Idées

Le marché au secours de l’environnement ?

7 min

Les mécanismes de marché peuvent être efficaces pour lutter contre la destruction de la planète... s'ils sont mis au service de politiques publiques consistantes.

Une croissance propre et intelligente n’a pas besoin d’être coûteuse ", assure l’OCDE dans ses dernières " Perspectives de l’environnement " 1. Selon les projections du club des pays riches, tandis que le produit intérieur brut (PIB) de la planète doublera d’ici à 2030, ses émissions de gaz à effet de serre augmenteront de 37 % si les tendances actuelles se poursuivent. Or, d’après les estimations du château de La Muette, il serait possible de limiter à 12 %, sur cette période, la progression des polluants responsables du changement climatique (et de les voir globalement diminuer de 5 % à l’horizon 2050 par rapport au niveau de 2005) sans affecter la croissance, ou presque. L’OCDE estime en effet à 1 % du PIB mondial de 2030 le coût des politiques qui permettraient d’atteindre ce résultat, soit une amputation de la croissance annuelle mondiale de 0,03 %.

Ces calculs supposent que les pays riches d’abord, et les moins riches ensuite, s’appuient sur des outils économiques au nombre desquels figure en bonne place le recours à des mécanismes de marché. En l’occurrence ces fameux permis de polluer que l’on achète et que l’on vend et sur lesquels on spécule en Bourse. Ces mécanismes sont l’objet de beaucoup de fantasmes et de malentendus. Ils s’appliquent depuis le milieu des années 90 aux rejets de polluants dans l’atmosphère et prennent la forme de marchés de " permis d’émission ". Ce système a été inauguré aux Etats-Unis en 1995 pour réduire, avec succès, les renvois dans l’atmosphère de dioxyde de soufre (SO2) et de monoxyde d’azote (NO), deux composés responsables des pluies acides.

Zoom Marché du carbone : le poids des idées

L’hostilité que suscitent souvent les instruments de marché n’a rien de théorique. Pour le chercheur Jean-Charles Hourcade, directeur du Centre international de recherche sur l’environnement et le développement 1, elle a largement pesé dans la décision du Congrès américain de ne pas ratifier le protocole de Kyoto que venait de signer Bill Clinton, en décembre 1997, à un moment où le contexte politique était pourtant favorable. La raison ? Après des débats internes houleux, le Conseil européen a décidé que les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre devaient être principalement réalisés à l’intérieur des frontières des pays signataires et obtenu que le recours au marché des permis d’émission soit sévèrement limité, contrairement aux attentes des Etats-Unis. Or, ceux-ci étaient à l’époque prêts à prendre des engagements contraignants, mais à condition de disposer d’assez de flexibilité pour les honorer sans avoir à payer le prix fort en termes de croissance.

  • 1. Dans un entretien paru dans Alternatives Internationales n° 8, mai 2003.

L’Union européenne s’en est directement inspirée pour lancer en 2005 un marché du carbone qui concerne 11 400 sites industriels responsables de 48 % des émissions de CO2 des Vingt-Sept. Depuis le 1er janvier dernier, l’ensemble des pays signataires du protocole de Kyoto sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre a accès à un marché similaire : tous peuvent acheter et vendre entre eux des " unités de quantité attribuée " (UQA) au gré de leurs besoins pour atteindre l’objectif qui leur est imparti.

Les échanges de quotas d’émissions

Quel est le principe ? Eviter le rejet d’une tonne de carbone dans l’atmosphère coûtera beaucoup plus cher à A, propriétaire d’une centrale électrique moderne fonctionnant au gaz qu’à B, qui exploite une centrale à charbon ancienne et poussive. En effet dans notre exemple, A devra consentir des investissements importants pour améliorer (un peu) la performance énergétique de son usine, déjà élevée, tandis que B pourra réaliser des économies d’énergie importantes à moindres frais. Dans l’hypothèse où A et B sont chacun contraints de respecter un plafond d’émissions inférieur à leurs émissions actuelles, A peut alors estimer que la solution la moins coûteuse pour lui consiste à payer B pour qu’il fasse des efforts supplémentaires, ce qui lui permet de mettre à son crédit les tonnes de carbone ainsi évitées. Dit autrement, B vend à A un " droit de polluer " dont il n’a pas besoin, puisque son activité réelle reste en dessous de son quota d’émission.

Du point de vue du climat, l’effet de ces transactions est neutre : c’est le volume total des émissions de gaz à effet de serre qu’il importe de réduire, peu importe la localisation de la source. Ces échanges de quotas peuvent se faire de gré à gré ou être organisés sur un marché national (cas du SO2 américain) ou international (cas du protocole de Kyoto). Et, bien entendu, pour éviter de subir les fluctuations des cours, un acheteur peut, comme sur n’importe quel marché, se couvrir en recourant aux futures *, donc faire appel aux services d’un spéculateur... En janvier dernier, 180 millions de tonnes de CO2 avaient ainsi été échangées sur le marché européen des quotas, la tonne " livrable " en décembre 2008 se négociant alors à 22,50 euros.

