Economie

L’austérité peut-elle réussir en France ?

7 min

La France a fait le choix de réduire ses déficits publics en privilégiant la hausse des prélèvements plutôt que la baisse des dépenses. Avec pour résultats des effets moins négatifs qu'ailleurs sur l'activité et l'emploi.

La crise économique et financière a entraîné une forte dégradation des finances publiques dans la plupart des pays développés. Entre 2008 et 2010, en trois ans seulement, la dette publique s’est accrue de 16 points de produit intérieur brut (PIB) en France et dans la zone euro, de 22 points aux Etats-Unis et au Japon et de 28 points au Royaume-Uni. Face à cette dégradation rapide et explosive des comptes publics, les pays développés, notamment européens, ont mis en place, pour la plupart dès 2010, des politiques de rigueur de grande ampleur de façon à réduire rapidement leurs déficits publics.

Zoom Déficits : entre le conjoncturel et le structurel

Les économistes sont à peu près tous d’accord pour distinguer les déficits publics structurels (qui tiennent à la structure des prélèvements et des dépenses publiques d’un pays) et les déficits conjoncturels (qui sont liés à l’effet à court-moyen terme du niveau de l’activité économique lié au cycle). Simplement, cette décomposition n’étant pas observable, il n’existe aucun moyen simple et incontestable de distinguer et de mesurer l’une et l’autre composantes du déficit constaté à un moment donné.

Pour cela, il faut en effet construire des modèles fondés sur des hypothèses par nature contestables. L’OCDE, la Commission européenne ou encore l’OFCE ont ainsi construit des modèles qui aboutissent à des estimations un peu différentes. Dans le cas de la France cependant, quelle que soit la mesure retenue, le diagnostic est sans appel : en 2013, jamais l’Hexagone ne devrait connaître, d’un point de vue structurel, une situation budgétaire aussi favorable depuis trente ans (voir graphique). Selon la mesure de l’OFCE, il dégagerait même pour la première fois un excédent structurel, et l’OCDE estime son déficit structurel à seulement 1,2 point de PIB. La Commission européenne, qui prend en compte un impact conjoncturel moins négatif que les autres institutions, évalue le déficit structurel de la France à 2 points de produit intérieur brut (PIB) en 2013.

Solde public structurel, en % du PIB

Le niveau nominal des déficits publics français devrait être assez proche en 2013 de ce qu’il était en 2007 ou encore en 1991. Ce niveau reflète pourtant des situations très différentes. En effet, les déficits publics, qui étaient légèrement inférieurs à 3 % du PIB en 1991 et 2007, masquaient des déficits publics structurels élevés (compris entre 3,1 % et 4,3 %, selon la méthode retenue) compte tenu d’une activité économique assez forte ces années-là. A l’inverse, la France dispose en 2013 d’une position budgétaire structurelle solide, mais avec un déficit public conjoncturel historiquement élevé : celui-ci est évalué à 2,2 % du PIB par l’OCDE et à 1,6 % par la Commission, contre 0,9 % en 1993, le point le plus bas au cours des décennies précédentes. Cette année, le niveau des déficits structurels ne justifie donc pas l’accentuation de la politique de rigueur. Seule la peur d’une hausse des taux d’intérêt liée à la perte de confiance des marchés quant à la capacité de la France à réduire sa dette publique peut expliquer une telle politique. Une impulsion budgétaire moins négative permettrait toutefois de limiter le déficit d’activité et donc la hausse du chômage, tout en continuant à réduire progressivement les déficits structurels.

Ces politiques ont partout comme effet de limiter l’activité économique, car les multiplicateurs budgétaires* sont élevés en raison de la simultanéité des politiques de restriction budgétaire, des très faibles marges de manoeuvre des politiques monétaires pour contrebalancer l’austérité, et du fait que la plupart des économies avancées sont en bas de cycle économique. Il existe cependant des différences dans l’impact économique de ces politiques publiques en fonction des arbitrages opérés. Dans ce contexte, ceux qui ont été faits en France - privilégier la hausse des prélèvements, notamment par la fiscalité directe, plutôt que la baisse drastique des dépenses - ont des effets moins négatifs qu’ailleurs sur l’emploi et l’activité.

