Quand les peintres affichent : la rue comme musée permanent

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Proclamant l'égalité entre les Beaux-Arts et les Arts appliqués, des peintres d'avant- garde inventent un art de l'affiche qui séduit un large public : la publicité sert l'art et l'art sert la publicité.

La publicité a pris son essor à la fin du XIXe siècle, accompagnant l’accélération de l’industrialisation. Les expositions universelles de Paris en 1889 et 1900 mettent en lumière, devant des millions de visiteurs, les nouveaux produits industriels, à côté des produits de luxe et de semi-luxe. Ces entreprises françaises sont soucieuses de conquérir le marché des classes moyennes urbaines toujours plus nombreuses. Mais la publicité, en France, présente des spécificités par rapport aux autres pays industrialisés : les dépenses publicitaires y sont plus faibles, elles soutiennent des secteurs assez peu dynamiques de l’économie et s’appuient sur le support de l’affiche plus que partout ailleurs. Ces caractéristiques reflètent les particularités de l’économie et de la société françaises : importance des petites et moyennes entreprises aux trésoreries médiocres, étroitesse du marché dans un pays où les campagnes achètent peu et méfiance concernant la " réclame ".

C’est en partie pour vaincre cette hostilité de l’opinion publique que l’affiche artistique apparaît : en faisant appel vers 1900 aux plus grands peintres, comme Pierre Bonnard ou Toulouse-Lautrec, un peu de la respectabilité reconnue à l’art est transférée sur le message des annonceurs. En même temps, les préoccupations de ceux-ci rencontrent celles d’une nouvelle génération de peintres, pour lesquels il n’y a pas d’art mineur et dont l’intérêt pour l’affiche est stimulé par la diffusion de la lithographie en couleurs.

Certes, les affiches illustrées ne sont pas nées avec ces peintres novateurs. La France s’était déjà distinguée à l’époque romantique par la qualité artistique de ses affiches de libraires. Parmi elles, on peut citer celle d’Edouard Manet, petit chef-d’oeuvre monochrome annonçant la parution des Chats de Champfleury.

Les chats de Champfleury, 1868. Dessin lithographique d’Edouard Manet (1832-1883)

Une des dernières " affiches de libraire ". Cette superbe composition aux lignes dépouillées, opposant noir et blanc, a pour vocation d’être placardée uniquement à l’intérieur de la librairie.
Le texte, banal par sa typographie, est purement informatif et n’est pas du tout intégré dans le dessin.

Les chats de Champfleury, 1868. Dessin lithographique d’Edouard Manet (1832-1883)

Une des dernières " affiches de libraire ". Cette superbe composition aux lignes dépouillées, opposant noir et blanc, a pour vocation d’être placardée uniquement à l’intérieur de la librairie.
Le texte, banal par sa typographie, est purement informatif et n’est pas du tout intégré dans le dessin.

Confetti, 1894, 54,5 x 39 cm. Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901)

Dans cette affiche pour l’entreprise de papier peint Bella, à Londres, la gamme des couleurs est limitée. La tonalité est douce, malgré la franche opposition du blanc de la robe et du chapeau et du noir des gants et du col. Le trait est souple, ondoyant. La composition très sobre et la tache rousse de la chevelure guident le regard vers le visage radieux et presque enfantin de la jeune femme, reine de la fête. Le mot " confetti ", intégré à l’image, accompagne l’envolée oblique du corps. Bref, avec peu de moyen, une dynamique anime cet ensemble pétillant et suggère bien l’idée d’une fête réussie et harmonieuse. La signature de l’artiste - HTL - prend l’aspect d’un monogramme élégant à la japonaise.

Confetti, 1894, 54,5 x 39 cm. Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901)

Dans cette affiche pour l’entreprise de papier peint Bella, à Londres, la gamme des couleurs est limitée. La tonalité est douce, malgré la franche opposition du blanc de la robe et du chapeau et du noir des gants et du col. Le trait est souple, ondoyant. La composition très sobre et la tache rousse de la chevelure guident le regard vers le visage radieux et presque enfantin de la jeune femme, reine de la fête. Le mot " confetti ", intégré à l’image, accompagne l’envolée oblique du corps. Bref, avec peu de moyen, une dynamique anime cet ensemble pétillant et suggère bien l’idée d’une fête réussie et harmonieuse. La signature de l’artiste - HTL - prend l’aspect d’un monogramme élégant à la japonaise.

Le " prodige " Lautrec

C’est Pierre Bonnard, peintre nabis, qui, après l’expérience de sa première affiche France Champagne en 1891, entraîne Henri de Toulouse-Lautrec chez son imprimeur. Il lui fait découvrir le travail sur la pierre lithographique.

