Volontaires de l'armée ukrainienne s'entrainant à côté de Lugansk
Volontaires de l'armée ukrainienne s'entrainant à côté de Lugansk. Sur le plan militaire, le pays manque de combattants. Sergii Kharchenko / Pacific Press/ZUMA/REA
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Entretien

Kiev a besoin de soutien politique autant que militaire

6 min

La Russie continue de nier la présence de ses troupes en Ukraine qui appuient pourtant directement sur le terrain les forces séparatistes. A l’heure où celles-ci menacent plusieurs villes, les pays occidentaux s’interrogent sur l’opportunité d’aider une armée ukrainienne dont les équipements sont obsolètes et qui manque d’hommes. Mais c’est avant tout de leur détermination politique face à Vladimir Poutine dont Kiev a besoin. Interview avec Igor Sutyagin, chercheur au Royal United Services Institute (RUSI) à Londres.

Quelles sont les principales faiblesses de l’armée ukrainienne aujourd’hui ?

Sur le plan militaire, le pays manque de combattants

La principale faiblesse de l’Ukraine en général est la faiblesse de ses moyens comparés à ceux de Moscou dans le conflit actuel. Sur le plan militaire, le pays manque de combattants. Et à cet égard, en raison de son régime démocratique aussi imparfait soit-il, elle est dans une situation très différente de la Russie qui est très centralisée et où l’endoctrinement est fort. S’ils sont appelés à se battre sur un front, les soldats russes ne discutent pas globalement. De même qu’ils ne refuseront pas d’obéir à un ordre illégal. En Ukraine, à l’inverse, il est très difficile aujourd’hui de forcer des gens à s’enrôler dans l’armée. Quant aux bataillons de volontaires qui se battent aux côtés des troupes régulières, ils sont certes très motivés, mais mal équipés au point qu’ils se déplacent souvent en bus de ville réquisitionnés. En outre, même si les médias en parlent beaucoup, ces volontaires sont en réalité très peu nombreux, 10 % peut-être de l’ensemble des forces.

L’armée ukrainienne a été négligée par les gouvernements successifs depuis l’indépendance en 1991. Elle s’est très peu entraînée. Sur ce plan, il est vrai, les performances russes ne sont pas fameuses non plus et les forces ukrainiennes ont appris vite sur le terrain depuis que le conflit a éclaté l’an dernier. En revanche, l’armée ukrainienne a souffert depuis longtemps de sous-investissement. Ses matériels sont obsolètes, et elle manque de stocks de réserves pour faire face à un conflit qui dure, alors que la Russie a procédé à un réarmement intensif depuis six ans, à l’issue des carences constatées durant la guerre de Géorgie en 2008. Les armes sophistiquées font cruellement défaut aux forces ukrainiennes. Certes, le pays dispose d’une importante industrie militaire, mais elle était surtout concentrée sur la modernisation d’armements lourds existants à des fins d’exportation. Enfin, les échelons supérieurs de l’armée étaient formés d’officiers qui avaient souvent plus d’attachement pour la Russie que pour l’Ukraine. Et il n’est pas sûr qu’ils aient tous quitté les rangs ukrainiens.

Les forces ukrainiennes affrontent-elles les séparatistes soutenus par l’armée russe ? Où sont-elles directement confrontées aux troupes russes ?

Tout dépend de l’endroit du front et du moment dont on parle. Une partie des affrontements de ces derniers jours se sont concentrés autour de la ville de Debaltseve, qui est située entre les deux bastions séparatistes de Donestk et Lugansk. Dans cette zone, les séparatistes sont en première ligne, mais les troupes russes sont juste derrière, à deux kilomètres du front. Elles tirent sur les positions ukrainiennes avec toute la puissance de leur artillerie, livrent des munitions aux séparatistes etc… même si elles n’affrontent pas les troupes ukrainiennes face à face.

