Idées

Qui peut faire faillite ?

6 min

Si une entreprise peut se retrouver en cessation de paiements et une personne en surendettement, il n'est juridiquement pas possible de mettre un Etat en liquidation.

La crise de la dette publique fait (re)découvrir aux citoyens européens les risques liés aux difficultés financières des Etats. D’où une interrogation légitime : un Etat peut-il faire faillite, comme une entreprise ou un individu ? Pour répondre à cette question, il faut préciser ce que recouvre cette procédure pour les différents acteurs économiques.

Comment meurt une entreprise

Une entreprise est dite en faillite lorsqu’un tribunal constate qu’elle se trouve en état de cessation de paiements (c’est d’ailleurs l’expression consacrée, puisque le terme de faillite ne fait plus partie du vocabulaire juridique français). Elle se trouve alors dessaisie d’une partie de ses prérogatives de décisions, celles-ci étant confiées à un tiers en charge de gérer ses intérêts et de trouver une solution avec ses créanciers. En cas d’échec, la faillite conduit à la liquidation du patrimoine, ce qui, pour une personne morale, entraîne la disparition de l’entreprise ; et pour une personne physique, un certain nombre de sanctions et de déchéances comme l’interdiction de diriger, d’administrer ou de contrôler une activité commerciale. La description de cette situation de détresse personnelle a donné des pages magnifiques de notre littérature (que l’on songe au roman de Balzac César Birotteau).

Les procédures de faillite sont apparues dès la fin du Moyen Age, avec le développement du commerce moderne. On en trouve des traces dans les statuts des villes italiennes, comme Gênes en 1498 ou Florence, Milan et Venise. Très vite, la procédure adopte un caractère pénal : le " failli " devait être puni parce qu’il avait déshonoré sa profession et devait donc être traité comme un criminel. C’est en ce sens que dès 1536, sous François 1er, des peines sévères furent édictées contre les banqueroutiers, ceux-ci pouvant être condamnés à mort, sauf cession de tous leurs biens...

Heureusement, on n’en est plus là ! Mais le traitement de la faillite, tout au moins en France, garde de ces origines une trace forte : la procédure est confiée non pas aux magistrats professionnels mais aux commerçants eux-mêmes, c’est-à-dire aux tribunaux de commerce. De nombreuses réformes se sont succédé depuis le code de commerce de 1807, toutes essayant de rendre " plus efficace " la procédure, à savoir vérifier si l’entreprise est viable et, dans ce cas, adopter des mesures de protection pour son bénéfice au détriment de ses créanciers. Dans le cas contraire, le tribunal constate que l’entreprise ne survivra pas à ses difficultés financières et entame sans attendre sa liquidation en désintéressant ses créanciers (la plupart du temps, ceux-ci ne reçoivent rien, les salariés, mais surtout l’Etat passant avant eux). A la fin des années 1980, les réformes ajoutèrent dans les objectifs de la loi la sauvegarde des emplois, en plus de la protection des entreprises.

Toutes les procédures de faillite à travers le monde, quel que soit leur régime juridique, aboutissent à la disparition des entreprises non viables et à la liquidation des actifs (on parle techniquement de " réalisation de l’actif " et d’" apurement du passif "). Cette " mort " de l’entreprise ne peut bien sûr pas se retrouver dans le cas des Etats et des individus.

En complément de ces mesures vis-à-vis des entreprises, leurs dirigeants peuvent aussi être frappés par des sanctions particulières : la procédure dite " de faillite personnelle " est ainsi prononcée en cas de comportement malhonnête ou délictueux de l’entrepreneur (tels que des détournements de fonds, des mouvements de fonds malgré l’état de cessation des paiements, une comptabilité fictive, etc.). Cette faillite personnelle entraîne l’interdiction de gérer une entreprise et la déchéance électorale (une " mort politique " en quelque sorte).

Des ménages surendettés

Les individus non commerçants peuvent aussi se trouver dans une situation de faillite, c’est-à-dire en cessation de paiements, pour reprendre l’expression utilisée en matière commerciale. C’est ce que l’on appelle en France le surendettement, depuis une loi de 1989 . Dès lors que cette situation d’endettement extrême, constatée là encore par un tribunal, conduit à l’impossibilité pour un individu (de bonne foi, dit la loi) de payer ses créanciers, des mesures de protection sont prises pour l’aider à faire face à cette situation : aménagement des paiements (report, rééchelonnement, imputation sur le capital...) et/ou mesures d’allégements.

