Société

Les Français et l’impôt

7 min

La révolte fiscale n'est pas vraiment à l'ordre du jour. Les Français consentent toujours à payer leurs impôts, même s'ils les jugent souvent trop lourds et injustes.

La France est un pays où l’on paie trop de charges et d’impôts." Voilà un refrain que l’on entend partout et sur lequel 82 % des Français s’accordent, selon de récentes enquêtes d’opinion1. Ils sont également convaincus que les impôts et les taxes qu’ils paient personnellement sont beaucoup trop élevés (33 % le disent) ou, du moins, un peu trop élevés (40 % le disent). Pour autant, on semble loin encore d’une véritable "révolte fiscale" : le consentement à l’impôt n’est pas fondamentalement remis en cause.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce "ras-le-bol fiscal" est un peu plus fort dans les catégories populaires et les classes moyennes que parmi les catégories aisées : 73 % des cadres supérieurs, 79 % des professions intermédiaires, 83 % des employés et 90 % des ouvriers considèrent que l’on paye trop d’impôts et de charges en France. Certes, les ménages aisés payent davantage d’impôts que les ménages pauvres mais, par définition, ce sont ces derniers qui connaissent les plus fortes contraintes budgétaires. Ce qui explique leur plus grande sensibilité aux divers impôts et taxes et leurs plus grandes réticences à les voir augmenter.

L’impôt, une solution parmi d’autres

Les Français critiquent le système fiscal sous plusieurs angles. Tout d’abord, ils estiment que l’impôt ne doit pas être le seul instrument pour financer les politiques publiques. Par exemple lorsqu’on leur pose la question : "Supposons que votre municipalité doive améliorer le réseau de distribution d’eau potable auquel vous êtes raccordé(e). Pour permettre cette amélioration, que pensez-vous qu’il faudrait faire en priorité ?", seuls 10 % des Français interrogés choisissent d’augmenter les impôts locaux, 23 % décident de confier en totalité ou en partie la distribution de l’eau à une entreprise privée, 30 % acceptent d’augmenter le prix de l’eau dans le cadre d’une régie municipale et, enfin, 37 % préfèrent recourir à un emprunt public. Les Français ont donc des avis assez différents sur ce qui doit être financé (la distribution d’eau est-elle vraiment la mission d’une municipalité ?) et comment cela doit être financé (qui doit payer : les usagers, les citoyens présents et/ou futurs ?).

Parmi les autres solutions que l’impôt, la dette publique tient une place importante. A partir du moment où ce qui est financé est bien explicité (ici une amélioration du réseau de distribution d’eau), la décision d’emprunter pour investir ne fait plus forcément peur aux Français et l’endettement n’est plus nécessairement perçu comme un signe de faillite économique. Rappelons à cet égard que l’endettement public est une solution qui présente de nombreux avantages. En particulier, la dette permet de répartir la charge de l’investissement entre les habitants actuels et les habitants futurs, sachant que ces derniers profiteront aussi du nouveau réseau de distribution. Sur le plan de l’équité, c’est incontestablement une meilleure solution que d’exiger que les présents payent l’intégralité de l’investissement rubis sur l’ongle.

Inefficacité et gaspillages

Les Français critiquent également le système fiscal pour le manque d’efficacité supposé de la dépense publique : 88 % d’entre eux pensent que, d’une manière générale, les pouvoirs publics utilisent plutôt mal (52 %) ou très mal (36 %) l’argent des impôts. Parmi les reproches les plus fréquents, on trouve le fait qu’"il y a trop de gens qui profitent du système, ce qui est décourageant pour les personnes qui font des efforts" et que "cela ne sert à rien d’augmenter les impôts si on ne réduit pas les dépenses publiques". En fait, les trois quarts des Français ont le sentiment de contribuer plus en impôts et en taxes (impôt sur le revenu, taxe d’habitation, TVA...) qu’ils ne pensent retirer de bénéfices de la part de l’Etat (école, sécurité sociale, infrastructures, aides pour les enfants, allocations chômage...).

Zoom L’impôt sur le revenu, un fardeau plutôt consensuel

Plus de trois Français sur quatre trouvent l’impôt sur le revenu justifié. Parmi les différents impôts et taxes, c’est l’un des impôts les mieux acceptés (voir tableau). Il y a à cela plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est un impôt qu’ils connaissent bien, du moins sur le principe. A titre de comparaison, la contribution sociale généralisée (CSG) demeure moins connue et est encore aujourd’hui mal acceptée, en partie pour cette raison.

Mais surtout, l’impôt sur le revenu est assez consensuel parce qu’il est progressif et respecte en principe les capacités contributives de chacun. C’est ce qui ressort clairement de l’enquête sur la dynamique des inégalités, pour laquelle on a demandé aux interviewés de chiffrer le montant de l’impôt sur le revenu qu’il faudrait, selon eux, exiger de différents ménages (touchant des revenus très différents). Spontanément, les enquêtés ont collecté une somme bien inférieure à ce que le Trésor public exige, confirmant de fait que cet impôt est ressenti comme un fardeau. Mais, plus frappant, à partir du moment où on leur a demandé de collecter globalement une certaine somme (correspondant à la réalité), les personnes interrogées ont implicitement appliqué des taux progressifs proches de ceux que le Trésor public exige actuellement.

Les opinions sur les impôts et taxes dans leurs modalités actuelles

Plus encore : alors que les opinions touchant aux impôts sont très souvent liées aux convictions partisanes de chacun, les sympathisants de gauche comme de droite ont donné les mêmes réponses dans cette enquête. La légitimité de cet impôt semble donc très forte. Il s’agit certes d’un fardeau, mais au moins chacun semble à peu près d’accord sur le partage de ce fardeau.

Dans le même temps, les Français reconnaissent pourtant assez largement qu’il faut un haut niveau d’imposition et de cotisations sociales pour "maintenir un service public significatif dans des domaines comme l’éducation ou la santé" et pour "maintenir un haut niveau de protection sociale". Mais une partie des Français pense aussi qu’elle pourrait obtenir les mêmes politiques pour moins cher. Souhaite-t-elle pour autant faire baisser les salaires des infirmiers ou des instituteurs ? Non. La conviction des Français sur les gaspillages publics repose plutôt sur ce sentiment plus diffus que l’on devrait pouvoir faire des économies quelque part. Mais c’est un sentiment que l’on peut avoir à propos de toute entreprise privée ou publique et même de toute activité humaine. Le fond du problème tient plutôt au fait que la relation du contribuable à l’Etat diffère fondamentalement de celle qui lie un producteur et son client. Et il est très difficile pour un contribuable de considérer qu’un prélèvement obligatoire sans contrepartie directe puisse être établi au "juste prix".

Appréciation de la justification à tricher dans sa déclaration d’impôt si on en a la possibilité, moyenne sur 10

Lecture : plus la moyenne est proche de 1, plus le fait de tricher sur ses impôts est jugé injustifiable.

Appréciation de la justification à tricher dans sa déclaration d’impôt si on en a la possibilité, moyenne sur 10

Lecture : plus la moyenne est proche de 1, plus le fait de tricher sur ses impôts est jugé injustifiable.

Les fraudeurs mal vus

Pour autant, les Français ne rejettent pas l’impôt en tant que tel. Ils condamnent même de plus en plus fermement ceux qui tentent d’y échapper. Lorsqu’on leur demande de prendre position sur la fraude fiscale en notant cette pratique sur une échelle allant de 1 pour "jamais acceptable" à 10 pour "toujours acceptable", 53 % des Français choisissent la réponse 1 "jamais acceptable" et 89 % donnent une note inférieure ou égale à 5. La condamnation de la fraude fiscale est donc claire.

Elle l’est même de plus en plus, comme on peut le constater à partir d’une enquête effectuée à plusieurs reprises sur les valeurs des Français (EVS 1981, 1990, 1999, 2008). On demandait aux personnes interrogées de noter sur une échelle du même type le fait de "tricher dans sa déclaration d’impôt si on en a la possibilité". Or, la moyenne des réponses n’a cessé de diminuer, c’est-à-dire de se rapprocher de la condamnation morale (voir graphique), alors même que le niveau général des prélèvements obligatoires a nettement augmenté en France durant la même période. Ce n’est d’ailleurs pas illogique : plus la charge est lourde, moins on tolère les tricheurs.

Par ailleurs, la majorité des Français (57 %) déclarent avoir le sentiment d’accomplir un acte citoyen en payant leurs impôts. Ainsi, même s’ils se plaignent du niveau des impôts, ils continuent fondamentalement d’y consentir. L’expérience historique montre que pour engendrer une véritable révolte fiscale, il faut ajouter à l’impression de payer trop d’impôts, un fort sentiment d’iniquité. Pour ne retenir qu’un exemple, lors de la Révolution française, le sentiment d’injustice fiscale était plus fort en France qu’en Angleterre, alors que l’impôt était plus lourd outre-Manche. Plus que le niveau, c’était la répartition injuste de la charge fiscale qui choquait en France, l’enrichissement insupportable des collecteurs d’impôts, les exemptions et autres passe-droits de la noblesse et du clergé.

Un fort sentiment d’injustice

Dès lors, il faudrait s’inquiéter surtout du fait que 75 % des Français pensent que, "globalement, la fiscalité en France est aujourd’hui plutôt ou tout à fait injuste". Le volet fiscal du contrat social contribuerait ainsi à aggraver les inégalités sociales (54 % le croient) ou, du moins, échouerait à les réduire (42 % le pensent). Ce sentiment d’injustice se nourrit à de nombreuses sources. Tout d’abord, l’Etat est aujourd’hui confronté aux nouveaux défis d’une société ouverte, où les biens et les personnes peuvent circuler librement et ainsi échapper en partie à l’impôt. Chaque Etat est amené à offrir des possibilités d’optimisation fiscale pour attirer des capitaux et des entreprises, en écornant l’équité fiscale. Les possibilités croissantes de fraudes et d’exemptions minent la confiance des citoyens dans leur système fiscal. Sa complexité grandissante renforce le problème en évinçant de plus en plus le citoyen des débats au profit des experts, des gestionnaires et des logiques de clientèle. Le citoyen a bien du mal à dégager de ces débats les véritables enjeux politiques.

Enfin, le sentiment d’injustice fiscale est lié plus largement au sentiment que la société française est plutôt injuste : plus le contrat social semble inéquitable, moins chacun est prêt à le financer, du moins en l’état. C’est une des raisons qui expliquent que les riches dénoncent aujourd’hui moins l’injustice fiscale que les pauvres.

  • 1. Nous nous appuyons principalement sur deux enquêtes. La première porte sur la dynamique des inégalités et a été effectuée par TNS-Sofres dans le cadre de l’ANR Dynegal en juin 2013 auprès de 1 018 personnes de 18 ans ou plus, interrogées en face-à-face selon la méthode des quotas. La seconde, par Ipsos en octobre 2013 auprès de 967 personnes de 18 ans ou plus, interrogées par Internet selon la méthode des quotas.

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