Derrière cette construction aux allures de casino boursier se profile cependant la main très visible des pouvoirs publics. Il faut en effet une administration nationale et internationale solide pour vérifier les émissions de chaque opérateur et que les transactions effectuées correspondent à des réalités économiques : il ne s’agit pas de mettre sur le marché une tonne de CO2 que l’on s’apprête à lâcher dans l’atmosphère. Surtout, il a fallu qu’au préalable les Etats s’entendent sur des objectifs de réduction des émissions. Une fois défini ce plafond global à ne pas dépasser, il faut en répartir la charge entre les acteurs économiques. Définir un objectif et en distribuer le coût entre les différentes parties prenantes n’est pas une mince affaire, chacun ayant intérêt à faire le moins d’effort possible.

En définitive, ces marchés des droits à polluer n’ont pas grand-chose à voir avec le libéralisme pur et dur, mais sont le résultat de la négociation politique de règles du jeu. Ainsi, l’effondrement des prix sur le marché européen du carbone en 2007 avait été provoqué par une distribution beaucoup trop généreuse des quotas d’émission, sous la pression des lobbies industriels et de certains Etats membres dont la France. Inversement, le fait que le cours du CO2 oscille aujourd’hui autour de 20 euros la tonne traduit une évolution des compromis politiques : la Commission européenne a tiré l’oreille aux Etats membres qui traînaient les pieds, si bien que les plafonds à respecter par les industriels pour la période 2008-2012 sont un peu plus exigeants que durant les années précédentes.

Utiliser les outils économiques et réglementaires

L’avantage d’un marché des quotas est, une fois le niveau de contrainte fixé par les pouvoirs publics, de laisser les acteurs s’organiser pour atteindre leur objectif au moindre coût. La collectivité y a donc intérêt. Mais ce système présente des coûts de vérification et de transaction tels qu’il ne peut s’appliquer qu’à des entités suffisamment grosses et dont la pollution est mesurable. Appliquer un marché des quotas à l’échelle des individus (en attribuant par exemple à chacun un plafond d’émission de carbone ou le droit de parcourir tant de milliers de kilomètres dans sa vie en auto et en avion) serait certes une solution démocratique sur le principe, mais fort coûteuse à administrer. D’où l’importance d’avoir des outils adaptés.

Les " Perspective de l’environnement " de l’OCDE recommandent ainsi de recourir à toute la panoplie des instruments économiques disponibles, tels que les taxes sur le carbone, la tarification de l’eau, les redevances sur les déchets et l’élimination des subventions préjudiciables à l’environnement (par exemple dans le secteur agricole). Autant de mesures qui, comme les marchés des quotas, ont pour effet d’attribuer une valeur économique à des biens qui jusque-là n’en avaient pas, et donc d’inciter producteurs et consommateurs à modifier leurs pratiques au meilleur coût.

Cours du CO2 sur le marché européen du carbone*, en euros par tonne

Résultat d’une distribution initiale trop généreuse des quotas, le prix du CO2 s’était effondré sur le marché européen en 2006. La remontée des prix au premier semestre 2007, évoluant depuis entre 20 et 22 euros la tonne, traduit des plafonds plus contraignants imposés aux industriels pour la période 2008-2012.

Cours du CO2 sur le marché européen du carbone*, en euros par tonne

Résultat d’une distribution initiale trop généreuse des quotas, le prix du CO2 s’était effondré sur le marché européen en 2006. La remontée des prix au premier semestre 2007, évoluant depuis entre 20 et 22 euros la tonne, traduit des plafonds plus contraignants imposés aux industriels pour la période 2008-2012.

Ces instruments économiques ne sont pas l’alpha et l’oméga de la protection environnementale et dans beaucoup de domaines, ils doivent, l’OCDE le souligne, être complétés par de la réglementation : une taxe sur les engrais chimiques et les pesticides, bien que souhaitable, n’empêchera pas un agriculteur de cultiver au bord d’une rivière, et seule la loi peut lui imposer le respect d’une certaine distance entre le bord du champ et un cours d’eau.

Ni bons ni mauvais en soi, les instruments de marché font ainsi partie d’une palette d’outils économiques et réglementaires qu’il faut savoir combiner de la manière la plus pertinente en fonction du but poursuivi. La véritable question est celle du réglage de ces outils, qui renvoie à des arbitrages politiques, entre Etats, entre classes sociales, entre générations présentes et générations futures... L’OCDE préconise, entre autres, une taxe sur le CO2 d’environ 16 euros la tonne (25 dollars). Elle devrait permettre de neutraliser la croissance mondiale des émissions de CO2 d’ici à 2050, sans trop empiéter sur celle des revenus. Mais les climatologues nous ont déjà prévenus : pour échapper à une élévation des températures supérieure à 2°C en moyenne, qui serait synonyme de catastrophe, il faudrait non pas avoir stabilisé en 2050 les émissions de la planète au niveau d’aujourd’hui, mais les avoir divisées par deux.

* Future

Contrat où l'acheteur et le vendeur s'engagent sur une transaction qui sera réalisée à une date ultérieure mais à un prix convenu aujourd'hui.

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