Culture

Fréquentation, coûts, recrutement : les festivals sous tension

7 min

Après deux ans de pandémie, les manifestations culturelles affrontent une périlleuse sortie de crise, entre manque de festivaliers, inflation et pénurie de professionnels.

Festival Solidays, le 24 juin 2022 à Paris. PHOTO : Benoit Durand / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

La jauge permettait d’accueillir 26 000 spectateurs. Mais ils n’ont été au final que 12 700 à assister le 16 juin au concert de Stromae dans le cadre du festival Aluna, au cœur de l’Ardèche. « Nous avions parié sur une euphorie post-Covid, mais ce ne fut absolument pas le cas. C’est comme si les Français n’étaient pas vraiment sortis de la pandémie », constate Jean Boucher, président d’Aluna.

Selon ses premières estimations, le sociologue Aurélien Djakouane, coauteur avec Emmanuel Négrier de Festivals, territoire et société (Les Presses de Sciences Po), observe « une baisse globale de fréquentation oscillant entre 20 % et 30 % par rapport à 2019 ». Avec de grands écarts selon les manifestations. Dédié au metal, le Hellfest, qui s’est déroulé du 17 au 19 juin, a fait lui le plein en réunissant 420 000 spectateurs. « Les festivals qui s’adressent à des communautés spécifiques s’en sortent mieux que les généralistes », poursuit Aurélien Djakouane.

Reste que, globalement, au sein du secteur, l’inquiétude domine. « On savait que la reprise serait difficile, mais c’est encore plus dur que prévu, nous dit Malika Séguineau, directrice du Prodiss, le syndicat du spectacle vivant privé. Il y a, d’un côté, un embouteillage d’offres, entre les reports de spectacles annulés pendant le Covid et les nouveaux projets. Et en face, la demande n’est pas forcément là. »

Effet covid

Les professionnels y voient l’impact direct de la fermeture des lieux culturels, pendant près de deux ans pour les plus grandes manifestations. « Il y a une déshabitude du public. Nos concurrents, ce sont désormais les barbecues entre copains. C’est un changement sociétal. Il faut donc plus que jamais penser le festival comme un temps de vie global », souligne Jean-Paul Roland, directeur des Eurockéennes.

« Nous avons constaté qu’en temps normal, il y a, chaque année, 25 % à 35 % de nouveaux spectateurs dans un festival. Or, c’est cette catégorie-là qui risque de manquer » – Aurélien Djakouane, sociologue

Les 7 000 festivals de l’Hexagone s’adressent à un panel hétéroclite de spectateurs. Quel public fait aujourd’hui particulièrement défaut dans les festivals ? « Nous avons constaté qu’en temps normal, il y a, chaque année, 25 % à 35 % de nouveaux spectateurs dans un festival. Or, c’est cette catégorie-là qui risque de manquer. Et c’est en son sein que l’on trouve généralement le public le plus populaire », note Aurélien Djakouane. La pandémie aura donc fragilisé encore plus l’effort d’accessibilité des lieux culturels, en dépit du maintien pendant la crise de certaines actions de médiation.

Les directeurs de festival partagent par ailleurs tous le même constat : les réservations se font de plus en plus à la dernière minute. « Les effets d’annonce avec lesquels on a vécu pendant deux ans ont été intégrés par une partie des spectateurs. Ils préfèrent attendre le dernier moment par crainte d’éventuelles restrictions. Pour nous, c’est un facteur de stress supplémentaire », nous dit Yannick Mercoyrol, directeur de la programmation culturelle du Domaine de Chambord.

Risque financier

Si les taux de fréquentation sont observés avec autant d’attention, c’est parce que le seuil de rentabilité des festivals, en particulier dans les musiques actuelles, se situe autour de 90 % de remplissage. Les manifestations qui ne font pas le plein s’apprêtent donc à entrer dans le rouge.

Sans compter qu’à cette baisse des recettes s’ajoute une inflation des dépenses. « Comme le prix des matières premières explose, il y a un impact direct sur le budget des décors », nous dit Paul Rondin, directeur délégué du Festival d’Avignon. Des toilettes sèches aux installations scénographiques, l’addition grimpe de tous les côtés. « Nous avons dû augmenter de 25 % le coût du traiteur. Et il ne nous livre que toutes les 48 heures pour éviter les frais de livraison, en raison du prix du carburant », témoigne Yannick Mercoyrol.

