui pourraient prendre la route vers l’Europe. Et si la Turquie renforce ses opérations contre les cellules de l’Etat islamique dans son pays –  ce qui est nécessaire depuis longtemps –,  cela aura également un prix : les attentats seront de plus en plus fréquents et les jihadistes prendront la fuite vers d’autres pays. »

 

Die Welt, Berlin, 13 janvier

Pour Uwe Schmitt, le principe qui motive les terroristes et leurs commanditaires « est aussi clair et perfide que la manière dont ils agissent ». Il réfléchit également à la logique perverse de l’organisation Etat islamique : « En tuant à l’aveugle des Russes, des Turcs, des Européens, ils poussent à la création d’une alliance militaire entre pays qui, sinon, ne se fréquenteraient pas. La seule faiblesse de l’Etat islamique, c’est son ambition territoriale qui consiste à vouloir créer un califat. Il est possible de bombarder, d’occuper et de vaincre des territoires. Combattre l’idéologie et la conviction religieuse d’avoir été élu, en revanche, est autrement plus difficile. Tous ceux qui sont attaqués par Daech, y compris l’Allemagne, n’ont d’autre choix que de combattre. »

Süddeutsche Zeitung, Munich, 13 janvier

« Cet attentat soulève de nombreuses questions », souligne Joachim Käppner : « Le mode opératoire laisse croire que Daech en est l’auteur ; les Turcs ont immédiatement pointé du doigt ce groupe terroriste. Si cela est vrai, on ne sait pas si les victimes allemandes ont été choisies de manière délibérée ou si elles étaient juste au mauvais endroit, au mauvais moment. Mais cela joue-t-il un rôle ? Dans le premier cas, il est très probable que l’Etat islamique (EI) veuille se venger, car l’Allemagne participe à la guerre contre Daech en mettant à disposition une frégate et des avions de reconnaissance Tornado. Ces avions partent du territoire turc. Si, en revanche, le choix des victimes est dû au hasard, cela confirme simplement que n’importe qui peut devenir la cible des assassins. Peu importe s’il est assis dans un café parisien ou s’il visite un monument islamique à Istanbul ; peu importe comment un gouvernement se positionne par rapport à la guerre contre l’EI. S’il se tient à distance, s’il frappe fort militairement comme le fait la France ou s’il manifeste sa solidarité comme le font les Allemands avec leur contribution relativement modeste. Le fait que la coalition contre Daech n’ait pas de stratégie commune ne facilite pas les choses. »

Die Tagesspiegel, Berlin, 13 janvier

Gerd Appenzeller souligne comment « jusqu’ici, l’Allemagne a été plutôt épargnée par la terreur islamiste. Mais en conclure que nous sommes en sécurité n’est, depuis longtemps, qu’une illusion. Car le fait qu’il n’y ait eu jusqu’alors qu’un seul attentat meurtrier sur le sol allemand –  celui contre deux soldats américains en 2011 à Francfort — tient uniquement à des circonstances heureuses. Souvent, c’était le résultat d’une anticipation de la part de la police ou des services de sécurité, ou c’était tout simplement une chance incroyable due au fait que le détonateur n’avait pas fonctionné. Mais les attentats contre les touristes allemands sur des lieux de vacances méditerranéens jettent une ombre sur ce prétendu calme. Ce qui vient de se passer à Istanbul, un attentat suicide en plein cœur de la ville, avait ses antécédents. En 2002, un camion chargé de fioul a foncé sur une synagogue fréquentée par des touristes étrangers sur l’île de vacances de Djerba, en Tunisie. Parmi les 21 morts, il y avait 14 Allemands. »

Une revue de presse réalisée par VoxEurop.

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