Entretien

Un New Deal vert pour le XXIe siècle

5 min
Alain LIPIETZ Porte-parole de la commission économique des Verts, dernier ouvrage paru : " Berlin, Bagdad, Rio ", éd. Quai Voltaire

Vous dites que cette crise est à la fois sociale et environnementale. Pourquoi ? Est-ce la fin de ce que vous appelez le " système libéral-productiviste " 1 ?

L’aspect libéral de la crise est ce qui l’apparente à la crise de 1929 : une accumulation de richesses qui ne trouvent plus à s’investir, car les pauvres sont trop pauvres pour acheter. Aux Etats-Unis, on a dépassé en 2007 la polarisation sociale de 1928, époque où le 1 % des plus riches se partageait quasiment le quart de la richesse nationale. Ainsi, en raison de la destruction achevée du New Deal inventé justement par Roosevelt pour remédier à la crise de l’entre-deux-guerres en développant une large classe moyenne, nous avons retrouvé il y a un peu plus d’un an le niveau de déséquilibre qui avait provoqué la crise de 1929.

Zoom La baisse du prix du pétrole : un mauvais signal pour la reconversion écologique de l’économie

Le tassement de la demande d’énergie s’est traduit par une chute spectaculaire des prix de l’énergie, dont l’indice moyen calculé par le FMI a été divisé par deux entre juillet et novembre 2008. Sous l’effet de la récession, la consommation mondiale de pétrole s’est en effet légèrement contractée en 2008, puis en 2009, une première depuis 1983. Elle a été estimée pour 2009 à 84,1 millions de barils par jour en moyenne, soit 2 millions de moins qu’en 2007. Mais cette baisse aura été de très courte durée. Selon les services statistiques des Etats-Unis, la consommation sera de 85,5 millions de barils par jour en moyenne en 2010, soit presque le niveau de 2008, et elle dépassera l’an prochain celui de 2007. Un retour, en somme, à la case départ.

Cours du baril de pétrole (brent), en dollars

Avec le regain de l’activité économique et de la consommation, le repli des prix de l’énergie a été lui aussi de courte durée : entre janvier 2009 et janvier 2010, le baril de brent est ainsi passé de 43 à 76 dollars. Si ce cours est appelé à remonter à l’avenir, et de beaucoup, compte tenu des tendances de fond de la demande (soutenue par l’évolution économique et démographique des pays du Sud) et de l’offre (les géologues situent autour de 2015 le moment où la production pétrolière va irrémédiablement décliner), il est actuellement au niveau de l’automne 2007. Et aujourd’hui comme il y a trois ans, ce niveau n’est pas suffisamment élevé pour entraîner de grands changements de comportement. Pire : par rapport à 2007, la crise a amputé les capacités financières des individus et des entreprises, ce qui ne les pousse pas à investir pour réduire leur consommation d’énergie fossile.

On se retrouve même dans une structure de distribution mondiale plus dangereuse encore que celle de 1928. Car, d’une part, les travailleurs américains ou européens se sont appauvris, mis en concurrence avec ceux de l’ex-tiers monde, alors que, d’autre part, la modernisation productive s’élargissait presque au monde entier. Or la crise de 1929 venait de la mauvaise distribution des gains de productivité : dans les années 1920, les salaires stagnaient tandis que la productivité croissait, avec des profits " rugissants ". De nos jours, les ouvriers chinois travaillent sur des machines achetées en Allemagne, avec la productivité de 2008, mais ils sont payés avec les salaires de 1900. Nous sommes face à une crise de 1929 au carré !

Le deuxième aspect, c’est l’aspect productiviste de la crise. Pour la première fois depuis 1848, et même depuis la Grande Peste, on assiste, en plus de la crise du système économique, à une crise d’épuisement des ressources naturelles. En 1929, les récoltes étaient bonnes, il n’y avait aucun problème du côté de la nature : on brûlait le café invendable dans les locomotives. Aujourd’hui, on atteint la limite de la plupart des ressources non renouvelables : pétrole, métaux... Tout s’épuise à la fois, non seulement les matières premières, mais également notre environnement global, avec l’explosion des émissions de gaz à effet de serre, qui représente un péril bien plus grave encore.

La crise a cassé le boom des prix du pétrole. Ils ont retrouvé fin octobre 2008 leur niveau de 2006-début 2007. Mais à plus long terme, à moins d’une politique ambitieuse d’économies d’énergie et de régulation des prix, ils pourraient de nouveau exploser, avec le creusement du fossé entre l’évolution projetée de la demande et celle de la production, qui va inexorablement décliner.

Mais il n’y a pas que l’énergie. Les prix alimentaires ont crû de façon vertigineuse entre 2006 et la mi-2008. Le monde a manqué courir à la catastrophe totale en se lançant en 2007 dans les agrocarburants. Pour lutter contre la rareté du pétrole, cette décision a aggravé celle des produits alimentaires. Et les Chinois enrichis commencent à manger de la viande, ce qui nécessite de mobiliser de plus en plus de terres agricoles pour l’alimentation du bétail : il faut quatre à dix calories végétales pour produire une calorie animale. A quoi se sont ajoutées les conséquences de l’effet de serre, avec la sécheresse en Australie, ce " grenier " majeur de la planète. Résultat : les 27 pays les plus pauvres étaient en état de crise alimentaire en mai 2008, en l’absence de sécheresse ou d’inondation particulière !

Indices des prix mensuels des produits alimentaires, base 100 = moyenne 2002-2004

On a tendance à l’oublier, mais quelques mois avant la chute de Lehman Brothers, les prix des produits de base, et notamment des biens alimentaires, atteignaient des sommets. Des émeutes de la faim réapparaissaient dans de nombreux pays. La crise financière et la profonde récession qui a suivi ont fait chuter les prix. Elles ont donc éclipsé pour un temps la crise alimentaire, mais elles ne l’ont pas fait disparaître.

Indices des prix mensuels des produits alimentaires, base 100 = moyenne 2002-2004

On a tendance à l’oublier, mais quelques mois avant la chute de Lehman Brothers, les prix des produits de base, et notamment des biens alimentaires, atteignaient des sommets. Des émeutes de la faim réapparaissaient dans de nombreux pays. La crise financière et la profonde récession qui a suivi ont fait chuter les prix. Elles ont donc éclipsé pour un temps la crise alimentaire, mais elles ne l’ont pas fait disparaître.

Quelle pourrait être la forme d’un autre régime d’accumulation, d’un autre mode de régulation et d’un nouveau modèle de développement ? On ne va pas revenir au fordisme ?

Par ses ressemblances avec la crise de 1929, il devra sans doute y avoir quelque chose de rooseveltien dans les solutions à la crise actuelle. Donc une redistribution des revenus à l’échelle mondiale. Et l’Etat-nation est désormais impuissant à réguler le capitalisme : il nous faut au moins une Europe fédérale. Mais, bien sûr, on ne reviendra pas au fordisme, et ce à cause de la crise écologique : il ne faut pas garantir une automobile à chacun, mais des logements bien isolés, produisant leur propre énergie, et des transports en commun !

C’est toute l’idée de la croissance verte. La norme de consommation devra être non seulement économe en énergie et en gaz à effet de serre, mais elle devra en plus réduire les déséquilibres accumulés. On ne peut pas se contenter de la décroissance de l’activité. Ce serait vrai si on était à l’équilibre et s’il fallait maintenir les choses en l’état. Or ce n’est pas du tout le cas.

Zoom Des relances vert pâle

La gravité du choc économique et de ses impacts durables sur l’emploi a remis la dépense publique à l’ordre du jour. Mais les Etats se sont très inégalement saisis de l’opportunité de ce " moment keynésien " pour s’engager dans une relance verte. En France, selon le Fonds mondial pour la nature (WWF) 1, à peine 6 % des 26 milliards d’euros du plan de relance annoncé en décembre 2008 étaient consacrés à l’environnement, une fois déduites les sommes qui financent des investissements générateurs d’émissions supplémentaires de CO2, comme la réactivation de certains projets d’autoroutes qui avaient été gelés par le Grenelle de l’environnement. Autre mesure en retrait par rapport aux discours écologiques du gouvernement, la prime à la casse n’a été assortie que d’une conditionalité écologique légère. Elle était en effet accordée pour l’achat d’une voiture émettant moins de 160 grammes de CO2 par kilomètre, soit plus que le seuil retenu pour bénéficier du bonus mis en place suite au Grenelle de l’environnement, qui était de 130 grammes. Outre-Rhin, aucun seuil d’émission de CO2 n’avait été instauré. En revanche, les Allemands ont consacré des sommes substantielles pour renforcer l’efficacité énergétique des bâtiments, si bien que près de 15 % des dépenses de leur plan de relance peuvent être considérées comme favorables à l’environnement.

  • 1. Dans son étude de 2009 " How climate friendly are the economic recovery packages ? ".

Il faut bien comprendre que lutter contre la crise écologique suppose une croissance massive de l’activité humaine. Nous devrions être aujourd’hui dans une " économie mobilisée ", au sens de l’économiste hongrois János Kornai : une économie où il y a adéquation entre l’immensité des besoins collectifs reconnus comme tels par les individus et la capacité de l’offre de travail à satisfaire ces besoins. En un an, tout pays " mobilisé " pourrait être en situation de plein-emploi, avec des gens en train de construire des logements écologiques, des vélos, des couloirs pour autobus à méthane, issu de la fermentation des ordures, en train de remettre les HLM et les copropriétés aux normes HQE (haute qualité environnementale). Le travail que nous avons à mener, dans les collectivités locales et dans les institutions européennes, c’est de montrer ce que serait le New Deal du XXIe siècle.

Propos recueillis par Bertrand Richard

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !
Sur le même sujet