Quelles politiques économiques pour demain ?

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Dans un article qui fait grand bruit, Olivier Blanchard, l'économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), condamne deux croyances : celle qui fait d'une inflation faible et stable la condition suffisante d'une croissance pérenne et celle qui nie toute efficacité aux politiques budgétaires pour soutenir l'activité. L'alternative proposée n'a cependant rien d'enthousiasmant : elle consiste à créer les conditions d'une forte capacité d'intervention monétaire et budgétaire en cas de récession par l'instauration... d'une austérité permanente !

Les erreurs des politiques passées

Olivier Blanchard est un économiste universitaire qui évolue dans le monde de la théorie économique. En août 2008, il avait publié un article concluant que la science économique était en pleine forme. La crise lui a fait changé d’idée. Il dénonce aujourd’hui les erreurs de politiques économiques dues à l’utilisation des modèles fondés sur les mauvaises théories d’hier...

Que disent ces modèles ? D’abord que si les banques centrales s’attachent à maintenir une inflation stable et faible (moins de 2 %), les individus et les entreprises auront une telle confiance dans l’avenir qu’ils dépenseront et épargneront exactement ce qu’il faut pour obtenir le niveau de croissance le plus élevé possible sans provoquer de tensions inflationnistes. Or, la crise actuelle a montré que cela n’était pas vrai. L’inflation des prix des actifs financiers (les actions à la fin des années 1990, l’immobilier ces dernières années) peut nourrir des bulles dont l’éclatement met en péril les banques qui ont prêté de l’argent pour les nourrir. Celles-ci ferment alors le robinet du crédit et tuent la croissance et l’emploi, alors même que les prix des biens et des services restent faibles et stables. Une politique monétaire qui maîtrise l’inflation ne suffit donc pas à promouvoir la croissance et il peut être nécessaire de mobiliser d’autres politiques, à commencer par la politique budgétaire, comme l’a montré la crise.

La deuxième erreur des modèles, dans cette perspective, a été de marteler que la politique budgétaire est un instrument totalement inefficace pour soutenir une activité défaillante. Un résultat fondé sur le fait que les acteurs macroéconomiques sont censés prévoir qu’un surplus de dépenses publiques se traduira demain par un surplus d’impôts. Cela les incite à réduire tout de suite leur consommation pour payer les futures taxes, réduisant à néant le soutien d’activité apporté par le surcroît de dépenses publiques. Mais ce mécanisme théorique n’a jamais pu être mis en évidence en pratique.

Utiliser l’arme budgétaire conduit mécaniquement à accroître la dette publique. Ce qui, pour la théorie économique dominante, est mal par principe. Mais quand une crise violente conduit les acteurs privés à réduire drastiquement leurs dépenses de consommation et d’investissement, seul l’Etat peut continuer à dépenser et investir pour maintenir le niveau de l’activité.

Bref, nous dit Blanchard, la crise est venue montrer que les hypothèses et les résultats des modèles dominants de politique économique sont erronés. Les décideurs de politique économique l’avaient d’ailleurs déjà compris avant la crise, nous explique-t-il : les banquiers centraux laissaient souvent filer l’inflation au-dessus de 2 % sans réagir et les gouvernements n’hésitaient pas à creuser les déficits pour soutenir l’activité. Mais ils le faisaient honteusement, comme s’ils s’écartaient des standards d’une bonne politique. Ils peuvent désormais être rassurés !

L’austérité permanente en réponse

Olivier Blanchard propose ensuite de nouvelles orientations pour la politique économique. Par exemple, puisqu’une inflation basse ne garantit pas la croissance, pourquoi ne pas se fixer un objectif de 4 % plutôt que de 2 % ? Un tel relâchement de la lutte contre la hausse des prix a suscité la colère de Jean-Claude Trichet, le patron de la Banque centrale européenne (BCE), qui y voit une proposition " déplacée et extrêmement dangereuse ".

