Opinion

Le terrorisme ou des terroristes ?

3 min
Jean-François Bayart Professeur d'anthropologie et de sociologie à l'Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID)

Sous son apparent bon sens, la lutte contre le terrorisme international menace de saper les fondements de la démocratie et de la liberté individuelle. Certes, les bombes tuent aveuglément. Mais la répression aussi réprime aveuglément. Y compris les droits de ceux qui ne sont en rien impliqués dans des activités terroristes, voire en sont les victimes potentielles. Lorsqu’au pays de l’habeas corpus les policiers reçoivent l’ordre de " tirer pour tuer ", il est temps de s’inquiéter. D’autant que les législations liberticides tendent à être irréversibles. Or, depuis 2001, les Etats-Unis ont réhabilité et délocalisé la torture, édifié un archipel carcéral off shore, enlevé des suspects à l’étranger, transformé les compagnies aériennes en auxiliaires de leurs services secrets, multiplié les contrôles et les écoutes de par le monde, bafoué le droit international. Les pays européens ont tempéré, mais collaboré.

Bien sûr, la neutralisation et le châtiment des terroristes s’imposent. Et des moyens policiers sont nécessaires pour que justice soit rendue. Pourtant, cet objectif de salut public ne doit pas entretenir la confusion. Il ne s’agit pas d’une " guerre ", et le terme n’a d’autre fin que de légitimer l’instauration d’un état d’exception durable. Il ne s’agit pas non plus de " terrorisme international ", et cette notion générique, anthropomorphique même, n’a d’autre utilité que de mutualiser à l’échelle planétaire la répression d’oppositions politiques disparates. La sainte alliance qui unit les démocraties aux dictatures les plus cruelles, sous prétexte d’ennemis communs, représente un péril plus grand encore que les bombes des assassins.

Aucune " bataille de Londres ", même victorieuse, ne viendra à bout de la violence. Les attentats sont des moyens inqualifiables de défendre des causes politiques. Par exemple l’indépendance de la Tchétchénie, la souveraineté de la Palestine, le départ des troupes américaines de l’Arabie Saoudite et de l’Irak. La satisfaction des revendications légitimes, la reconnaissance des mouvements qui les expriment, la distanciation par rapport aux régimes d’oppression, l’élargissement des droits et des libertés restent les meilleurs moyens dont disposent les démocraties pour isoler les tueurs de leur base sociale virtuelle. Ainsi, les partis islamistes peuvent aider à juguler Al Qaida, comme les partis communistes avaient contribué à étouffer le terrorisme gauchiste.

Et trop de guerres coloniales d’arrière-garde ont été perdues avec des accents martiaux pour que nous fassions l’économie d’une réponse politique aux demandes ou aux attentes que dévoient les tueurs. Soyons au moins des libéraux conséquents. A l’heure du marché global, le contrôle militaire du pétrole arabe est peut-être archaïque, et la redéfinition de la citoyenneté en Europe s’impose. La politique ne remplace pas les mesures policières. Mais elle leur donne sens.

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