TVA sur la restauration : un mauvais rapport qualité-prix

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Onéreuse, la baisse de la TVA dans l'hôtellerie-restauration est aussi une fausse bonne idée, qui devrait peu profiter aux salariés du secteur.

Le 1er juillet, le quatrième plus gros employeur de France a sabré le champagne : l’hôtellerie-restauration-café et ses 185 000 établissements n’acquittent plus qu’une TVA à 5,5 % à la place du taux normal de 19,6 %. C’était déjà le cas en partie pour l’hôtellerie, la restauration collective et la restauration à emporter. Cela devient désormais la règle pour tous (à l’exception des boissons alcoolisées, pour lesquelles la TVA reste à 19,6 %). C’est donc l’aboutissement d’un long combat commencé en 2001, lorsque le candidat Jacques Chirac avait promis qu’il en serait ainsi s’il était élu. Mais le Président n’était pas parvenu à obtenir ce que le candidat avait promis, parce que, en matière de taux de TVA, la décision dépend du Conseil européen et doit être prise à l’unanimité. Nicolas Sarkozy a cependant fini par obtenir le feu vert de ses collègues européens et a décidé de rendre cette baisse opérationnelle dès le 1er juillet, comme un élément supplémentaire de la politique de relance.

Il s’agit incontestablement d’un effort conséquent pour le Trésor public qui, de ce fait, s’apprête à renoncer à 2,4 milliards d’euros de recettes en année pleine : 3 milliards dus à la baisse de TVA moins 0,6 milliard d’économies grâce à la suppression des aides directes qui avaient été mises en place en 2004. Il s’agissait alors de compenser l’impossibilité d’obtenir cet accord européen unanime sur la baisse de la TVA.

A la suite d’états généraux organisés fin mars dernier, la profession a pris en échange un certain nombre d’engagements : des baisses de prix immédiates pour les clients, 40 000 em- bauches supplémentaires dans les deux ans, dont la moitié en contrats d’alternance (apprentissage ou professionnalisation) et une revalorisation des salaires, particulièrement peu attractifs dans la profession (et qui expliquent en bonne partie la désaffection dont elle est victime et la difficulté qu’ont les cafés- restaurants à trouver de la main-d’oeuvre).

Tout cela peut paraître à première vue équilibré : des créations d’emplois, des baisses de prix, des marges qui augmentent, des hausses de salaires, bref tout le monde - salariés, patronat, demandeurs d’emploi et consommateurs - en tire profit grâce à la bonne fée Trésor public. Quand on y regarde de plus près, la réalité est moins idyllique.

Prime à la baisse des prix

En ce qui concerne la revalorisation des salaires, les négociations sont en cours et se révèlent difficiles. Déjà en 2004, il avait été convenu que les aides aux entreprises de la restauration comptant moins de trente salariés devraient s’accompagner d’une contrepartie en termes salariaux. Elle avait été finalement des plus modestes, puisqu’il s’était agi d’intégrer dans le temps de travail (et donc de payer) les interruptions de service liées au repas des salariés. Si bien que les pénuries de personnel, criantes à l’époque, avaient perduré. Quant aux embauches, les contrats par alternance ne coûtent pas cher, soit parce qu’ils sont rémunérés nettement moins que le Smic (apprentissage), soit parce qu’ils font l’objet de subventions publiques importantes (contrats de professionnalisation).

Quant aux " vraies " créations d’emplois (20 000 en deux ans), l’objectif ne devrait pas être trop difficile à atteindre, puisque, au cours des dix dernières années, la moyenne des créations a été de 15 000 par an. Toutefois, la branche est aujourd’hui assez sensiblement affectée par la crise, avec des baisses de chiffre d’affaires de l’ordre de 5 % : elle a atteint par exemple 7,7 % pour le 1er trimestre 2009 par rapport au trimestre précédent chez Buffalo Grill. Si la crise devait se poursuivre, la branche pourrait avoir du mal à tenir ses engagements.