Une réduction généralisée des déficits

A l’exception notable du Japon, tous les grands pays de l’OCDE ont mis en place des politiques visant à réduire leur déficit structurel primaire**. Elles représentent une restriction budgétaire d’environ 5 points de PIB entre 2010 et 2013 en moyenne dans la zone euro, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. En revanche, les différences entre pays sont très importantes au sein de la zone euro : ces efforts vont de 18 points de PIB en Grèce à seulement 0,7 point en Finlande (voir graphique).

Parmi les grands pays industrialisés, la France est, après l’Espagne, le pays qui a fait le plus d’efforts depuis 2010 du point de vue de la réduction du déficit structurel (5,7 points de PIB sur trois ans). Jamais la France n’avait connu un ajustement aussi brutal et aussi soutenu de ses comptes publics depuis la Seconde Guerre mondiale. La précédente période de forte consolidation budgétaire, qui avait eu lieu de 1994 à 1997, avait représenté un effort budgétaire pratiquement deux fois moins important (3,3 points de PIB, contre 5,7 points de 2010 à 2013). Entre 2010 et 2013, selon l’OCDE, le taux de prélèvements obligatoires corrigé du cycle économique devrait augmenter en France de 3,8 points de PIB, tandis que la baisse structurelle de la dépense publique représenterait 1,9 point de PIB sur quatre ans. Parmi les pays de l’OCDE, c’est en France que la hausse des taux de prélèvements obligatoires, corrigée du cycle économique, a été la plus forte depuis 2010.

Au final, de 2010 à 2013, l’effort structurel de réduction du déficit public porte donc aux deux tiers sur la hausse des prélèvements et à un tiers sur la dépense publique. Cette répartition est différente de celle qu’on observe en moyenne dans la zone euro, où l’effort budgétaire porte à près de 60 % sur la réduction de la dépense publique, un pourcentage atteignant même plus de 80 % en Espagne, au Portugal, en Grèce et en Irlande. A l’inverse, pour la Belgique, l’intégralité de l’effort budgétaire a porté sur la hausse des prélèvements. Dans le cas de la Finlande, la dépense publique a même augmenté sur la période 2010-2013 en termes structurels.

Des effets négatifs contenus

Si les efforts budgétaires conséquents réalisés en France ont indéniablement eu des effets négatifs sur l’activité et l’emploi, les choix opérés par les différents gouvernements depuis 2010 semblent avoir relativement moins affecté la croissance et le marché du travail que dans la plupart des autres pays européens. Parmi les onze premiers Etats à adopter l’euro (hors Luxembourg), seuls quatre ont connu une croissance moyenne supérieure à 1 % par an entre 2010 et 2013 et n’ont pas vu leur taux de chômage augmenter : l’Allemagne, la Finlande, l’Autriche et la Belgique. Or, ces quatre pays sont aussi ceux qui ont le moins diminué leur déficit public structurel sur cette période (voir graphique). A ce titre, la Belgique a réalisé un parcours exceptionnel en réduisant de 0,8 point de PIB par an son déficit structurel, tout en réussissant à stabiliser son chômage.

Mais la France est elle aussi un cas très particulier au sein de la zone euro : elle fait partie des pays qui ont le plus réduit leur déficit structurel primaire depuis 2010 et dont le taux de chômage a le moins augmenté. En effet, par rapport aux Pays-Bas, à l’Italie ou à la moyenne de la zone euro, la politique budgétaire a été plus restrictive en France de près d’un point de PIB de 2010 à 2013. Et pourtant le taux de chômage a augmenté de 40 % de moins qu’aux Pays-Bas, 60 % de moins que dans la moyenne de la zone euro et plus de deux fois moins qu’en Italie. De même, la croissance a été supérieure en France sur cette période : 0,9 % par an en moyenne, contre 0,5 % aux Pays-Bas, - 0,2 % en Italie et 0,7 % dans la zone euro.

