L’agonie du 1 % logement

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Le " 1 % logement " change de nom pour mieux revenir aux sources. C’est le sens qu’ont voulu donner les acteurs de la filière à leur " congrès refondateur ", symboliquement tenu à Roubaix en mars dernier, au terme duquel le 1 % est devenu " Action logement ". C’est en effet dans le Nord, sous l’Occupation, qu’était né ce mouvement lié au patronat chrétien du textile, avant d’être institutionnalisé en 1953. Ce dispositif paritaire est chargé, via des dizaines de comités interprofessionnels du logement (CIL), de la collecte et de l’emploi de la participation des employeurs à l’effort de construction, soit 0,45 % de la masse salariale pour les entreprises de plus de 20 salariés (contre 0,95 % pour celles de plus de 10 salariés à l’origine). Touché par d’incessants scandales, il est en plein bouleversement.

Ces scandales, récurrents depuis les années 1970, ne sont ni imaginaires ni anecdotiques. Népotisme, surfacturations, prestations sans appel d’offres, train de vie indécent, conflits d’intérêts, enrichissements personnels..., il serait trop long de les détailler tous 1. Mais un simple aperçu donne une idée de la mentalité qui règne dans les milieux patronaux du logement " social ". Ici, c’est un directeur de CIL, Solendi, qui part en retraite avec en prime un chèque de 1,3 million d’euros et... sa Jaguar de fonction. Là, c’est un autre gros collecteur, Aliance, qui consacre 100 000 euros par mois à des locaux " luxueux " et " surdimensionnés ", dixit la Cour des comptes 2, dans le XVIe arrondissement, après avoir augmenté le salaire de sa directrice de 140 % en cinq ans, jusqu’à la coquette somme de 20 000 euros par mois.

Ces affaires sont essentiellement le fait des représentants du patronat qui, derrière la façade paritaire, occupent les principaux postes dirigeants de l’Agence nationale pour la PEEC (le gendarme du 1 %), de l’Union des entreprises et des salariés pour le logement (UESL), son organe de pilotage, et de tous les collecteurs. Les causes profondes de ces dérives dépassent les errements individuels. Au-delà de l’impunité trop longtemps de règle dans un secteur autocontrôlé (voir encadré), elles sont facilitées par la multiplicité des collecteurs. Jusqu’à cette année, 109 CIL se disputaient en effet à grands frais la collecte d’une cotisation de toute façon obligatoire. Cette dispersion aboutit à des charges de fonctionnement dont la Cour des comptes se demandait en 2006 comment elles pouvaient bien atteindre " plus du tiers du montant de la collecte annuelle de la PEEC "3.

Zoom 1 % logement : l’échec de l’autorégulation

L’Agence nationale pour la participation des employeurs à l’effort de construction (Anpeec) est un organisme paritaire créé en 1988 pour contrôler le bon usage des fonds du 1 %. Il n’a pas rempli sa mission. Le gendarme du 1 % s’est contenté d’écrire des rapports où l’euphémisme le dispute à la confidentialité ; il n’a pratiquement jamais fait usage de son pouvoir de sanction. Ces rapports sont en effet non seulement très difficiles à se procurer, mais de toute façon illisibles, les noms de personnes et d’entreprises étant systématiquement... effacés, ainsi parfois que les montants en jeu ! De plus, la crédibilité de l’agence est sérieusement mise à mal puisque, jusqu’à ces derniers mois, son conseil d’administration était essentiellement composé des dirigeants de la nébuleuse du 1 % eux-mêmes. Les scandales récents signent la faillite d’une gouvernance en vase clos, entre personnes cooptées. Faute d’avoir su s’autoréguler, le secteur a été la cible d’une Cour des comptes incisive. Celle-ci a ouvert la voie à une enquête du juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke qui, depuis novembre 2009, fait trembler le 1 %.

Et le logement dans tout ça ?

Au-delà de ces abus, c’est aussi la légitimité sociale d’un des principaux outils de la politique du logement qui est en cause (en comparaison des 4 milliards d’euros collectés par le 1 %, le budget du ministère du Logement n’est que de 7 milliards). En effet, le 1 % profite plus au logement des salariés stables des grandes entreprises, qu’à celui des précaires, qui sont pourtant les premières victimes de la crise du logement. Logique : pour attirer la cotisation des grandes entreprises, les collecteurs sont prêts à leur promettre un " retour sur investissement " conséquent, c’est-à-dire l’attribution de logements pour leurs propres salariés. Les 76 000 logements sociaux du 1 % attribués chaque année sont donc avant tout des outils entre les mains des DRH.

Face à cette dérive, les instances du 1 % ont initié ou se sont vues imposer depuis la fin des années 1990 diverses procédures en faveur des publics exclus (immigrés, saisonniers, jeunes, précaires et, tout récemment, ménages prioritaires du droit au logement opposable...). Mais quelle est la légitimité du Medef pour intervenir dans le logement des exclus ou la rénovation des banlieues ? Le compromis bancal entre logement des salariés et logement des précaires et des exclus n’a abouti qu’à " une situation confuse et complexe ", pour reprendre les mots de la Cour des comptes.

Les infortunes du paritarisme

Ereintés, les organismes paritaires abordent donc la mutation actuelle plus affaiblis que jamais. L’Etat a d’ailleurs déjà profité de leur faiblesse depuis la loi Boutin du 25 mars 2009 : sur les 4 milliards de recettes annuelles (issues de la cotisation et de retours de prêts), le 1 % a dû verser 1,4 milliard pour financer des programmes de l’Etat en faveur de la rénovation des banlieues ou des quartiers anciens. Ce sombre tableau pose la question de la légitimité même de cette exception française qu’est la gestion paritaire du 1 %. Certains, de Michel Charasse en 1991, alors ministre délégué au Budget, à Jacques Attali en 2008, proposent régulièrement de " budgétiser " ces fonds. Le débat traverse le Medef lui-même. Ses fédérations de l’industrie et du bâtiment restent attachées à cet outil traditionnel de prise en charge sociale paternaliste. Tel n’est pas l’état d’esprit des patrons de la distribution et des services, comme Laurence Parisot ou Jérôme Bédier, nouveau président de l’UESL. Et Jules Meunier, auteur d’une thèse sur le sujet, voit dans l’avalanche récente de révélations la revanche de Bercy et de son approche gestionnaire sur la coalition qui a historiquement défendu le 1 % logement contre vents et marées, composée du ministère du Logement, de la Caisse des dépôts, du monde HLM et de la Fédération française du bâtiment (FFB), tous attachés à ce que ces milliards fléchés vers le logement n’aillent pas se fondre dans les caisses de l’Etat.

Alors que le 1 % logement à l’ancienne agonise, quel sera l’avenir d’Action logement ? Outre le changement de nom, l’aspect le plus visible de la rationalisation en cours à marche forcée est la réduction du nombre des collecteurs (les CIL) : ils devraient passer de 109 à une vingtaine. Mais l’enjeu dépasse celui du contrôle de ces collecteurs et de la manne qu’ils récupèrent. Les CIL sont en effet devenus, au fil du temps, les actionnaires de référence de la plupart des Entreprises sociales de l’habitat (ESH). Ces ex-SA HLM constituent la famille " privée " du monde HLM, à côté des offices publics, et leur parc de deux millions de logements pèse la bagatelle de 72 milliards d’euros d’actifs en 2008. Avec de tels enjeux à la clé, la bataille du 1 % est loin d’être terminée...

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