Idées

La France pingre avec sa jeunesse

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De la petite enfance à l'université, dans les investissements et les enjeux éducatifs, la France manque d'ambition pour sa jeunesse. Un mauvais calcul pour l'avenir.

Il est de bon ton de considérer la France en déclin au vu de la baisse de ses parts de marché dans le commerce mondial ou de son recul dans la hiérarchie des puissances. Il n’y a pourtant rien de bien étonnant à ce qu’un pays qui rassemble à peu près 1 % de la population mondiale voie sa position relative reculer quand d’autres, bien plus peuplés, accèdent enfin au développement. En revanche, on peut légitimement s’inquiéter, pour notre qualité de vie future, individuelle et collective, du manque d’ambition de nos dirigeants. Si la gauche a montré dans le passé la difficulté qu’elle a à penser une adaptation solidaire au monde qui vient, la droite, au pouvoir depuis maintenant huit ans, semble préférer satisfaire les intérêts économiques immédiats de ses clientèles plutôt que de réaliser de grandes ambitions collectives.

La France n’est pas seule dans cette situation. L’Union européenne, dans son ensemble, est très loin d’avoir atteint les objectifs qu’elle s’était fixés avec la " stratégie de Lisbonne ", qui devait faire du continent le leader mondial de l’économie de la connaissance. Les dépenses de recherche et développement (R&D) dans l’ensemble de l’Union ont ainsi péniblement atteint 1,9 % du produit intérieur brut (PIB) en 2008 (contre 1,82 % en 2000). Or, s’il nous faut apprendre à être plus modestes dans le monde qui vient, il nous faut aussi préserver notre capacité d’adaptation et renforcer notre cohésion sociale. A cette fin, la priorité serait d’investir à nouveau massivement dans la jeunesse.

Zoom Le contresens du grand emprunt

Comment investir dans l’avenir en période de vaches maigres budgétaires ? Le président de la République Nicolas Sarkozy a cru trouver la solution en lançant un grand emprunt, à côté des dépenses budgétaires normales. Mais que veut dire investir pour l’Etat ? Le discours officiel oppose les dépenses d’investissement, auxquelles va être affecté le grand emprunt, qu’il faudrait développer, aux dépenses de fonctionnement, financées par le budget de l’Etat, qu’il faudrait à l’inverse réduire. Une distinction qui n’a pas de sens.

Dans l’économie d’hier, on opposait les dépenses d’investissement (les achats d’équipements, de machines) et les dépenses de fonctionnement (c’est-à-dire, en simplifiant, les salaires de ceux qui font tourner les machines). L’idée était que la croissance et les gains de productivité dépendaient surtout du niveau des dépenses d’investissement.

Ce n’était déjà qu’en partie vrai hier, mais aujourd’hui, à l’heure de l’économie de la connaissance, c’est devenu totalement faux. La croissance dépend d’abord de la qualité de la main-d’oeuvre. Dans ce contexte, préparer l’avenir, pour l’Etat, signifie d’abord payer des chercheurs et des enseignants et s’occuper enfin sérieusement de la petite enfance. La France a la chance d’avoir une natalité dynamique. La première tâche des pouvoirs publics devrait être de valoriser cet actif.

Une dépense d’éducation en berne

Longtemps en retard en termes d’investissement éducatif, la France a progressivement rattrapé la moyenne des pays de l’OCDE. Mais l’ensemble des dépenses d’éducation, rapporté au PIB, baisse de manière continue depuis le milieu des années 1990. Alors que la fin des années 1980 et le début des années 1990 avaient été marqués par un effort important pour diminuer l’échec scolaire et élever le nombre de bacheliers, les gouvernements qui se sont succédé depuis ont fait une pause. Le niveau de dépenses par habitant, en euros constants, est resté stable, d’où une baisse progressive de la part de la dépense d’éducation dans le PIB.

La décision prise par Nicolas Sarkozy de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite renforce cette tendance dans un pays où les enseignants constituent le principal bataillon des fonctionnaires d’Etat. Ainsi, plus de 30 000 postes d’enseignants ont été supprimés de 2007 à 2010. Des suppressions d’autant plus problématiques que les effectifs des élèves des écoles, et maintenant des collèges, sont orientés à la hausse, du fait du dynamisme de la démographie française. Enfin, les dépenses engagées pour rénover les universités ne peuvent cacher la grande misère de l’enseignement supérieur français et l’insuffisance persistante de l’effort national de recherche.

Evolution de la dépense intérieure d’éducation*, en % du PIB

La petite enfance, une priorité négligée

Parallèlement, la France, qui a longtemps fait figure de pionnière en matière de prise en charge de la petite enfance, notamment grâce à ses écoles maternelles, se refuse désormais à développer ses investissements dans ce domaine. Les travaux de nombreux spécialistes, tels le sociologue danois Gøsta Esping-Andersen, ont pourtant montré qu’il s’agit d’un enjeu essentiel non seulement pour la qualité de la main-d’oeuvre de demain, mais aussi pour assurer la cohésion sociale du pays.

La volonté de réduire le coût pour les finances publiques de la prise en charge de la petite enfance s’est au contraire traduite récemment par un certain nombre de décisions qui vont dans le mauvais sens : diminution des taux d’encadrement dans les crèches collectives, augmentation du nombre d’enfants pouvant être accueillis par les assistantes maternelles, refus d’inscription des enfants en école maternelle avant l’âge de 3 ans. Alors que la création d’un vrai service public de la petite enfance serait aujourd’hui un puissant moyen de lutte contre les inégalités, la tendance est à la baisse des dépenses publiques et au manque d’ambition.

Légitimer l’ordre social ou le transformer ?

Le débat national autour des enjeux éducatifs s’est focalisé dans la dernière période sur l’origine sociale des élites plutôt que sur l’élévation générale du niveau d’éducation et la lutte contre des inégalités scolaires persistantes, qui minent la cohésion sociale du pays. S’il est assurément souhaitable d’agir pour faciliter l’accès aux formations les plus prestigieuses de jeunes issus de milieux défavorisés, les actions menées dans ce domaine ont surtout pour but de légitimer un ordre social devenu très inégalitaire en instituant un semblant d’égalité des chances. Comme si notre société allait devenir juste parce que les cartes étaient (un peu mieux) rebattues à chaque génération...

Zoom Investissement dans la jeunesse et lutte contre la pauvreté

L’école ne peut pas tout. Dit autrement, l’investissement éducatif, pour être efficace, suppose aussi que les jeunes puissent se projeter dans l’avenir. Trop d’enfants vivent aujourd’hui en situation de pauvreté. C’est le cas de 7,6 % d’entre eux, contre 2,7 % au Danemark. La France est sur ce plan bien mieux placée que les Etats-Unis. Le pays d’Harvard et de Stanford compte 20,6 % d’enfants pauvres.

On peut aussi considérer que la priorité, en matière de justice, consisterait à réduire le nombre de jeunes qui sortent du système éducatif sans diplôme et peinent à s’insérer sur le marché du travail autrement qu’en occupant des emplois précaires et très mal rémunérés. La société française doit continuer d’investir dans sa jeunesse, dès la petite enfance, afin que l’ensemble de ses jeunes accèdent à un socle commun de connaissances qui leur donne une réelle autonomie dans leur vie active comme dans leur vie de citoyen.

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