Grands trafics pour petites armes

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Les commerce illicite des armes légères est très lucratif. Et ce sont elles qui tuent le plus. Sous l'égide de l'ONU, un traité instaurant leur contrôle pourrait entrer en vigueur. Mais nombre de pays rechignent.

Par an, 500 000 morts. Tel est le tribut que l’humanité paie à la circulation de quelque 639 millions d’armes légères et de petit calibre (ALPC) dans le monde. Sur ce demi million, 310000 décès sont liés à des conflits guerriers. Aujourd’hui, les véritables armes de destruction massive sont les pistolets, carabines, fusils d’assaut, mitrailleuses, lance-grenades, lanceurs portables de missiles antichar ou antiaérien, mortiers d’un calibre inférieur à 100 mm....

Ces armes règnent sur les guerres civiles. De la Colombie au Congo, en passant par le Népal. Les "vedettes" s’appellent fusils G3 ou AK-47. Souvent acheminées clandestinement, elles sont faciles à stocker ou à entretenir. Et ne nécessitent pas de compétences techniques particulières. Même des enfants peuvent les utiliser... Et comme à l’issue des conflits, les ex-combattants "oublient" souvent de rendre leur arme durant les opérations de démobilisation, elles réapParaissent à la première crise. Quand on ne les retrouve pas au service de criminels ou de guérillas voisines.

Dénoncée par les organisations humanitaires, cette situation a provoqué plusieurs initiatives régionales. Dès 1997, l’Organisation des Etats américains (OEA) se dotait ainsi d’une convention contre le trafic illicite d’armes à feu. Des documents similaires ont été signés en Afrique australe (2001), dans la région des Grands Lacs et de la Corne de l’Afrique (2004)... Hélas, faute d’être juridiquement contraignants, sanctions à l’appui, ces textes restent des déclarations d’intention. En 1998, les Etats d’Afrique de l’Ouest sont allés plus loin, signant un moratoire sur l’importation, l’exportation et la fabrication d’armes légères et de petit calibre. Mais, sous couvert d’aide alimentaire ou munis de faux certificats sur le destinataire final -obligatoires en cas de transfert international -, les trafiquants ont continué à approvisionner les belligérants. Avec la complicité plus ou moins active de gouvernements de la région.

Zoom Un prétendu marchand de bois...

Le 18 mars dernier, la police néerlandaise a arrêté à Rotterdam Gus Van Kouwenhoven. Cet homme d’affaires de 62 ans était recherché par la justice des Pays-Bas pour crimes de guerre et violations répétées de l’embargo international sur les livraisons d’armes au Liberia décrété en 2001 par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Depuis, il figurait sur la liste des personnes frappées par une interdiction de voyager puis un gel de leurs avoirs, décidés par le comité des sanctions de l’ONU.

Ravagé par une guerre civile qui a fait des centaines de milliers de morts, le Liberia était dirigé jusqu’à l’été 2003 par le sinistre Charles Taylor. Son régime, tout comme ses opposants armés, finançaient leurs achats d’armes par le contrôle des principales ressources du pays : les diamants et surtout l’industrie forestière. En 2002, selon les estimations les plus prudentes de l’ONG britannique Global Witness, les exportations de bois libérien, principalement à destination de la Chine et de l’Europe, atteignaient 152 millions de dollars.

Principal soutien financier de Taylor, Van Kouwenhoven dirigeait l’Oriental Timber Company, première compagnie forestière libérienne. Liée à des capitaux asiatiques, chinois notamment, l’OTC avait obtenu plus de 40% des concessions sur les forêts du pays. Via une milice de 2500 hommes, elle contrôlait en outre le port de Buchanan. De là, partaient les cargaisons de bois et arrivaient des cargaisons régulières d’armes légères, sous couvert d’équipements ou de denrées alimentaires. Après l’embargo onusien de mai 2003, Van Kouwenhoven et l’OTC ont tenté de faire transiter leur production par la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire voisine, deux pays que Charles Taylor tentait de déstabiliser. Mais le dictateur a fini par tomber à l’été 2003. Van Kouwenhoven a alors trouvé refuge au Congo Brazzaville. Malgré les sanctions de l’ONU, le trafiquant aurait continué de circuler entre l’Afrique et l’Europe. Avant que la collaboration entre les autorités néerlandaises et françaises ne mène à son arrestation..