Restent les prix. La profession s’est engagée à les baisser de 11,8 %, soit exactement l’économie tirée de la baisse de la TVA, mais sur une dizaine de produits seulement (café, thé, eau minérale, plat du jour, menu du jour, menu enfants...). Chaque restaurateur devra choisir au moins sept de ces items. Les professionnels estiment que cela devrait se traduire par une baisse de l’addition totale de l’ordre de 3 % pour les clients. Sans doute de quoi attirer quelques consommateurs supplémentaires, mais pas de quoi améliorer sensiblement le marché de la restauration mis à mal par la crise.

C’est pourquoi la plupart des économistes pensent que cette baisse de TVA, qui améliore en théorie les marges de l’ensemble de la branche de 11,8 %, va très vite être convertie en quasi-totalité en baisse des prix du fait de la faiblesse actuelle de la demande. Certes, il faudrait nuancer : dans une partie des restaurants, ce n’est pas tant le prix qui fait venir les clients que la réputation, la renommée, le guide (Michelin par exemple), la critique, le bouche à oreille 1. Mais, même dans ce segment - très minoritaire -, la demande baisse parce que la crise a réduit les rémunérations de beaucoup, y compris parmi les professions à revenus élevés, et qu’elle pousse les entreprises à réduire leurs " frais généraux ", à commencer par les repas d’affaires. Si bien que la concurrence va sans doute amener progressivement l’ensemble des établissements, y compris ceux du haut de gamme, à baisser leurs prix pour tenter de reconquérir une clientèle devenue plus rare. Contribuant ainsi surtout à entraîner l’économie française sur la voie glissante de la déflation.

Schizophrénie politique

Le problème est que, du coup, les marges qui demeureront disponibles pour améliorer les conditions de travail et de rémunération des salariés (ils sont 636 000 pour les seuls restaurants en 2007) risquent de fondre très vite, ce qui explique l’âpreté des négociations sociales. Or il y a urgence : en 2006, 155 000 salariés de l’hôtellerie-restauration 2, soit près d’un sur cinq, étaient des " travailleurs pauvres ", c’est-à-dire qu’ils vivaient dans des foyers touchant moins de 60 % du revenu médian. C’est le taux de pauvreté le plus élevé de toutes les activités salariées. Certes, ce n’est pas seulement une question de niveau de salaire, mais largement une question de temps de travail : la branche emploie énormément de salariés à temps partiel (31,2 % pour les seules entreprises de dix salariés ou plus) et le temps partiel est la cause première de la paupérisation laborieuse. Malheureusement, les négociations en cours ne portent pas sur une réduction du nombre de ces emplois paupérisants.

L’important aux yeux du gouvernement semble être que le nombre total d’emplois progresse, quelle que soit leur qualité. Mais ces nouveaux emplois auront un coût exorbitant pour le contribuable : 2,4 milliards d’euros pour 20 000 emplois non aidés, cela représente une subvention de 120 000 euros par emploi, alors qu’un emploi coûte en moyenne, cotisations so-ciales comprises, 40 000 euros par an... On ne peut que s’étonner de la schizophrénie de cette politique à l’heure où est lancé le revenu de solidarité active (RSA), qui coûtera presque deux fois moins cher au budget de l’Etat : le RSA vise à réduire la pauvreté laborieuse, alors que la baisse de TVA dans la restauration risque de l’accroître. Payer pour faire et payer pour défaire n’est pas la forme la plus convaincante d’intelligence sociale !

  • 1. Comme l’analyse brillamment Lucien Karpik dans L’économie des singularités, éd. Gallimard, 2007.
  • 2. Sur un total (hôtellerie incluse) de 787 000 salariés. Mais les chiffres de pauvreté datent de 2006, tandis que ceux du nombre de salariés datent de 2007 : ils ne sont donc pas totalement comparables.

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