Influencé aussi par les maîtres des estampes japonaises (Utamaro, Hokusai, Hiroshige), Toulouse-Lautrec révolutionne l’art de l’affiche par des compositions audacieuses et des couleurs traitées en larges aplats pour créer une illusion spatiale. La ligne souple sait trouver de saisissants raccourcis pour suggérer un mouvement. Lautrec ne réalise que 31 affiches, mais " personne ne reverra le prodige qu’aura fait éclater sur les murs de Paris, à la fin du siècle dernier, l’apparition des affiches de Lautrec ", dira Natanson, directeur de La Revue blanche, tribune des avant-gardes artistiques. Les longues palissades dissimulant les chantiers post-haussmanniens sont les principales cimaises des créations de Lautrec et diffusent de nouvelles caractéristiques esthétiques, prémisses de la modernité en art.

Les affiches de Lautrec sont à la fois une image descriptive du Montmartre lieu de plaisir de la vie nocturne des années 1890 et le témoignage d’un certain brassage social, où la bonne société bourgeoise aime à s’encanailler dans les cafés-concerts, autorisés depuis 1864 et principal lieu de distraction populaire jusqu’en 1914. Ces affiches répondent à des commandes de chanteuses et de danseuses (Yvette Guilbert, May Milton, May Belfort, Jane Avril), du chansonnier Aristide Bruant, de directeurs de cabarets ou de café-théâtre (comme Zidler, directeur du Moulin Rouge, pour lequel Lautrec fait sa première et peut-être sa plus célèbre affiche de La Goulue en 1891), ou encore par des journaux et des revues (comme La Revue blanche). Mais quelques-unes répondent à des commandes d’industriels, telles que La chaîne Simpson en 1896, chaîne de vélo de course vendue dans le magasin de son ami Spoke, ou Les cycles Michaël en 1896, ou bien encore Confetti pour l’imprimerie Bella de Londres, fabriquant du papier peint.

Le divan japonais, 1892, 79,5 x 59,5 cm. Toulouse-Lautrec (1864-1901)

Cette affiche, commandée par le directeur du café-concert Le divan Japonais, réunit deux modèles fétiches de l’artiste, la danseuse Jane Avril et la chanteuse Yvette Guilbert. A droite de Jane, le critique musical et littéraire Edouard Dujardin. Lautrec a réduit le spectre des couleurs, traitées en larges aplats : au premier plan, l’intensité du noir de la robe de Jane et des chapeaux fait ressortir la luminosité de la scène, en jaune, sur laquelle chante Yvette Guilbert, en arrière-plan. Entre les deux, la silhouette grise des violoncelles et des bras du chef d’orchestre crée une impression d’espace entre le spectacle et les spectateurs. La seule tache de couleur vive est la chevelure rousse de Jane Avril. Chaque figure est cernée par un trait vigoureux. La ligne souple et sinueuse du dossier de la chaise, prolongée par la courbe de la canne, s’oppose à la raideur hautaine de la chanteuse.
On est frappé aussi par l’humour - peut-être un peu cruel - du peintre. La tête d’Yvette Guilbert est hors champs et la chanteuse n’est reconnaissable qu’à ses longs gants noirs.

Le divan japonais, 1892, 79,5 x 59,5 cm. Toulouse-Lautrec (1864-1901)

Cette affiche, commandée par le directeur du café-concert Le divan Japonais, réunit deux modèles fétiches de l’artiste, la danseuse Jane Avril et la chanteuse Yvette Guilbert. A droite de Jane, le critique musical et littéraire Edouard Dujardin. Lautrec a réduit le spectre des couleurs, traitées en larges aplats : au premier plan, l’intensité du noir de la robe de Jane et des chapeaux fait ressortir la luminosité de la scène, en jaune, sur laquelle chante Yvette Guilbert, en arrière-plan. Entre les deux, la silhouette grise des violoncelles et des bras du chef d’orchestre crée une impression d’espace entre le spectacle et les spectateurs. La seule tache de couleur vive est la chevelure rousse de Jane Avril. Chaque figure est cernée par un trait vigoureux. La ligne souple et sinueuse du dossier de la chaise, prolongée par la courbe de la canne, s’oppose à la raideur hautaine de la chanteuse.
On est frappé aussi par l’humour - peut-être un peu cruel - du peintre. La tête d’Yvette Guilbert est hors champs et la chanteuse n’est reconnaissable qu’à ses longs gants noirs.

L’engouement du public pour les affiches de Lautrec constitue un véritable phénomène : pour la première fois peut-être, le public plébiscite une forme d’art considérée comme d’avant-garde. Les qualités esthétiques de ces productions s’imposent aussi aux collectionneurs et aux galeristes, qui n’hésitent pas à décoller des affiches ou à soudoyer les poseurs d’affiches. Les expositions se multiplient et on parle de véritable " affichomanie " dans les années 1890.

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