Economie

La Chine va-t-elle dominer le monde ?

7 min

Le spectaculaire décollage de la Chine masque ses faiblesses. Au moins autant que la puissance chinoise, ses fragilités pourraient devenir un problème pour le reste du monde.

La Chine est devenue le premier marché automobile mondial en 2009. Elle a aussi pris la tête des pays exportateurs et deviendra probablement la deuxième puissance économique mondiale en 2010. Elle construit des autoroutes en Pologne, gère le port d’Athènes, rachète les PC d’IBM, dicte ses conditions à la conférence de Copenhague sur le climat... Le décollage économique de l’empire du Milieu bouleverse la donne mondiale et suscite une interrogation : la Chine va-t-elle dominer le monde ? Les tendances récentes le suggèrent, mais de telles extrapolations s’avèrent souvent trompeuses.

Part de la Chine dans le PIB mondial, en %

Autant que sa puissance retrouvée, ce sont les faiblesses de la Chine qui pourraient demain inquiéter le reste du monde. Les profondes remises en cause qu’implique l’incontournable rééquilibrage de son mode de développement, les difficultés gigantesques que lui prépare sa situation démographique et les conséquences des graves dégâts environnementaux qu’elle a déjà subis risquent en effet de conduire à une instabilité sociale et politique dont le monde pourrait pâtir.

Une éclipse récente

A l’échelle de l’histoire, l’éclipse de la Chine est un phénomène très récent. Selon les estimations de l’historien de l’économie Angus Maddison 1, le produit intérieur brut (PIB) de la Chine aurait constamment représenté autour du quart de l’économie mondiale entre l’an 0 et 1820, avant de plonger brutalement jusqu’au milieu du siècle dernier. Cette part remonte à grande vitesse depuis les années 1980, tout en restant encore loin de son niveau historique.

Bien sûr, ces comparaisons avec des temps aussi reculés n’ont qu’une valeur relative : dans un monde beaucoup moins interconnecté qu’aujourd’hui, nos ancêtres de l’époque romaine ou de la Renaissance n’avaient que peu de rapports avec ce puissant empire. D’autant plus que celui-ci, trop occupé à maîtriser son immense territoire, avait peu de velléités d’expansion hors de ses frontières. Il n’empêche : à cette échelle multiséculaire, c’est la disparition de la Chine des radars mondiaux pendant cent cinquante ans qui était une anomalie. Et la dynamique récente ne représente au fond qu’un retour progressif à la normale.

Une insertion problématique dans la mondialisation

Pour autant, le type de développement qu’a connu la Chine depuis trente ans et son insertion actuelle dans la division internationale du travail sont hautement problématiques pour le reste du monde. La Chine s’est en effet développée en misant prioritairement sur les exportations. Elle est devenue l’atelier du monde, attirant les industriels étrangers ou exportant les productions de ses propres entreprises grâce à des coûts de revient imbattables. Grâce notamment au contrôle que le gouvernement a conservé sur le taux de change de sa monnaie, qu’il s’est bien gardé de laisser flotter sur les marchés financiers. Du coup, la Chine produit aujourd’hui plus du tiers de l’acier et des produits blancs ou encore la majorité des jouets, du textile et des chaussures vendus dans le monde, mais aussi plus de 10 millions de voitures, des portables, des ordinateurs...

Résultat : ce géant d’1,3 milliard d’habitants (un cinquième de la population mondiale) possède une économie dont la structure est très proche de celle de petits pays très ouverts comme les Pays-Bas ou la Suisse. En 2008, son commerce extérieur (exportations de biens et de services + importations correspondantes) représentait ainsi 63 % de son PIB, en baisse sensible toutefois par rapport aux 76 % de 2007. A titre de comparaison, cette proportion se situe autour de 22 % du PIB aux Etats-Unis et en Europe.

Cette prépondérance du commerce extérieur dans l’économie chinoise résulte certes également d’importations : dans de nombreux domaines, la Chine reste encore un pays d’assemblage low cost pour des multinationales qui y importent des composants à haute valeur ajoutée avant de réexporter des produits finis. Il n’empêche : ces échanges extérieurs dégagent depuis le début des années 1990 des excédents de plus en plus colossaux (voir page 12). Excédents qui ont joué un rôle majeur dans la crise récente, car ils forment la contrepartie de l’endettement excessif des ménages américains.

Par ailleurs, l’afflux des exportations chinoises a un effet très déstabilisateur sur le tissu industriel du reste du monde, entraînant fermetures d’usines et délocalisations. Et pas simplement dans les pays riches : les industries du Maghreb ou de Turquie ont beaucoup souffert ces dernières années de la concurrence chinoise, notamment dans le textile. Pour éviter que ces tensions commerciales ne dégénèrent en conflits ouverts, comme pour limiter le risque d’une nouvelle crise financière, il serait donc essentiel que la Chine recentre son développement sur son propre marché.

