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Mali : un Etat à reconstruire

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La situation au Mali est le résultat de longues années de déliquescence de l'Etat. Une faillite dont les Occidentaux portent une part de responsabilité.

Un Serval à double visage", "Ce que la France mijote vraiment"... Au lendemain de la visite de François Hollande dans un Tombouctou en liesse, la presse de Bamako étalait une animosité à peine retenue contre la France. Certes, on la remerciait. Son intervention, lancée le 11 janvier, a stoppé net le mouvement des groupes armés islamistes vers le sud du Mali et probablement sauvé la capitale. Elle a en prime libéré les villes du Nord que tenaient les djihadistes depuis mars 2012. Mais d’un autre côté, une large partie de la rue et de la classe politique malienne n’admet pas que la France considère comme des interlocuteurs valables des Touaregs qui ont proclamé l’indépendance du Nord et fait le coup de feu contre le pouvoir central. Et cela même s’ils ont gardé ou pris leurs distances vis-à-vis des groupes islamistes qui ont imposé la charia à Tombouctou ou Gao.

Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) avait déclenché l’offensive dans le nord en janvier 2012 avant d’être rapidement débordé et évincé par les islamistes d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), d’Ansar Eddine et du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Il reste largement perçu à Bamako comme celui par qui le mal est arrivé. Dans l’immédiat pourtant, sans une collaboration avec des combattants familiers du terrain et des réseaux, sécuriser les villes reprises et traquer les djihadistes repliés vers le nord avec leurs otages, notamment dans le massif de Tigharghar, semblent illusoires. Pour la suite, parler avec toutes les factions prêtes au dialogue est une condition de la réconciliation nationale.

Officiellement, le principe en a été accepté par le Mali. Son Parlement a adopté à l’unanimité, le 29 janvier, la feuille de route défendue par Paris. Elle prévoit la tenue d’une élection présidentielle d’ici au 31 juillet et l’ouverture de négociations avec les groupes armés "qui ne mettent en cause ni la laïcité ni l’intégrité du territoire". Mais à Bamako, parler avec le MNLA fait tout sauf l’unanimité, et la route des négociations s’annonce chaotique.

Le différend entre Nord et Sud est souvent associé à des oppositions tranchées entre Blancs (Arabes et Touaregs) et Noirs, espace nomade et pastoral contre monde sédentaire et agricole... Or, le paysage malien se caractérise par ses interdépendances et ses métissages davantage que par des clivages aussi nets (voir encadré). Les racines de ce conflit sont surtout à rechercher du côté d’un Etat qui n’a jamais su intégrer ses populations du Nord ni construire sa nation dans son ensemble.

Des blessures profondes

Ainsi, au lendemain de l’indépendance, en 1960, le socialiste Modibo Keïta a mené une politique d’étatisation à outrance - sans en avoir les moyens économiques - dont les Touaregs ont souffert comme les autres, en plus de la marginalisation dont ils étaient victimes. Dans ce contexte difficile, un fait divers avait déclenché en 1963 une révolte de Touaregs de la région de Kidal, à laquelle Bamako a répondu avec une brutalité qui s’est abattue sur l’ensemble des nomades de la région et entraîné l’exode d’une large partie d’entre eux. Un événement resté dans les mémoires, tout comme l’absence de solidarité du Sud envers le Nord lors des terribles sécheresses de 1973 et 1984. Ce contentieux ancien débouche sur une série de rébellions entre 1990 et 1996 pour obtenir de Bamako des mesures de décentralisation, l’incorporation d’anciens combattants dans les corps en uniforme et des aides économiques pour la région.

Les minces progrès obtenus sur ces points ne pouvaient cependant masquer le pourrissement d’ensemble de la situation. L’année 1991 est en effet celle de l’avènement du multipartisme dans un pays soumis depuis le début des années 1980 à une dure cure d’austérité imposée par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), professant alors un credo libéral pur et dur. Rançon de la dette et de l’échec du développement "par le haut", cette politique d’ajustement structurel a entraîné des coupes claires dans les budgets de la santé et de l’éducation, réduit l’intervention publique et, au final, a largement affaibli l’Etat. Cependant, alors que sous la dictature antérieure à 1991 le pouvoir gardait un relatif "contrôle" des finances, le multipartisme a aussi démocratisé la corruption, sur fond de montée rapide de la pauvreté, des inégalités et du chômage d’une jeunesse toujours plus nombreuse.

