Commerce : les traités bilatéraux bousculent l’OMC

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La multiplication des accords bilatéraux remet en cause le multilatéralisme et le libre-échange.

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) est mal en point. Alors qu’elle est censée fournir un cadre multilatéral aux Etats pour qu’ils négocient, en commun, les règles du jeu du commerce international, la prolifération de traités commerciaux bilatéraux bouscule son autorité1.

Dans le cadre de l’OMC, les Etats sont obligés de négocier des compromis. A l’inverse, les traités commerciaux bilatéraux laissent libre cours à la loi du plus fort. Les nombreux traités de ce type signés ces dernières années par les Etats-Unis en sont l’illustration. Ainsi, le Chili et Singapour ont dû accepter de lever les quelques contrôles de capitaux dont ils disposaient pour laisser les banquiers et les investisseurs américains opérer à leur guise sur leur marché. En Australie, le copyright des auteurs américains court désormais soixante-dix ans après leur mort, au lieu de cinquante ans normalement. Une mesure qui n’a rien à voir avec un désir de protéger l’innovation (les auteurs morts n’écrivent plus !) et qui permet juste d’accroître les royalties des détenteurs de droits. A l’inverse, la viande de boeuf et les produits laitiers australiens devront attendre dix-huit années avant d’obtenir un accès complet au marché américain !

Les traités bilatéraux vont encore plus loin dans la remise en cause du multilatéralisme lorsqu’ils contournent le pouvoir de l’Organe de règlement des différends (ORD). Cette cour d’arbitrage international des conflits commerciaux interdit aux plus puissants de se lancer dans des guerres commerciales et de se faire justice eux-mêmes. Or, le traité entre les Etats-Unis et l’Australie indique que les deux pays pourront régler leur problème de matière bilatérale, y compris pour les sujets ressortissant des règles de l’OMC. Les laboratoires pharmaceutiques américains ont aussi obtenu la création d’un groupe de travail ad hoc auquel ils pourront se plaindre si leurs médicaments ne sont pas retenus sur la liste des produits subventionnés par les autorités australiennes. Un ensemble de jurisprudences va ainsi se développer en parallèle un peu partout dans le monde, sans qu’une hiérarchie claire soit établie, ouvrant la porte à des interprétations divergentes des règles et à la confusion.

Enfin, les traités bilatéraux permettent aux Etats de revenir sur la rhétorique du libre-échange qui prévaut à l’OMC pour officialiser le niveau de protectionnisme qu’ils jugent utiles à la défense de leur modèle social. Ainsi, dans l’accord signé à la fin 2005 entre la Thaïlande et le Japon, les voitures japonaises n’auront pas accès au marché thaïlandais et l’acier ne pourra y entrer qu’en 2015, tandis que les produits de la puissante agro-industrie thaïlandaise sont exclus de l’accord pour ne pas concurrencer les agriculteurs japonais.

Pour l’économiste Craig Freedman, le génie de ces promoteurs d’un protectionnisme organisé est de faire croire que ces traités font avancer le libre-échange !

Le risque est désormais accru qu’un pays (les Etats-Unis ?) finisse par quitter une OMC qui ne lui servirait plus à rien ou par refuser un jugement de l’ORD. Ce serait alors la mort du système commercial multilatéral.

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