Entretien

"L’agriculture urbaine est un sas vers le questionnement alimentaire"

4 min
Jean-Noël Consales urbaniste et codirecteur du programme Jassur

Comment définir l’agriculture urbaine ?

Cette définition fait débat : en France, certains ne veulent définir l’agriculture urbaine que comme une activité productive professionnelle, ce qui la cantonne à ses formes périurbaines. En Amérique du Nord, la définition est plus large : elle recouvre toutes les mises en culture de la terre à des fins nourricières, des fermes urbaines aux jardins partagés en passant par les toits cultivés, les potagers individuels ou les friches exploitées. Nous avons fait le choix d’une définition extensive. Aujourd’hui, la surface que représente l’agriculture urbaine en France est difficile à évaluer et c’est en partie pour répondre à cette question qu’a été lancé le programme Jardins associatifs urbains et villes durables (Jassur).

Comment expliquer le regain d’intérêt pour l’agriculture urbaine aujourd’hui ?

Au milieu des années 1990, les crises sanitaires - vache folle, poulet à la dioxine, etc. - ont fait revenir l’agriculture dans le débat public, avec une exigence de qualité et de traçabilité. A la même époque, la montée en puissance du concept de développement durable entraîne une demande de produits sains. S’y est ajoutée, depuis 2007, la crise : l’agriculture urbaine est directement mobilisée comme réponse à la baisse du pouvoir d’achat, sous forme de jardins non professionnels. C’est très net en Espagne ou en Grèce. Il y a dès lors une dimension à la fois quantitative (faire des économies) et qualitative (manger mieux).

L’agriculture urbaine peut-elle constituer un modèle alimentaire alternatif ?

En tant que tel, non ! En revanche, le jardin, y compris la microforme de jardin comme un pot de basilic sur le balcon, est un sas vers le questionnement alimentaire et la question du "bien manger". Les personnes qui ont accès à la terre s’interrogent ensuite sur le bio ou les circuits courts. L’agriculture urbaine s’inscrit aussi dans une demande plus générale de verdissement de la ville et de réflexion paysagère. Enfin, elle répond à un besoin de lien social. La Charte des jardins partagés leur attribue la fonction de créer de la sociabilité de quartier. Il y a une multifonctionnalité de l’agriculture urbaine.

Les fermes urbaines sont-elles écologiques ?

Dans ses formes professionnelles - les fermes de Montréal ou New York -, l’agriculture urbaine n’échappe pas aux paradoxes : on répond à un besoin de retour à la nature en ayant recours à des serres, avec une consommation d’eau importante et en ne faisant que du hors-sol, autant de pratiques peu écologiques. Mais dans le même temps, il s’agit de circuits ultracourts : on produit en haut ce qu’on vend en bas. En outre, l’hypertechnicité utilisée permet de diminuer l’impact environnemental. Ainsi, à Montréal, la ferme Lufa est équipée d’un système qui permet de réutiliser 100 % de l’eau de l’irrigation.

La pollution pose-t-elle problème ?

La pollution atmosphérique n’est pas la plus problématique. Bien sûr, si on fait pousser des aliments sur son balcon, mieux vaut le faire côté cour que côté rue ! Mais l’essentiel est de bien les laver avant de les consommer. La pollution des sols est plus préoccupante et concerne tout autant le maraîchage professionnel en zone périurbaine que les jardins partagés en ville : on ne sait souvent pas ce qu’il y avait avant dans le sol. Dès qu’on est porteur d’un projet de jardin urbain, il faut faire une analyse des sols. Un autre outil mobilisable est la phytoremédiation : choisir des plantes qui dépolluent. Car toutes les plantes ne réagissent pas de la même façon aux pollutions.

Quelles sont les limites au développement de l’agriculture urbaine ?

La pression foncière est la limite la plus forte, non seulement au développement mais aussi à la pérennisation de l’agriculture urbaine. On peut être tenté d’y remédier par la verticalité (les façades). Pourtant, il est essentiel de garder un lien au sol. L’autre question est celle de la privatisation de l’espace public. Les jardins ouvriers, ouverts au XIXe siècle, ont été fermés pendant les Trente Glorieuses pour résister à la pression foncière justement. Or, les associations se rendent compte que, face à cette pression, elles ne peuvent se contenter de défendre des jardins fermés, car c’est une forme de lobbying. Les opérations qui naissent aujourd’hui l’ont intégré : elles respectent le travail des jardiniers tout en garantissant une non-fermeture. A cet égard, les jardins familiaux de Ris-Orangis sont exemplaires.

Propos recueillis par Céline Mouzon

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