Le changement climatique, une cause perdue ?

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La conférence de Cancún sur le climat s'annonce des plus difficile. Chaque partie privilégie ses propres intérêts.

De Kyoto à Cancún

Le protocole de Kyoto arrivera à échéance fin 2012. Au-delà, c’est l’inconnu. Ce protocole définit des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les pays industrialisés. Le Sommet de Copenhague, qui s’est tenu en décembre 2009, n’a pas réussi à prolonger les cadres préexistants. Certes, un accord a été obtenu à l’arraché, réaffirmant la nécessité de limiter la hausse des températures à 2 °C. Mais les conditions de son adoption ont été contestées par de nombreux Etats, il n’a pas de caractère contraignant et ne précise pas les moyens pour y parvenir. C’est ce vide que doit combler la conférence internationale qui se réunira du 29 novembre au 10 décembre à Cancún, au Mexique.

Signé en 1997 et entré en application en 2005, le protocole de Kyoto vise à concrétiser les engagements pris par la communauté internationale dans le cadre de la convention sur le changement climatique adoptée en 1992 lors du Sommet de la Terre à Rio. Celle-ci posait le principe d’une " responsabilité commune mais différenciée ". En clair, les pays riches étant à l’origine des deux tiers du stock de CO2 accumulé dans l’atmosphère devaient supporter l’essentiel des efforts. Quant aux pays en développement, non seulement ils ont une responsabilité moindre, mais ils seront également les principales victimes du réchauffement climatique. En vertu de ce principe, le protocole de Kyoto les exonérait de tout engagement contraignant, tandis que les pays industrialisés devaient réduire leurs émissions de 5 % entre 1990 et 2008-2012. Une logique cependant rejetée par les Etats-Unis, qui ont refusé de ratifier le protocole.

Treize ans après Kyoto, le contexte a cependant radicalement changé : la Chine est devenue le premier émetteur de gaz à effet de serre en volume, même si les Chinois continuent d’émettre trois fois moins de CO2 par tête que les Américains (voir carte). Résultat : le protocole de Kyoto ne concerne désormais plus que le quart des émissions mondiales. Il faut donc élargir le périmètre des engagements contraignants.

Comment répartir les efforts ?

Sans occulter la dette qu’ont à leur égard les pays riches, les pays en développement doivent désormais prendre leur part du fardeau climatique, en entrant eux aussi dans le cadre d’engagements contraignants. Reste à définir dans quelle mesure. Limiter le réchauffement à 2 °C, tel que l’envisage l’accord de Copenhague, suppose de diviser par deux les émissions mondiales de CO2 d’ici à 2050. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) préconise une réduction de 80 % des émissions dans les pays développés et une limitation de leur hausse à 3 % dans les pays en développement, ce qui représente un écart très important par rapport aux scénarios tendanciels 1. Un tel scénario n’est toutefois envisageable que si d’importants transferts technologiques et financiers sont organisés entre le Nord et le Sud.

D’ici à 2020, il faudrait que les pays riches réduisent leurs émissions de 25 % à 40 % et que les pays émergents dévient la courbe de leurs rejets de carbone de 15 % à 30 % par rapport à la tendance actuelle. On en est loin : si l’on additionne les engagements proposés par les pays industrialisés suite au Sommet de Copenhague, on obtient un objectif de réduction compris seulement entre 12 % et 19 % en 2020. Quant aux aides financières, les Etats développés ont certes promis d’abonder une enveloppe de 30 milliards de dollars d’ici à 2012 (100 milliards en 2020), mais là encore, seuls 6 milliards ont été mis à disposition pour l’instant et les modalités de répartition de ces sommes restent à définir.

Emissions totales de CO2 en 2009 (en millions de tonnes) et émissions de CO2 par habitant en 1990 et 2009 (en tonnes)

Sur quoi butent les discussions ?

Depuis Copenhague, les négociations patinent, malgré plusieurs réunions internationales pour préparer Cancún. La dernière en date s’est déroulée début octobre à Tianjin, en Chine. Elle a été le théâtre d’un affrontement feutré entre les deux plus gros pollueurs de la planète, les Etats-Unis et la puissance invitante. Les Américains souhaitent s’en tenir à l’accord de Copenhague, qui abandonne le multilatéralisme pour miser sur des engagements unilatéraux des Etats. Ils envisagent de réduire leurs émissions de 17 % en 2020 par rapport à 2005, ce qui est en soi déjà un recul, puisque l’année de référence retenue par le protocole de Kyoto était 1990. Le problème, c’est que cet objectif, bien que modeste, n’est guère crédible depuis que Barack Obama a échoué à faire voter par le Sénat son plan climat. Or, sans effort concret des Américains, il sera difficile de convaincre les grands pays émergents de réduire à leur tour leurs émissions.

La Chine, de son côté, s’est désignée porte-voix des pays du Sud et s’accroche à la logique du protocole de Kyoto qui fait reposer l’essentiel des contraintes sur les pays riches. Elle s’est engagée de son propre chef à réduire son intensité carbone* de 40 % à 45 % d’ici à 2020, mais elle refuse que cet objectif soit sanctuarisé dans un traité et s’oppose à un contrôle international. Or, c’est l’un des principaux points d’achoppement des négociations : en échange de leur soutien financier, les pays riches exigent de la transparence et un processus de vérification des actions entreprises par les Etats du Sud qu’ils aident. Faute de consensus sur ce point, la perspective d’un accord global devient de plus en plus improbable. Seuls quelques dossiers annexes devraient progresser, tels que le transfert de technologie ou la lutte contre la déforestation.

Et l’Europe dans tout ça ? Elle peine à faire entendre sa voix, bien qu’elle ait été plutôt à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique. L’Union s’est dite prête à réduire de 30 % (au lieu de 20 %) ses émissions d’ici à 2020 par rapport à 1990 si un accord global est conclu. Elle continue à militer pour des engagements juridiquement contraignants, sur le modèle de Kyoto, mais elle a très peu de chances d’être entendue, car les Etats-Unis et la Chine s’y opposent. Bref, chaque partie essaye de ménager ses intérêts, quitte à ce que tout le monde soit perdant au final. Certes, le pire n’est jamais sûr, mais encore faut-il avoir la volonté de l’éviter...

  • 1. Compte tenu de la forte croissance démographique des pays en développement, limiter la hausse de leurs émissions à 3 % représente un effort considérable rapporté au nombre d’habitants. Voir " Climat : qui doit payer pour le réchauffement ? ", Alternatives Economiques n° 295, octobre 2010, disponible dans nos archives en ligne.
* Intensité carbone

Volume de CO2 et de gaz à effet de serre rejeté par unité de PIB produite.

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