Zoom Des Etats pris en défaut

L’histoire économique moderne, y compris en Europe, fourmille de situations où l’on voit des pays s’enfoncer dans la crise suite à leurs difficultés financières. Et ces crises financières, puis économiques ont souvent conduit les Etats à ne pas rembourser leurs dettes en totalité, ce que les économistes appellent " faire défaut " à ses créanciers. La France s’est souvent retrouvée dans cette situation dans son passé lointain : huit fois entre les XIVe et XVIIIe siècles ; c’était même la technique favorite de nos monarques pour ne pas honorer leurs dettes !

Au cours du seul XIXe siècle, l’Espagne a fait sept fois défaut. La Grèce détient pour sa part un triste record : elle a connu des problèmes de remboursement de sa dette durant plus de la moitié des années écoulées depuis son indépendance en 1830. Au début des années 1930, ce fut le cas de l’Allemagne, de la Hongrie, de la Roumanie et... de la Grèce. C’est une leçon de l’histoire, nous disent les professeurs américains Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff 1 : les Etats n’hésitent pas à ne pas rembourser leurs créanciers lorsque leurs dettes sont devenues trop lourdes. Et lorsqu’elles sont remboursées, elles le sont souvent en " monnaie de singe ", c’est-à-dire avec une monnaie dévaluée du fait de l’inflation. La planche à billets, depuis le XXe siècle, a remplacé le rognage des pièces d’argent.

  • 1. Cette fois, c’est différent : huit siècles de folies financières, par Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, Pearson, 2010.

Si ces mesures s’avèrent suffisantes, la situation diffère de celle prévue pour les entreprises : il s’agit ici de donner une seconde chance au débiteur. On procède alors à l’effacement des dettes dans le cadre d’une procédure dite de " rétablissement personnel ". Grâce à cette technique, l’individu peut repartir de zéro. Mais la contrepartie de cet effacement est l’inscription pendant huit ans sur le fichier des incidents de paiements, et donc en pratique une très grande difficulté à pouvoir de nouveau emprunter.

Et les Etats ?

Les commentateurs de la crise actuelle de la zone euro emploient souvent le mot " faillite " à propos des difficultés de remboursement de la Grèce. Or, juridiquement, ce n’est tout simplement pas possible. Un Etat peut se trouver en cessation de paiements, en incapacité de rembourser sa dette et décider unilatéralement de ne pas honorer ses engagements et de ne plus payer ses fonctionnaires et ses créanciers, mais il ne peut pas être mis en liquidation et disparaître comme une entreprise.

Au XIXe siècle, les créanciers (occidentaux) utilisaient la technique de la canonnière (relisez Bel-Ami, de Maupassant). On envahissait le pays pour " se servir sur la bête ". De militaire, l’action devint ensuite judiciaire : jusqu’au milieu des années 1980, les créanciers impayés des Etats allaient faire valoir leurs droits devant les tribunaux, souvent avec le soutien de leurs gouvernements. Avec plus ou moins de succès compte tenu de l’existence de théories juridiques comme celle de l’immunité des Etats souverains, qui empêche un tribunal d’exécuter un jugement de saisie à leur encontre.

Au début des années 2000, le Fonds monétaire international (FMI) a promu l’idée d’une approche contractuelle du problème : lorsqu’un Etat connaît des difficultés graves, Etat et créanciers s’assoient autour d’une table et discutent des conditions de renégociation ou de restructuration de la dette. Comme pour les entreprises et les individus, on cherche d’abord une solution négociée. Mais ici, aucun juge n’intervient, sauf à considérer que le FMI est un peu dans ce rôle. Pour arriver à un accord, encore faut-il que les créanciers s’entendent, selon des règles de majorité qui jusqu’ici n’étaient pas claires. C’est pourquoi on a vu se développer des " clauses d’action collective " dans les contrats d’émission des dettes souveraines. Celles-ci permettent qu’une restructuration soit considérée comme acceptée par tous les créanciers dès lors qu’une majorité d’entre eux (75 % dans la plupart des cas) donnent son accord. On est ainsi passé d’une logique judiciaire à une réponse contractuelle. A partir de 2013, les dettes émises par les pays de la zone euro comporteront toutes des clauses d’actions collectives.

Si un Etat ne peut pas faire faillite, une entreprise le peut et la situation des individus est à mi-chemin entre les deux. Mais dans tous les cas, l’origine du problème est identique : l’impossibilité de payer ses dettes. Ce qui, dans une économie fondée sur l’endettement excessif, est somme toute de plus en plus courant...

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