Entretien

Matières premières : " Ce sont les fondamentaux qui poussent les prix à la hausse "

3 min
Philippe CHALMIN Conseiller économique de la SFAC et directeur du rapport Cyclope sur les marchés mondiaux

Alternatives Economiques : La flambé des prix des matières premières est-elle selon vous une fièvre spéculative passagère ?

Philippe Chalmin : On a beaucoup parlé de bulles spéculatives sur les marchés de commodités (voir encadré page 54), mais ce n’est pas aux spéculateurs qu’il faut imputer la hausse des cours, même s’ils ont pu dans certains cas peser sur les prix et augmenter la volatilité du marché. La preuve, c’est que des marchés comme le fret ou l’acier, qui ont enregistré des hausses spectaculaires en 2004, ne sont pas considérés comme spéculatifs, au sens où ils ne font pas l’objet de marchés dérivés.

Le cas du minerai de fer est exemplaire. Son prix ne se fixe pas sur un marché libre, mais une fois par an, par un accord de long terme entre offreurs et demandeurs. L’offre est dominée par trois mineurs et la demande par une poignée de gros sidérurgistes. Cette année, ils ont fini par se mettre d’accord sur une augmentation de prix de 71 % ! A titre de comparaison, le prix du nickel n’a augmenté " que " de 44 % sur l’année 2004. C’est pourtant un métal particulièrement instable, très sensible aux accès spéculatifs et soumis de surcroît un contexte géopolitique tendu. Ce sont les fondamentaux* qui poussent les prix à la hausse. C’est pourquoi je n’anticipe pas de retournement des marchés à court terme.

Et pourtant, toutes les périodes de flambée des cours des matières premières se sont toujours soldées par des baisses plus ou moins brutales...

L’économie des matières premières fonctionne selon des cycles de vingt-cinq à trente ans, depuis la fin du XIXe siècle. Depuis la guerre, nous avons connu trois moments de tension, l’un au début des années 50, un deuxième au milieu des années 70 et nous vivons le troisième aujourd’hui. A chaque fois, ces poussées suivent de longues périodes de prix très bas, durant lesquelles les investissements dans les capacités de production sont gelés. Mais l’élément déclencheur du choc est à chaque fois différent. Il y a trente ans, ce fut surtout la prise de contrôle par l’Opep du marché pétrolier, qui a entraîné dans son sillage les autres marchés de matières premières. Aujourd’hui, c’est la montée en puissance de la demande chinoise.

Nous sommes aujourd’hui à des niveaux de prix élevés qui, pour un certain nombre de produits, ont déjà déclenché des décisions d’investissement. Elles se traduiront physiquement sur les marchés dans les années à venir. Comme en général ces investissements ne sont pas coordonnés, ils peuvent être relativement excessifs - et ils l’ont été dans le passé. On risque donc de se retrouver d’ici à la fin de la décennie dans une situation d’excédent d’offre et donc de baisse des prix.

Cependant, si la théorie des cycles fonctionne pour le passé, il ne faut pas croire que celui-ci va se reproduire à l’identique. Pour certaines matières premières, on peut se poser la question de savoir si nous ne sommes pas entrés dans une logique de la rareté qui, à elle seule, pourrait justifier la pérennité de prix élevés.

Quels sont ces produits dont le prix pourrait rester durablement élevé ?

C’est le cas du pétrole, mais aussi des produits agricoles. Pour nourrir près de 10 milliards de personnes à la fin du siècle, l’agriculture mondiale devra doubler sa production. Et cela devra se faire à surface agricole utile constante. Il faudra quelques révolutions vertes pour satisfaire aux besoins alimentaires de l’humanité. Et l’incitation à ces révolutions vertes, c’est un maintien de prix agricoles relativement élevés.

Propos recueillis par Sandra Moatti

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !