Dossier

Les raisons d’un retard

5 min

Le manque de coordination des politiques économiques en Europe et sa fragmentation politique handicapent l'euro face au dollar.

Pourquoi le dollar a-t-il résisté à la création de la monnaie unique européenne et a-t-il pu maintenir, décennies après décennies, sa domination sur la finance mondiale ? Les explications sont à la fois d’ordre économique et d’ordre politique.

Les explications économiques

Il en est pour la monnaie comme pour les autres produits : plus on en achète et plus on en vend en grande quantité, moins les coûts de transactions sont élevés. C’est pourquoi il est souvent plus facile, et moins coûteux, par exemple pour un importateur coréen de produits brésiliens, de vendre ses wons contre des dollars et de vendre ses dollars contre des reals plutôt que d’échanger directement des wons contre des reals. Les financiers anglo-saxons disent alors que le dollar est une vehicule currency, une "monnaie véhicule" qui sert en quelque sorte de moyen de transport pour aller d’une devise à l’autre.

Selon la dernière enquête de la Banques des règlements internationaux (BRI) sur le marché des changes, le dollar figurait d’un côté ou de l’autre des transactions 86 fois sur 100 en 2007, contre 77 en 1998, juste avant le lancement de l’euro. La monnaie européene n’était impliquée l’an dernier que dans 10 % des transactions.

De la même façon, la facilité avec laquelle les investisseurs privés et les banques centrales peuvent acheter des bons du Trésor américains (les titres de la dette publique) a tendance à accroître les transactions et à diminuer le coût de ce genre de titres financiers, ce qui les rend attrayants. Bien qu’important, le marché des dettes publiques des pays de la zone euro reste fragmenté en 15 marchés.

L’appréciation de l’euro par rapport au dollar au cours des cinq dernières années et la farouche volonté de la Banque centrale européenne (BCE) de maîtriser l’inflation au sein de la zone assurent aux détenteurs d’euros le maintien d’un important pouvoir d’achat au sein de l’Europe et dans le reste du monde. Mais les investisseurs ne sont pas seulement intéressés par le pouvoir d’achat de leurs placements, ils veulent également pouvoir compter sur des perspectives de rendement importantes. Or, de ce point de vue, la zone euro reste engluée dans un environnement où les politiques budgétaires ne sont pas coordonnés, ni entre elles ni avec la politique monétaire, ce qui limite la capacité de la zone euro à assurer un rythme de croissance soutenu à travers le temps. Et les difficultés institutionnelles rencontrées ces dernières années avec la succession de "Non" aux référendums français, hollandais et irlandais ne sont pas de bon augure pour l’avenir.

De plus, d’Internet aux dernières trouvailles médicales en passant par le baladeur numérique, les grandes innovations importantes des toutes dernières décennies sont nées aux Etats-Unis. La zone euro n’apparaît pas comme un centre d’innovations économiques majeures, ce qui renforce la perception d’une zone de croissance faible à moyen long terme. Alors qu’à l’inverse, même si elles ont un peu perdu de leur superbe, les multinationales américaines continuent à dominer le système productif mondial et l’économie américaine reste un vaste marché de biens, de services et d’actifs financiers attrayant pour le reste du monde.

Les causes politiques

Le retard international de l’euro face au dollar tient aussi à ce que la puissance d’une monnaie est liée à celle de son pays d’origine. Et de ce point de vue, l’Europe est loin de peser politiquement aussi lourd que les Etats-Unis, dont les choix continuent de largement influencer la géopolitique mondiale. La traduction économique de ce constat se vérifie dans le fait que la zone Asie, la plus dynamique de la planète, est restée très attachée au dollar et contribue ainsi largement à son statut hégémonique.

Pour exercer un pouvoir équivalent, l’Europe aurait besoin d’une capacité de décision politique centralisée que ses Etats membres ne semblent pas prêts à accepter. L’euro reste "une monnaie sans Etat", commente l’économiste André Sapir, "une monnaie sans pays", ajoute le professeur de finance américain William L. Silber. Or, une étude récente de deux chercheurs américains, Michael D. Bordo et Harold James 1, sur les unions monétaires à travers l’histoire a bien montré que l’union politique est indispensable à la pérennité et à la force politique d’une monnaie commune. Les difficultés de l’Europe à progresser sur cette voie laissent encore ouvert un scénario possible de fragmentation de la zone, qui ne prête pas à l’optimisme...

La domination du dollar n’est pas assurée pour toujours. La montée en puissance économique de la Chine ne s’est pas encore traduite par une montée en puissance monétaire ; le yuan restant largement absent des différentes fonctions de monnaie internationale. En s’imposant régionalement, l’euro est la monnaie qui a été le plus loin dans la conquête du monde de la finance internationale et dans la tentative de remise en cause de la suprématie du dollar. De la capacité des Européens à progresser ensemble politiquement dépendra l’avenir de l’euro et sa capacité à faire mentir le financier américain Henry Kaufman lorsqu’il déclarait qu’"en dépit des importants déficits budgétaires et extérieurs américains, dans l’avenir prévisible, il n’y a vraiment aucune alternative au dollar"

Le Moyen-Orient est le principal champ de bataille entre l’euro et le dollar

  • 1. "A Long Term Perspective on the Euro", NBER Working Paper n° 13815, février 2008.
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