Aujourd’hui, même si Moscou continue de nier toute présence militaire, on compte environ de 12 à 15 bataillons russes de groupement tactique en Ukraine

Le chef d’état-major de l’armée ukrainienne, le général Viktor Muzhenko, a décrit cette situation de manière imprécise et maladroite dans une conférence de presse le 29 janvier dernier en disant qu’aujourd’hui, l’armée de son pays ne se bat pas contre des troupes régulières russes. Il ne s’est pas rendu compte de l’impact de ces mots trop vagues. La propagande russe s’est évidemment emparée de sa déclaration. Le général a certes précisé sa description de la situation après la conférence de presse dans une deuxième réunion qui, elle, n’était pas ouverte aux journalistes, mais le mal était fait en termes de communications.

Aujourd’hui, même si Moscou continue de nier toute présence militaire, on compte environ de 12 à 15 bataillons russes de groupement tactique en Ukraine. Soit entre six et neuf mille hommes. Une partie de ces troupes sont en réserve plusieurs kilomètres en arrière du front et prêtes à avancer si les séparatistes parviennent à percer les lignes ukrainiennes.

Quel type d’aide militaire occidentale serait la plus efficace pour les forces ukrainiennes à court terme ?

A court terme, il est difficile d’être efficace, car les forces ukrainiennes auraient besoin de formation pour utiliser l’aide qui leur serait livrée, ce qui prend du temps. Certains équipements de communication sécurisée seraient pourtant utiles pour empêcher les forces russes de brouiller les transmissions de l’armée ukrainienne. Et d’autres pour permettre à celle-ci de brouiller les communications des Russes et des rebelles. De même, des moyens de reconnaissance, tels que des drones de moyenne portée (50 à 100 kilomètres), permettraient à l’armée ukrainienne d’avoir une image plus précise de la situation sur le terrain. Encore faut-il apprendre à les manipuler. Des radars de contre-batterie, pour déterminer le point de départ d’un tir adverse, seraient également nécessaires. Les Etats-Unis en auraient livré trois, mais ce n’est pas suffisant.

Surtout les pays occidentaux doivent montrer leur détermination politique face à la Russie

Au-delà des équipements, l’Ukraine qui est menacée d’effondrement économique a besoin d’aide financière. Mais surtout les pays occidentaux doivent montrer leur détermination politique face à la Russie, prouver qu’ils sont déterminés à dissuader tout nouvel aventurisme de Vladimir Poutine. Et cela passe par des actes concrets. Ainsi par exemple, le Parlement ukrainien a désigné la Russie comme l’Etat agresseur. Si la France demandait et obtenait d’un tribunal international qu’il désigne à son tour la Russie comme agresseur dans ce conflit, cela constituerait une base légale pour que Paris refuse de livrer les deux porte-hélicoptères Mistral que la Russie lui a commandés en 2011 (et dont la livraison est aujourd’hui seulement suspendue), sans avoir à verser les lourdes indemnités dont Moscou la menace si elle n’honore pas le contrat.

Comment pourrait réagir la Russie face à une aide accrue de pays occidentaux à l’Ukraine ?

La Russie enverra davantage de troupes dans ce pays où elles seront plus actives. D’autres bombardiers russes survoleront les côtes d’Europe de l’Ouest, comme ils l’ont déjà fait ces dernières semaines. La Russie accentuera aussi la pression psychologique sur les pays baltes, anciens membres de l’Union Soviétique. Mais elle n’ira pas vers une confrontation directe.

Il ne s’agit pas pour les pays occidentaux d’envoyer des troupes en Ukraine

Surtout, il ne faut pas se poser la question de cette manière. Selon un  proverbe populaire russe, « celui qui ne prend pas de risque ne boit jamais de champagne ». Autrement dit, si vous voulez éviter tout danger, vous n’obtiendrez rien. Il ne s’agit pas pour les pays occidentaux d’envoyer des troupes en Ukraine. La principale aide que les pays occidentaux peuvent apporter à ce pays consiste à le soutenir financièrement et à montrer à la Russie qu’ils sont politiquement déterminés.

Propos recueillis par Yann Mens

Propos recueillis par Yann Mens

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