Salon pour le logement des jeunes, à Lyon. 25 % ont dû sacrifier des dépenses de première nécessité pour se loger selon un sondage de l'Afev. ©Laurent CERINO/REA
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Entretien

«Les jeunes sont toujours moins bien logés que leurs aînés»

5 min
Manuel Domergue Directeur des études de la Fondation Abbé Pierre

Sept jeunes sur dix se heurtent à des difficultés pour se loger. C’est l’un des principaux résultats de la septième édition de l’observatoire de la jeunesse solidaire, animé par l’Afev1. Parmi eux, 29 % n’ont pas d’autres solutions que de rester chez leurs parents, 25 % ont dû sacrifier des dépenses de première nécessité pour se loger et 21 % n’ont pas eu accès à un logement faute d’emploi stable. Tous les jeunes ne sont cependant pas logés à la même enseigne : ce sont les jeunes les moins diplômés, en emploi précaire ou sans emploi, ou encore issus de milieux modestes qui cumulent le plus de difficultés dans l’accès au logement. Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, commente les résultats de ce sondage.

Etes-vous surpris par la lecture de ces résultats ?

Pas vraiment : les jeunes sont toujours moins bien logés que leurs aînés, mais cette tendance s’aggrave au fil des années. La crise économique et la hausse des prix de l’immobilier touchent plus les jeunes, dont les profils sont parmi les plus fragiles de la population. Et même ceux des familles des classes moyennes se heurtent à des difficultés d’accès au logement.

« La jeunesse n’est qu’un mot », selon Bourdieu ; pourtant, même si les conditions de vie divergent franchement entre différentes populations de jeunes, on constate des difficultés parfois comparables, des réalités communes vécues à des degrés divers. L’allongement de la durée du passage d’un statut d’étudiant à celui d’adulte en emploi stable, avec des parcours non-linéaires, rythmés d’accidents, entraîne la multiplication de périodes intermédiaires : stages, formations professionnalisantes… Pendant ces moments, le recours aux parents est très important, et c’est là que l’on retrouve les inégalités entre familles.

Quelles sont les difficultés communes auxquelles les jeunes font face pour se loger ?

Un accès très difficile au parc locatif de droit commun, une dépendance aux parents (pour payer leur loyer, et/ou se porter garants) qui reproduit les inégalités sociales en fonction des familles considérées.

Un autre point intéressant du sondage, c’est la proportion de jeunes vivant chez leurs parents faute d’autre choix, et plus encore celle des jeunes chez leurs parents déclarant vivre en couple, voire être mariés ou pacsés : 12 % ! On se heurte là à un réel obstacle pour le démarrage serein d’une vie de famille. Quant à ces 15 % de jeunes ayant vécu au cours de leur parcours un épisode de non-logement ou de logement très précaire, cela doit vraiment nous alerter, car une telle situation peut entraîner des conséquences à long terme (sur la santé, l’alimentation, l’insertion professionnelle, la confiance en soi…).

Ensuite un quart des jeunes disent renoncer à des dépenses de première nécessité, un drame que nous constatons également chez de nombreux jeunes que nous rencontrons. Enfin, un élément que l’on ne voit pas dans l’enquête, c’est que d’après l’enquête nationale logement de 2006, à l’âge de 22 ans, 69 % des hommes contre 44 % des femmes vivaient encore chez leurs parents : les moyennes cachent donc de grandes différences selon les sexes mais aussi selon les niveaux d’études ou les revenus des parents.

Pourquoi ce cumul de problèmes ?

Les jeunes subissent des conditions d’accès au logement structurellement plus difficiles : leur accès à l’emploi est plus précaire et leurs revenus plus faibles et plus irréguliers, d’où une méfiance de la part des propriétaires ; ils habitent plus souvent seuls, et en ville, dans de petits logements, ce qui occasionne des niveaux de loyer au m² exorbitants. En outre, étant par définition plus mobiles, ils sont bien moins protégés que d’autre face aux hausses de loyers. Et les solutions institutionnelles qui leur sont dédiées sont insuffisantes : le parc social est mal adapté à leurs besoins, les cités universitaires sont en nombre bien trop insuffisant.

Vous paraissent-ils résignés ?

Attention aux généralités. Ils ont surtout l’impression que leur place est moins assurée et qu’on ne leur fait pas beaucoup de place. Et il est vrai que les perspectives ne sont pas réjouissantes pour ceux qui partent avec le moins d’atouts dans la vie. Le taux de chômage de 50 % des jeunes sans diplôme constitue un problème structurel, qui n’est pas dû à leur résignation ou motivation, mais à la politique économique du pays. Il existe malgré tout un grand nombre de jeunes surmotivés, souhaitant réaliser des projets personnels et collectifs… il ne faut pas l’oublier.

Quelles pistes proposez-vous pour améliorer la situation ?

La Garantie universelle des loyers avait été votée dans la loi ALUR, mais ne sera pas mise en place, a déclaré le gouvernement. C’est très dommage. La Fondation Abbé Pierre entend au contraire la voir appliquée, parce qu’elle assurerait un droit universel pour tous à la garantie contre les impayés, en lieu et place de solutions ciblées, souvent discriminantes, et compliquées (Loca Pass, GRL, CLE…) ou de la demande d’une caution parentale, infantilisante et inéquitable.

Il conviendrait également de mettre en place un encadrement des loyers volontaristes, dans toutes les agglomérations tendues, et pas seulement à titre expérimental à Paris comme l’a annoncé le gouvernement. Pour les étudiants et jeunes travailleurs, il faut développer des foyers de jeunes travailleurs et des cités universitaires ; et pour les sans-emploi de moins de 25 ans, autoriser l’accès au RSA pour éviter que ne se constituent dès le plus jeune âge des parcours de grands précaires, dont il est ensuite bien difficile de s’affranchir.

  • 1. Étude réalisée du 16 au 20 décembre 2013, par téléphone, sur système CATI (Computer Assisted Telephone Interviews) auprès d’un échantillon national de 500 jeunes représentatifs de la population française âgés de 15 à 30 ans (RP INSEE 2010).
Propos recueillis par AFEV

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