Nicolas Sarkozy rattrapé par la crise (introduction du dossier)

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Le paquet fiscal n'a pas porté les fruits annoncés et l'austérité budgétaire risque d'aggraver le ralentissement économique tout en bloquant les réformes.

6 mai 2007. Nicolas Sarkozy l’emporte nettement sur Ségolène Royal. A l’époque, les clignotants économiques étaient au vert. Il n’y avait donc pas de raison de creuser les déficits publics pour soutenir l’activité. Cela n’avait pas dissuadé Nicolas Sarkozy de mettre en oeuvre immédiatement le plan de baisses d’impôts massives sur lequel il avait fait campagne. Avec notamment les fameuses heures supplémentaires défiscalisées et sans cotisations sociales pour " travailler plus pour gagner plus ", la déductibilité des intérêts d’emprunts sur les prêts immobiliers, le bouclier fiscal et la quasi-suppression des droits de succession. En tout, de l’ordre de 15 milliards d’euros de pertes de recettes fiscales pour l’Etat en année pleine, un peu moins de 1 % du produit intérieur brut (PIB).

Cette politique allait à l’encontre des engagements pris au nom de la France vis-à-vis des instances européennes, mais elle allait provoquer un tel " choc de confiance " que le rebond de la croissance qui en résulterait doperait au final les recettes fiscales et sociales, amenant rapidement le retour à l’équilibre des finances publiques. De plus, cette accélération de la croissance faciliterait la mise en oeuvre des indispensables réformes structurelles à venir.

Un an après, on sait ce qu’il en est advenu : pas de trace de " choc de confiance ". Bien sûr, la politique de Nicolas Sarkozy n’est pas seule en cause : la crise des subprime et la hausse des prix des matières premières pèsent lourd dans cet état de fait. En revanche, les conséquences négatives qu’on pouvait redouter d’une politique fiscale favorable surtout aux plus aisés commencent à se concrétiser : le taux d’épargne des ménages a gagné presque un point entre 2006 et 2007, passant de 15,4 % des revenus à 16,3 %. Pendant que l’autre conséquence négative habituelle des politiques de soutien à la demande se manifestait également : le déficit commercial de la France a bondi, passant de 30 milliards d’euros en 2006 à 39 en 2007.

Indicateurs en berne

Symptôme significatif : malgré la hausse du prix du pétrole, c’est surtout vis-à-vis du reste de l’Europe que le trou s’est creusé, aggravant une tendance déjà marquée depuis 2002 (voir graphique page 9). Il faut dire que sur le terrain fiscal, Nicolas Sarkozy n’a fait que poursuivre en l’accentuant la politique déjà menée par Jacques Chirac. Les baisses d’impôts avaient certes permis depuis six ans de soutenir la consommation en France, mais, comme le paquet fiscal de 2007, elles ont profité surtout aux producteurs étrangers, et notamment allemands...

En effet, pour ne rien arranger, les marges des entreprises françaises ont également baissé l’an dernier : elles sont passées de 30,8 % de leur valeur ajoutée en 2006 à 30,3 % en 2007. L’emploi s’est à l’inverse beaucoup accru en 2007 : les 350 000 créations ont permis avec les premiers départs en retraite massifs de baby-boomers, de ramener le chômage à 7,5 %. Mais cette dynamique a brutalement pris fin à l’automne : selon l’Insee, le rythme des créations d’emplois a été inférieur à 0,1 % par mois sur les trois derniers mois connus - décembre 2007, janvier et février 2008 -, soit moins de la moitié du rythme enregistré l’an dernier. Le ralentissement de la conjoncture joue bien sûr un rôle important dans cette dégradation, mais la puissante incitation qui existe désormais à faire effectuer des heures supplémentaires par les salariés déjà en poste dissuade également les entreprises d’embaucher. En tout cas, l’Insee ne prévoit plus de baisse du chômage cette année.

Enfin, côté pouvoir d’achat, l’accélération de la hausse des prix a réduit à néant les promesses de Nicolas Sarkozy : l’Insee ne prévoit que 0,3 % de hausse du pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages au premier semestre 2008. Compte tenu de l’accroissement de la population durant cette période, le revenu moyen de chaque Français va - officiellement - baisser pour la première fois depuis... 1984.

Coincé par le paquet fiscal

La politique engagée par Nicolas Sarkozy n’en est pas seule responsable, mais force est donc de constater, après un an de présidence, une croissance en berne, un emploi qui stagne et un pouvoir d’achat qui recule, tandis que les déficits sont en forte hausse, tant du côté des comptes publics que des comptes extérieurs. Alors que le nouveau président misait, au début de son mandat, sur l’effet d’accélération de son paquet fiscal sur une économie en reprise pour faciliter des réformes structurelles profondes. Du coup, il se retrouve coincé. Compte tenu de l’ampleur des déficits publics français et de la colère suscitée chez nos voisins par les mesures unilatérales prises l’an dernier, les marges de manoeuvre sont très limitées pour une nouvelle impulsion budgétaire susceptible de relancer l’activité.

Zoom Une fiscalité plus injuste

Si les bienfaits attendus du paquet fiscal ne se sont pas réalisés, le creusement des déficits publics est en revanche bien là. Il est passé de 43,4 milliards en 2006 à 50,6 milliards en 2007. Le déficit de l’Etat s’aggrave de 4,9 milliards d’euros supplémentaires pour atteindre 42 milliards d’euros. Avec, côté recettes, un basculement significatif : l’an dernier, l’impôt sur le revenu, payé par la moitié la plus aisée des Français, n’a rapporté que 0,5 % de plus qu’en 2006. Autrement dit, les recettes d’impôts sur le revenu ont significativement baissé en termes réels (la croissance nominale du PIB a été de 4,1 % en 2007).

Alors que les rentrées de TVA, payée par tous les Français et, en proportion de leurs revenus, surtout par les plus modestes, ont gonflé de 4 %. Un basculement qui devrait s’amplifier encore cette année, avec en plus une baisse prévue de 10 % des rentrées d’impôts en capital due aux réformes des donations et successions incluses dans le paquet fiscal de l’an passé. Tandis que, paradoxalement, le regain d’inflation devrait booster les rentrées de TVA, indexée sur les prix des produits, qui devraient croître de plus de 5 %... Aggravant ainsi le caractère très peu progressif du système fiscal français.

Evolution des déficits publics, en milliards d’euros

Tendance plus nouvelle : le déficit des collectivités locales plonge lui aussi de 4 milliards d’euros ; il atteint désormais 7,2 milliards d’euros, alors que leurs comptes étaient presque toujours excédentaires jusqu’en 2003. Dans un contexte où elles sont majoritairement d’une couleur politique différente de celle de l’Etat central, cette évolution porte une charge conflictuelle durable. Depuis plusieurs années déjà, l’Etat cherche en effet à rétablir ses comptes en confiant certaines de ses fonctions aux collectivités locales, mais sans leur transférer toutes les recettes correspondantes. Les conseils généraux gardent en particulier un souvenir cuisant du transfert du revenu minimum d’insertion (RMI) en 2004. C’est une des raisons pour lesquelles ils observent avec prudence le futur revenu de solidarité active (RSA), destiné à compléter les revenus des travailleurs pauvres ; ils craignent de devoir mettre le doigt dans un nouvel engrenage coûteux. A contrario, l’Etat accuse volontiers les collectivités locales de laisser filer les dépenses, sabotant ainsi les efforts menés au niveau central pour rationaliser l’action publique... Un jeu de ping-pong manifestement appelé à durer.

A noter, en revanche, une évolution peu soulignée : le déficit de la Sécu s’est sensiblement réduit l’an dernier. Elle ne contribue plus que pour 1,6 milliard d’euros aux 51 milliards de déficits publics, contre 3,3 milliards en 2006. Un effet en particulier du niveau élevé des créations d’emplois l’an dernier. Une tendance qui ne devrait cependant pas perdurer compte tenu de l’impact négatif sur l’emploi du ralentissement de la croissance, renforcé par les mesures en faveur des heures supplémentaires...

Un soutien du pouvoir d’achat des plus démunis, les grands oubliés du paquet fiscal de 2007, serait pourtant bienvenu, alors qu’ils sont aujourd’hui les premiers touchés par la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation. Les retraités, en particulier, auxquels Nicolas Sarkozy s’était adressé prioritairement au cours de sa campagne, n’ont pas vu venir encore la forte hausse promise des petites retraites, ni même le maintien du pouvoir d’achat des retraites de base, avec la hausse de 1,1 % seulement intervenue en janvier dernier. La mesure sociale emblématique de " l’ouverture ", le revenu de solidarité active (RSA) prôné par Martin Hirsch, qui devait être généralisée en 2009, a failli elle-même être repoussée aux calendes grecques. Aux dernières nouvelles, le RSA serait sauvé des eaux, mais il faudra attendre les arbitrages budgétaires définitifs pour savoir avec quelle ampleur il sera effectivement déployé l’an prochain.

Face à la crise des subprime et à ses conséquences, les marges de manoeuvre budgétaires sont limitées en France du fait du paquet fiscal de 2007. Mais nos voisins, et en particulier les six pays de l’ex-Europe à quinze qui étaient en excédent budgétaire l’an dernier (voir graphique page 11), auraient, eux, les moyens d’une relance budgétaire, de nature à soutenir indirectement l’activité en France. Après tant d’années où la consommation intérieure française a tiré les exportations allemandes et scandinaves, ce ne serait que justice. Mais, sur ce terrain, le discrédit de Nicolas Sarkozy est tel auprès des autres Européens qu’il va lui être très difficile d’obtenir d’eux qu’ils desserrent significativement les cordons de leur bourse, bien qu’il prenne la présidence de L’Union au second semestre 2008.

Une approche de court terme

Mais le plus lourd de conséquences pour l’avenir, c’est que le paquet fiscal de 2007, une politique classique de soutien à la demande, limite sévèrement la capacité du Président à mener la politique de l’offre annoncée et les réformes structurelles qui devaient transformer en profondeur le pays. Et notamment son appareil d’Etat et ses politiques publiques. En effet, comme l’a rappelé le mois dernier, Jean-Ludovic Silicani, en présentant un livre blanc sur l’avenir de la fonction publique, de telles réformes commencent toujours par coûter cher dans l’immédiat, et n’amènent des économies que par la suite. On l’a vu avec la réforme des régimes spéciaux de retraites : en contrepartie de l’allongement des durées de cotisation à la SNCF et à EDF, le gouvernement a accepté des hausses de salaires importantes en fin de carrière. Or aujourd’hui, coincé par la situation des finances publiques, le gouvernement cherche en priorité des économies à court terme. D’où le concours Lépine d’annonces variées auquel on a assisté ces dernières semaines, avec la suppression de la carte familles nombreuses à la SNCF, l’amputation des allocations familiales, le déremboursement par la Sécurité sociale des lunettes, la suppression de la dispense de recherche d’emploi pour les seniors, les suppressions de postes dans l’Education nationale...

Solde des échanges extérieurs de la France par zone, en milliards d’euros

Outre l’improvisation que traduisent ces annonces désordonnées, et les rétropédalages express auxquels elles donnent souvent lieu, cette volonté de réduire à court terme les dépenses publiques (7 milliards d’euros en 2008 et 10 milliards en 2009) va aggraver le ralentissement de l’économie. Une telle approche de la " réforme " ne peut en outre que braquer de multiples groupes sociaux. Et pas simplement dans la clientèle traditionnelle de la gauche. Les députés de droite, tout comme les commerçants et les petits patrons qui les soutiennent, veulent toujours faire baisser les dépenses publiques. Ils trouvent même généralement que Nicolas Sarkozy ne va pas assez vite en la matière. A condition toutefois qu’on ne touche pas aux hôpitaux, aux écoles, aux perceptions, aux tribunaux, aux bureaux de poste... qui sont dans leur circonscription ou dans leur zone de chalandise... Ni bien sûr aux allocations que reçoivent leurs électeurs ou leurs clients... L’austérité risque fort de tuer les réformes.

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