Une mue difficile

L’actuel président chinois, Hu Jintao, était arrivé à la tête du pays en 2003 avec un programme de réduction des inégalités et de développement du marché intérieur. Il succédait à l’équipe de Jiang Zemin, qui avait privilégié le développement des zones côtières et des industries d’exportation, creusant des écarts spectaculaires entre l’est et l’ouest du pays et aiguisant les tensions internes entre riches et pauvres, villes et campagnes. Mais si les élites actuelles du régime sont conscientes de la nécessité de réorienter le développement chinois, il leur est très difficile de passer à l’acte. En tout cas sans perdre le contrôle de la situation, ce qui reste la préoccupation centrale du Parti communiste chinois.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il est en effet à peu près aussi compliqué de faire en sorte que les Chinois consomment plus et épargnent moins que d’obtenir des Américains qu’ils consomment moins et épargnent plus. Car cela bouleverserait de nombreux et fragiles équilibres internes. Depuis trente ans, les industriels exportateurs ont constitué en Chine de puissants lobbies. Ils influencent d’autant plus facilement le pouvoir pour préserver leurs intérêts (yuan faible, salaires sous contrôle, profits élevés...) qu’il n’existe pas de démocratie ni de liberté des médias en Chine.

Zoom La Chine, vieille avant d’être riche...

La situation démographique du pays est l’un des principaux problèmes qui font douter de la pérennité du " miracle chinois ". Au moment de l’instauration de la République populaire en 1949, après trente ans de guerre civile, le pays comptait moins de 600 millions d’habitants. Malgré le désastre de la politique menée par Mao Zedoung (20 millions de morts de famine à la fin des années 1950 durant le Grand bond en avant), le pays connaît une croissance démographique spectaculaire. Alors qu’un des problèmes constants de la Chine est l’exiguïté de ses terres agricoles : la Chine pèse en effet un cinquième de l’humanité, mais ne possède que 10 % des terres agricoles cultivables de la planète.

Pour casser cette croissance inquiétante, le régime a mis en place, dans les années 1970, la politique dite de l’enfant unique, interdisant aux femmes d’avoir plus d’un enfant sous peine de lourdes sanctions. La fécondité qui était de 5,75 enfants par femme en 1970 a chuté de moitié à la fin de la décennie. Elle est actuellement de 1,8 enfant par femme, en dessous donc du seuil de renouvellement des générations. Du coup, la population chinoise devrait commencer à baisser vers 2035. Et, surtout, la population âgée de 15 à 64 ans devrait, elle, diminuer dès 2015.

Quant aux plus de 65 ans, ils passeront de 8 % en 2005 à 16 % d’ici à 2030. Or, les solidarités familiales traditionnelles ne peuvent plus fonctionner : un seul enfant va fréquemment devoir s’occuper de ses deux parents âgés. Tandis que la grande majorité des Chinois n’ont pas accès à un système de retraite digne de ce nom et que les maisons de retraite sont quasi inexistantes. Un choc fantastique, et cela dès les prochaines années...

A contrario, le développement du marché intérieur impliquerait une hausse sensible de la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises (ils pèsent aujourd’hui moins de la moitié, contre 65 % en France) et la mise en place d’une protection sociale digne de ce nom. Mais dans un pays où il n’existe pas de liberté syndicale ni de véritable Etat de droit, la base a beaucoup de mal à défendre ses intérêts face aux patrons et aux barons locaux du Parti (souvent les mêmes).

Du coup, la volonté réformatrice des despotes éclairés du sommet de la hiérarchie se perd dans les sables de bureaucraties locales corrompues. Et la crise récente, en mettant en difficulté le secteur exportateur, a plutôt accru ces blocages. C’est pourquoi les autorités chinoises continuent de défendre, avec tant de mauvaise foi, le refus de réévaluer le yuan. Alors qu’une telle réévaluation aurait pour effet immédiat d’augmenter le pouvoir d’achat des Chinois vis-à-vis du reste du monde.

Malgré sa puissance apparente, le régime est donc fragile et l’étape qui s’ouvre à haut risque. Tous les Chinois se souviennent que la dernière guerre civile ne s’est terminée qu’il y a soixante ans, que les troubles avaient bien failli repartir dans les années 1970 avec la Révolution culturelle et qu’en 1989, seul un bain de sang avait permis d’étouffer le mouvement de la place Tien An Men. C’est pour une bonne part parce qu’ils redoutent le retour de l’instabilité chronique et la perte de puissance qui l’avait accompagné, que les Chinois tolèrent encore la dictature du Parti communiste. Bref, ce ne sont pas tant la force retrouvée de la Chine que ses faiblesses persistantes qui risquent de la rendre peu coopérative et agressive vis-à-vis du reste du monde

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