Une gangrène occultée

Sous la présidence d’Amadou Toumani Touré (ATT), entre 2002 et 2012, la gangrène atteint son paroxysme. Le Mali, présenté sans discontinuer dans les médias occidentaux comme un modèle de transition politique réussie, devient en réalité l’une des plaques tournantes du trafic de cocaïne colombienne à destination de l’Europe et, dès 2003, le refuge des salafistes algériens, qui prennent en 2007 le nom d’Aqmi. Les protections monnayées à haut niveau facilitent tous les trafics : cigarettes, drogue, armes, otages occidentaux, migrants. La nébuleuse islamiste en profite largement et son pouvoir se renforce. Ces dérives font également le lit du fondamentalisme religieux auprès de populations écoeurées par le règne de l’argent-roi. Raison pour laquelle, loin des idées reçues, l’islam radical gagne du terrain surtout dans les villes, à commencer par Bamako, où le Haut conseil islamique a fait régresser la législation sur la famille. Alors qu’il séduit assez peu les Touaregs, notamment ceux qui ont vécu en exil en Libye et ailleurs. Si Iyad Ag Ghali, le chef de la rébellion touareg de 1990, qui a adhéré au Tabligh, un courant fondamentaliste d’origine indienne, a fondé fin 2011 Ansar Eddine, c’est aussi parce que les hommes du MNLA ne le voulaient pas pour chef.

Zoom Nord Mali, une population très mélangée

Composée des trois grandes régions de Tombouctou, Gao et Kidal, la partie nord du Mali couvre les deux tiers du territoire, mais ne pèse probablement guère plus de 5 % du produit intérieur brut (PIB) du pays, l’un des plus pauvres du monde, et ne rassemble environ que 8,5 % de sa population totale, soit 1,3 million d’habitants.

Touaregs et Arabes forment une minorité parmi une population majoritairement noire (des Songhaïs, surtout, et des Peuls). Si la minorité blanche est celle qui parcourt et maîtrise l’immensité des espaces désertiques, elle est aussi en fait largement sédentarisée. C’est en effet près de l’eau que se trouvent les hommes ; et dans son immense majorité, la population du nord du Mali vit d’agriculture et d’élevage le long du fleuve Niger.

Les citadins sont peu nombreux : les principales agglomérations de la vallée, Gao et Tombouctou, ne comptent guère plus de 50 000 et 30 000 habitants. Ces villes libérées par l’intervention française ont été désertées par les Blancs, ayant subi ou craignant des pillages, des exactions ou des représailles. Mais le départ des Arabes, qui tenaient une bonne part des commerces, a désorganisé les circuits d’approvisionnement, si bien que les prix alimentaires et des carburants ont explosé depuis janvier. Preuve s’il en est que ces communautés forment un système dont les complémentarités sont vitales. De même, les conflits entre agriculteurs et éleveurs, répandus dans les pays sahéliens, ne sont pas ici vraiment un problème : dans la vallée, les agriculteurs sont eux-mêmes aussi des éleveurs.

La chute du régime de Kadhafi a entraîné le retour au pays de ses ex-supplétifs maliens lourdement armés. Elle a permis la constitution et l’offensive du MNLA. Mais la suite du film - la conquête du Nord par Aqmi, Ansar Eddine et le Mujao, la chute d’ATT renversé par un coup d’Etat, et la débandade de l’armée malienne face à quelques centaines d’hommes en armes - a surtout été le résultat du long pourrissement de l’Etat. Si les Maliens - comme d’autres Etats sahéliens - pensent que leur problème est au Nord et pas au "centre", ils ne sont pas tirés d’affaire. Et si les Français pensent qu’une intervention militaire suffira à ramener la sécurité au nord du Mali et au-delà dans la région, ils se trompent.

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