Une réduction des dépenses a minima

Pourquoi la politique budgétaire française a-t-elle eu moins d’impact négatif sur la croissance et l’emploi que dans les autres pays ? Après la Finlande et la Belgique, la France est le pays dont la contribution de la dépense publique à la réduction du déficit structurel a été la plus faible. A l’inverse, pour les pays les plus en difficulté au sein de la zone euro (Grèce, Portugal, Irlande et Espagne), plus de 80 % de l’ajustement budgétaire ont porté sur la réduction de la dépense publique.

Or, dans un article récent, des économistes issus de banques centrales européenne et américaine, de la Commission européenne, de l’OCDE et du Fonds monétaire international 1 montrent que le multiplicateur est, à court terme, plus élevé si l’instrument budgétaire porte sur les dépenses publiques (investissement public, consommation publique, transferts ciblés) plutôt que sur la fiscalité (TVA, taxes sur les revenus du travail, taxes sur les revenus des entreprises). En ciblant son ajustement plutôt sur la hausse des prélèvements que sur la baisse de la dépense publique, il semble donc logique que la politique budgétaire française ait eu à court terme un impact moindre sur l’activité et l’emploi.

Variation entre 2010 et 2013 du solde public structurel primaire (en points de PIB) et du taux de chômage (en %)

De plus, dans le cas de la France, près de 50 % de cet ajustement ont été réalisés par une augmentation de la fiscalité directe sur le revenu des ménages et des sociétés, via notamment une hausse de l’impôt sur le revenu, largement raboté au cours de la dernière décennie, ainsi qu’un élargissement de l’assiette de l’impôt sur la fortune pour les grandes entreprises. La Belgique, l’Autriche et les Etats-Unis sont les pays qui ont eu relativement plus recours à la hausse de la fiscalité directe pour réduire leur déficit structurel : ils ont réalisé ainsi entre 50 % et 75 % de leur ajustement budgétaire. Or, ces pays font partie également des pays où la croissance et le marché du travail ont été les plus préservés. A l’inverse, les pays qui ont le moins utilisé ce levier pour leur ajustement budgétaire (moins de 20 %) sont les pays d’Europe du Sud, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, qui ont plus souffert de la crise.

Dans la performance économique d’un pays, il est toujours difficile de distinguer ce qui est du ressort des fondamentaux de ce qui est dû aux orientations budgétaires à court terme. Il semble néanmoins que le choix des gouvernements français successifs depuis 2010 de privilégier la hausse de la fiscalité, notamment par le biais d’une augmentation des impôts progressifs, a été moins coûteux en termes d’activité et d’emplois que d’autres orientations budgétaires. Et en particulier que celui d’une réduction massive des dépenses publiques, et notamment des transferts sociaux, qui ont les effets multiplicateurs à court terme les plus forts.

  • 1. Voir "Effects of Fiscal Stimulus in Structural Models", American Economic Journal : Macroeconomics vol. 4, 22-68, 2012.
* Multiplicateur budgétaire

Lorsque l'Etat dépense 100 en plus, l'impact positif sur la croissance est supérieur à 100. A l'inverse, une baisse de 100 des dépenses a un impact négatif sur la croissance supérieur à 100 et cet impact est d'autant plus fort que l'ajustement est rapide et généralisé. Le multiplicateur budgétaire est le ratio entre l'évolution de l'activité et celle des dépenses publiques.

** Déficit structurel primaire

Solde public corrigé des effets de la conjoncture et avant le paiement du service de la dette. La variation du solde structurel corrigée des charges d'intérêt mesure la politique discrétionnaire du gouvernement.

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