Taux d’intérêt à court terme défini par la banque centrale, en %

Au-delà de la baisse de leur taux d’intervention, les banques centrales disposent d’autres instruments d’action. Elles ont prêté aux banques. La Fed a même financé directement l’économie en achetant des titres émis pas les acteurs publics et privés. La BCE n’a d’ailleurs pas utilisé toutes ses marges de manOeuvre de baisse des taux.

Taux d’intérêt à court terme défini par la banque centrale, en %

Au-delà de la baisse de leur taux d’intervention, les banques centrales disposent d’autres instruments d’action. Elles ont prêté aux banques. La Fed a même financé directement l’économie en achetant des titres émis pas les acteurs publics et privés. La BCE n’a d’ailleurs pas utilisé toutes ses marges de manOeuvre de baisse des taux.

Il n’a visiblement pas lu l’article de Blanchard. Celui-ci ne remet absolument pas en cause l’objectif de stabilité des prix, réaffirmé avec force. Son souci est de pouvoir disposer de plus grandes marges de manOeuvre en cas de gros chocs sur la croissance (une autre crise financière, l’écroulement de la Chine...). Ainsi, ses 4 % d’inflation s’accompagnent de taux d’intérêt à court terme - ceux fixés par la banque centrale - eux aussi plus élevés. Car, plus les taux seront hauts, plus il sera possible de les réduire fortement en cas de crise afin de soutenir la croissance. En 2007, avant la crise, le taux d’intérêt fixé par les banques centrales évoluait autour de 5 % aux Etats-Unis et de 4 % en Europe. Il faudrait qu’ils soient désormais en permanence autour de 7-8 %.

Or, comme l’ont encore rappelé George A. Akerlof et Robert J. Shiller dans leur dernier livre (voir " Pour en savoir plus "), les agents économiques raisonnent en termes nominaux : peu importe qu’une inflation plus forte conduise à des taux réels (une fois déduite la hausse des prix) équivalents à ceux d’hier, les ménages et les entreprises effrayés par des taux plus élevés investiront moins, au détriment de la croissance.

La même logique est proposée en matière budgétaire. Pour pouvoir engager une politique de soutien massive en cas de crise, il faut que le stock de dette publique soit faible. Donc, dès que la croissance est là, plutôt que d’investir dans l’avenir en maintenant un haut niveau de dépenses publiques, il faut au contraire entamer une cure d’austérité pour être prêt, demain, en cas de crise, à dépenser plus.

On peut alors proposer un nouveau " théorème de Blanchard " : l’austérité permanente d’aujourd’hui est le meilleur garant d’un soutien à la croissance en permettant de faire face aux crises futures !

Changer de système

De telles propositions peuvent-elles recueillir un large assentiment ? Rien n’est moins sûr. L’économiste en chef du FMI ne s’y trompe d’ailleurs pas puisque la dernière ligne de son article appelle les économistes à faire comprendre au bon peuple que les temps seront durs, mais que c’est pour son bien ! Heureusement, jusqu’à présent aucun ministre des Finances ou gouverneur de banque centrale n’a pris les propositions avancées au sérieux.

Quitte à remettre en question les erreurs du passé et à se lancer dans des propositions spéculatives de politiques publiques, Olivier Blanchard aurait pu commencer par constater que les crises récurrentes observées au cours des vingt dernières années, et les dégâts qu’elles ont suscités au Sud comme au Nord tiennent beaucoup aux dérapages de la finance et qu’une forte réglementation des banques, des marchés financiers et des mouvements de capitaux est une condition nécessaire à la poursuite de politiques monétaires et budgétaires qui soient durablement favorables à la croissance et à l’emploi.

Certes, la régulation financière n’est pas totalement absente du texte d’Olivier Blanchard. Il appelle à regrouper la politique monétaire et la politique publique de contrôle des risques bancaires sous l’autorité des banques centrales pour mieux prévenir les effets macroéconomiques des crises bancaires. Mais après la violence de la crise financière de 2007- 2008, on pouvait s’attendre à une plus forte critique des politiques de déréglementation et à des propositions innovantes pour éviter que les dérapages de la finance ne tuent la croissance.

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