Les dépenses artistiques ne font pas exception : les cachets croissent de manière exponentielle, en particulier ceux des artistes les plus célèbres. Après deux années de pause forcée, ces derniers espèrent rattraper leur retard, d’un point de vue sonnant et trébuchant. « Tout a augmenté sauf le pouvoir d’achat des Français », grince Malika Séguineau. Paul Rondin met en garde contre la hausse du coût de l’hôtellerie :

« A Avignon, il faut désormais débourser 20 % à 25 % de plus pour se loger. Je comprends que ce secteur cherche à se rattraper. Mais dans le panier du festivalier, l’achat culturel finit par ne représenter plus que 20 %, le reste étant absorbé par les transports, l’hébergement et la restauration. Cela va toucher en priorité les populations les moins aisées. »

Avec la crise sanitaire, nombre de professionnels du secteur culturel, à l’instar de ceux de l’hôtellerie-restauration, ont changé de métier

Autre (nouvelle) difficulté des festivals : les ressources humaines. Cette année, les manifestations ont de plus en plus de mal à recruter leurs équipes, en particulier au sein de la technique. « Il est devenu très difficile et hors de prix d’obtenir un alpiniste qui monte sur la toiture de scène. Ceux que l’on trouve nous coûtent deux à trois fois plus cher qu’en temps normal », nous dit Marie Rigaud, directrice du festival du Printemps de Pérouges.

Le constat est simple : avec la crise sanitaire, nombre de professionnels du secteur culturel, à l’instar de ceux de l’hôtellerie-restauration, ont changé de métier. Le plus souvent par lassitude d’un mode de vie devenu trop instable. A Avignon, le festival emploie pendant l’été 750 salariés. « Il est paradoxal qu’Emmanuel Macron ait toujours défendu la flexibilité mais a, en même temps, compliqué le travail des saisonniers au lieu de les accompagner. C’est aussi pour cette raison qu’ils sont de moins en moins motivés », souligne Paul Rondin.

Au sein de la population, le retour des festivals suscite même quelques crispations. Des associations de riverains se mettent à demander l’application du décret son, paru en 2017, mais qui jusque-là avait été très peu mis en pratique. « Les gens se sont habitués au silence pendant le Covid et désormais se montrent parfois réfractaires aux manifestations extérieures. Or ce décret est inapplicable, car il oblige à maintenir le même niveau de son en tous points d’un festival ! », dénonce Malika Séguineau.

Dégâts sociaux

Le modèle économique des festivals est donc aujourd’hui ébranlé. Pendant la pandémie, les manifestations ont été largement aidées, grâce aux prêts garantis par l’Etat (PGE) et aux mesures de soutien spécifiques au secteur culturel. Mais désormais, l’Etat change de ton : « le quoi qu’il en coûte culturel a été très fort ces deux dernières années. Il ne pourra pas être à ce niveau dans les années qui viennent », a annoncé la nouvelle ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, dans un discours tenu lors du déjeuner de la filière musicale, le 27 juin.

Un retour à l’austérité qui inquiète le secteur. Des professionnels appellent déjà à d’autres formes de soutien, comme Olivier Haber, le directeur de la Seine Musicale, qui souhaiterait « la création d’un crédit d’impôts pour l’achat de billets de spectacle afin d’inciter au retour dans les salles ». Aurélien Djakouane prévient : « Sans intervention de l’Etat, il y aura une régulation du secteur par lui-même, qui risque de faire des dégâts. »

Cette difficile sortie de crise va-t-elle au final modifier en profondeur le fonctionnement même des festivals ? « A nous de devenir à nouveau désirables. Nous sommes arrivés au bout de la logique éducative, consistant à transmettre de manière verticale un savoir au spectateur. Il faut sortir de cette vision ascendante pour être davantage dans un partage d’émotions avec le public », nous dit Paul Rondin, avant d’appeler à freiner la multiplication de l’offre : « Il faut savoir faire moins pour faire mieux. »

En attendant une décroissance, encore hypothétique, du secteur, celui-ci regarde depuis quelques jours avec anxiété l’évolution de la situation sanitaire. Quel serait l’impact sur les festivals d’un regain de la pandémie ? En ce début d’été, le Théâtre du Châtelet a déjà dû annuler les représentations de la compagnie de Pina Bausch, en raison d’un trop grand nombre de cas au sein de l’équipe artistique.

À la une

Commentaires (1)
Zlotzky 07/07/2022
Aux raisons évoquées concernant la raréfaction des saisonniers, il faudrait aussi ajouter la réforme du chômage qui a un impact direct.
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !