Composter, récupérer, réparer : le nouveau cycle de vie des objets

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Chacun de nous peut lutter à son échelle contre le gaspillage et l'obsolescence programmée, même si la réduction des déchets à la source et une gestion plus écologique de ceux-ci doivent avant tout être prises en charge par les pouvoirs publics et les entreprises.

En quarante ans, la quantité de déchets que produit en moyenne chaque Français a doublé, pour atteindre près de 600 kilos par an. Certes, les techniques de tri, d’incinération et de stockage ont considérablement progressé depuis les années 2000, mais chaque année, plus d’un million d’oiseaux continuent de mourir dans le monde suite à l’ingestion de déchets plastiques. De même, les déchets électroniques, en croissance exponentielle, contiennent des métaux rares ou dangereux qui, au-delà de la pollution engendrée, sont à l’origine d’une exploitation massive des ressources naturelles. Or, face à cela, la réduction des déchets à la source demeure un voeu pieux puisque nombre d’objets sont fabriqués pour tomber prématurément en panne sans possibilité de réparation. Ce phénomène d’obsolescence programmée s’étend à une multitude de produits industriels : des lavabos à l’électroménager, en passant par la voiture. Selon l’Ademe, la durée de vie d’un téléphone portable en France n’excède pas deux ans et chaque Français produit environ 14 kilos par an de déchets électroniques et 10 kilos dans le cadre de son activité professionnelle.

Or, parallèlement, le nombre de réparateurs d’appareils électroménagers en France a diminué de moitié depuis 2006. Un chiffre qui relativise, en termes environnementaux, le poids de la croissance du marché de l’occasion. Les ressourceries, comme celles initiées par l’association Emmaüs ou l’entreprise d’insertion Envie, demeurent des démarches citoyennes importantes, mais elles cantonnent la lutte contre l’obsolescence programmée au secteur subventionné de l’économie sociale et solidaire, s’appuyant sur des emplois d’insertion (voir aussi page 56). Elles sont aussi l’expression d’une société associant hyperconsommation et développement de la pauvreté. Enfin, sur les 800 millions de tonnes de déchets produits chaque année en France, seulement 32 millions, soit 4 %, concernent les déchets ménagers, loin derrière le BTP et l’agriculture. Mais si les entreprises et les pouvoirs publics sont des acteurs essentiels de la gestion des déchets et de la réduction de leur production à la source, les citoyens ont aussi un rôle à jouer. Voici donc quelques pistes pour agir.

Zoom Des déchets aux destins variés

Que l’on habite à Paris, Bruxelles, Vienne ou Copenhague, nos déchets ne connaissent pas le même sort. Ainsi, les pays nordiques et germaniques, qui taxent fortement la mise en décharge ou l’interdisent, ont des taux de valorisation des déchets supérieurs (incinération, recyclage et compostage) aux nôtres. En France, environ un tiers des déchets municipaux est encore mis en décharge, un tiers est incinéré et un tiers seulement fait l’objet d’une valorisation par recyclage ou par compostage.

Répartition des différents modes de traitement des déchets municipaux en Europe en 2010, en %

L’incinération permet de récupérer de l’énergie, notamment pour chauffer des logements. Mais si le développement de filtres efficaces limite désormais les émissions polluantes, il n’y a pas alors de valorisation matière des déchets. Or, une grande partie des déchets incinérés pourrait être recyclée. Afin de développer la valorisation des déchets, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) vise à rendre la décharge et l’incinération plus coûteuses que la collecte sélective, le tri et le recyclage. Toutefois, la TGAP est aujourd’hui assortie de divers abattements selon les performances environnementales des décharges et des incinérateurs : valorisation du biogaz ou de la chaleur, diminution de certaines émissions atmosphériques, etc. Le but de ces abattements était à l’origine de pousser les exploitants à améliorer leurs installations. En quelques années, il a été atteint, mais presque trop, si l’on peut dire : la TGAP perçue, en intégrant les abattements, est devenue trop faible pour inciter efficacement au tri.

Produire moins de déchets

Il existe des gestes simples et de bon sens pour produire moins de déchets. L’Ademe les recense dans un guide en ligne (voir "Pour en savoir plus") : pour réduire les emballages, privilégier les produits à la coupe (charcuterie, boucherie, fromages...) ou en vrac (fruits, céréales...), opter pour les produits grand format si cela correspond à la consommation du foyer, choisir les formats éco-recharges ou concentrés lors des achats de produits nettoyants, etc. Néanmoins, ce n’est que quand les enseignes cessent de distribuer gratuitement et à tout-va les sacs plastiques jetables que l’usage des cabas se développe réellement. On peut aussi y ajouter la lutte contre le gaspillage alimentaire (voir pages 50-51).

Le compost citoyen

La présence de déchets organiques oblige les gestionnaires d’incinérateurs à injecter des matières fossiles polluantes pour assurer la bonne combustion des ordures. De ce fait, les déchets ménagers font depuis le début des années 2000 l’objet d’un tri mécano-biologique pour séparer les matières organiques du reste du contenu des poubelles, permettant d’obtenir un compost, certes souillé mais utile. Il existe aujourd’hui en France une trentaine d’usines de tri mécano-biologique. Elles sont souvent critiquées par les associations écologistes comme le Cniid/Zero Waste France, qui milite pour une collecte sélective de biodéchets (avec des bacs dédiés installés dans les copropriétés). Celle-ci est néanmoins onéreuse et complexe à mettre en place. Elle demande de l’espace et de la main-d’oeuvre, car si le compost n’est pas très régulièrement retourné, il produit du méthane, qui est un puissant gaz à effet de serre.

Il existe toutefois une troisième voie, celle du compost collectif citoyen en pied d’immeuble, à l’image de ce que propose CompoStory, fondée par Jean-Jacques Fasquel dans le 12e arrondissement de Paris. Celui-ci a convaincu l’Opac de la ville (rebaptisée depuis Paris Habitat) et la mairie du 12e arrondissement de lui donner les moyens de lancer dans sa résidence une opération de "compost collectif d’immeuble". Désormais, 80 foyers de cet ensemble de 600 logements y participent, utilisant ce compost pour un jardin partagé qui se trouve à la même adresse, auquel s’est ajouté un verger, abritant des ruches et des poulaillers. "Chaque personne a un petit bio-seauet, une à deux fois par semaine, elle le vide dans un composteur, raconte Jean-Jacques Fasquel - aujourd’hui consultant dans ce domaine et président national de Réseau compost citoyen. On dispose d’un bac pour les matières sèches comme les feuilles, d’un autre pour les déchets et d’un bac de maturation, sachant que celle-ci dure en général six mois avant une utilisation possible." Le compost collectif citoyen concerne désormais 100 immeubles à Paris, à comparer avec les 300 que l’on trouve à Rennes, ville pionnière en la matière.

Résister à l’obsolescence programmée

Le compost citoyen donne donc lieu à des pratiques collaboratives et pédagogiques ; les différentes initiatives de lutte contre l’obsolescence programmée aussi. Le Réseau des ressourceries regroupe ainsi des acteurs comme La recyclerie, un centre qui a pour vocation de récupérer, valoriser et réparer, en vue de la revente, des produits d’occasion ou usagés. La recyclerie participe à sensibiliser le grand public au geste du réemploi par des missions de collecte et de valorisation des objets.

Zoom Les joyeux recycleurs au bureau

Depuis 2013, Les joyeux recycleurs oeuvrent pour donner un nouvel élan au recyclage. Si la majorité des Français se dit prête à recycler, deux tiers des déchets échappent toujours à ce destin salutaire. Pour y remédier, la start-up propose aux entreprises parisiennes un service de collecte clé en main pour les déchets de bureau (papiers, gobelets, capsules de café, cartouches, etc.). Fabien et Gilles, deux amis de longue date, entendent ainsi faire converger les intentions et la pratique, en créant un "choc de simplification" : offrir un service simple, accessible, sans réelle perte de temps ou d’énergie, et qui peut être valorisé auprès des partenaires. Au-delà des box de collecte sélective, Les joyeux recycleurs proposent un outil complémentaire pour faciliter la démarche de tri : le mémento recyclage, moteur de recherche présentant les solutions existantes pour tous les déchets du quotidien. Une vingtaine d’entreprises, de 10 à 200 salariés, utilisent pour l’instant ce service.

De même, en cas de panne, vous pouvez consulter le site www.commentreparer.com ou recourir à un "FabLab". S’inscrivant dans un mouvement mondial fondé par des étudiants du Massachusetts Institute of Technology (MIT), les FabLabs sont des lieux ouverts au public où sont mis à disposition toutes sortes d’outils, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur. Dans ces espaces collaboratifs, il est possible de fabriquer des pièces de rechange, notamment avec des imprimantes 3D, et de venir réparer ses objets avec l’aide de geeks* spécialisés. Les Amis de la Terre ont également publié en juin 2012 un précieux annuaire de la seconde vie des produits.

Néanmoins, là encore, la première exigence, pour aller vers une économie réellement soutenable, est d’imposer aux fabricants d’assembler des composants aisément dissociables et identifiables, afin d’en rendre le recyclage possible à des coûts limités et d’en faciliter le remplacement. Au-delà, l’économie dite "circulaire"** permet que les sous-produits d’une usine A soient valorisés par une usine B. On cite toujours en exemple l’écosystème de Kalundborg, au Danemark, difficile à reproduire car supposant une forte complémentarité entre entreprises et des liens collaboratifs entre les acteurs. Mais nombre de cimenteries - grosses consommatrices d’énergie - brûlent aujourd’hui à haute température (2 000 °C) des vieux pneus qui finiraient autrement à la décharge, ce qui permet de produire de l’énergie. De même, les rejets de vapeur ou d’eau chaude engendrés par de nombreux procédés industriels sont désormais valorisés pour chauffer des serres ou alimenter le chauffage urbain. Reste que nombre de produits de l’industrie ne peuvent être recyclés, soit du fait de leur composition chimique, soit parce qu’ils ne peuvent être dissociés d’un autre composant. Passer à une économie soutenable suppose donc de développer une chimie renouvelable, transformant des matières végétales et ne fabriquant que des molécules biodégradables et sans risque sanitaire avéré.

Zoom A quoi sert une imprimante 3D ?

Voitures, maisons, pizzas et même organes, tout pourrait à l’avenir être créé à domicile, par une imprimante 3D. Par un procédé similaire à celui de l’imprimante à jet d’encre, l’impression en relief façonne un objet par une succession de couches de plastique, résine, métal, etc. collées les unes aux autres. Les FabLabs mettent à disposition machines et encadrement pour apprendre à créer ses propres pièces et échapper ainsi aux contraintes industrielles. Mais pour l’instant, l’accès aux plans d’objets déjà commercialisés est difficile. Autre frein, l’imprimante 3D est encore peu abordable : de 500 à 2 000 euros, sans compter les consommables.

Enfin, il ne suffit pas de produire autrement, il faut aussi utiliser autrement. C’est le principe de l’économie de fonctionnalité, qui consiste, pour les industriels, à vendre un service plutôt que des produits. Ou encore de l’économie collaborative, qui incite les ménages à partager l’usage des biens sous forme de prêts ou d’échange. La firme Xerox est souvent évoquée à ce propos parce qu’elle vend des solutions de gestion de la chaîne documentaire à ses clients et non plus des photocopieuses. De même, Michelin propose aux entreprises de transport un contrat qui prend en charge l’ensemble de leurs besoins en pneumatiques en échange d’une facturation au kilomètre parcouru. Les services de vélos et d’autopartage s’inscrivent dans la même logique : vendre l’usage plutôt que le bien. Car l’essentiel demeure d’agir à la source et de produire moins de déchets.

* Geek

Personne extrêmement pointue dans un domaine précis, plus souvent utilisé dans le sens de passionné. L'archétype classique du geek est le passionné d'électronique ou d'informatique.

** Economie circulaire

Au-delà du simple recyclage des déchets, elle vise à limiter leur production en favorisant une utilisation optimale des ressources par échange de flux et de matières dans des logiques de coopération à l'échelle des territoires.

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