Remonter jusqu’au fabricant

Afin d’établir des règles internationales, les Nations unies ont organisé à New York, en juillet 2001, la première conférence mondiale sur le commerce illicite des armes légères sous tous ses aspects. Principale mesure du Programme d’action adopté : un projet de convention instaurant le marquage et le traçage des armes à feu et des munitions. Il s’agirait de rendre obligatoire l’apposition d’un identifiant unique (avec numéro de série, nom du fabricant et pays d’origine...) sur chaque fusil ou pistolet et lot de cartouches. Et surtout d’enregistrer auprès des autorités nationales et internationales toute transaction ou transfert. A partir d’une récupération de l’arme lors d’un crime ou d’un conflit, on pourrait remonter toute la chaîne d’approvisionnement, jusqu’au fabricant et déterminer, le cas échéant, quand l’arme est sortie du circuit "licite". Un instrument de traçabilité indispensable, quand on sait que près d’une centaine de pays fabriquent des armes légères. Et que l’écrasante majorité des armes illicites ont été produites légalement avant de plonger dans la clandestinité.

Le projet de traité pourrait être finalisé dès cet été, avant d’être adopté en juin 2006 lors d’une nouvelle conférence de l’ONU. Techniquement, l’affaire ne pose pas de problème majeur. Pour éviter la falsification du numéro de série, nombre d’experts avancent l’idée d’une application par rayon laser d’un second marquage dit "de sécurité" sur une pièce difficilement accessible de l’arme. Selon Ilhan Berkol, du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip), l’appareillage nécessaire coûterait moins de 60000 euros alors qu’un pays comme la Tanzanie, par exemple, s’apprête à investir 12 millions d’euros dans une "petite" machine à fabriquer des munitions. Sur le plan politique, l’affaire est plus complexe. Et d’abord, comment définir un transfert d’arme "illicite"? Se fonde-t-on sur son utilisation ou sur la nature de l’utilisateur ? "Un transfert d’armes est-il légal s’il est utilisé par un gouvernement contre une rébellion armée? Est-il légal quand les armes sont utilisées par un gouvernement contre des civils désarmés? Est-il illégal pour des civils sans défense d’acquérir des armes pour se protéger contre des soldats gouvernementaux? Une rébellion armée est-elle par définition illégale?", s’interroge Pieter D. Wezeman, auteur d’un rapport pour le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri). Pour éviter ces dilemmes politiques, estime le Grip, il est nécessaire dans le cadre du projet de convention de s’en tenir à la notion d’arme "non conforme". C’est-à-dire ne respectant pas les critères de marquage et d’enregistrement décidés.

D’autres points fondamentaux restent en suspens. S’agira-t-il d’un véritable traité, impliquant des adaptations législatives et juridiques pour chaque signataire? Des sanctions seront-elles prévues ? Quelle forme exacte prendra la coopération internationale chargée de permettre la traçabilité d’une arme? Personne ne le sait pour l’instant. Mais, nombre de pays comme l’Egypte, l’Iran, le Pakistan, Israël ou le Japon rechignent à l’idée de livrer des informations sur leurs ventes d’armes.

"Les Etats sont très réticents à l’idée d’un contrôle supranational, note un spécialiste du dossier. Ils brandissent régulièrement l’impératif de sécurité nationale pour refuser de discuter." Pour les ONG, les discussions à l’ONU sur le contrôle des armes légères restent néanmoins une bonne nouvelle. "Le problème vient du système actuel, Pas de tel ou tel Etat, estime Ilhan Berkol, du Grip. Chacun d’entre eux craint d’abandonner une marge de manoeuvre que son voisin conserverait. En instaurant des contraintes supplémentaires pour tous, je crois que nous allons dans la bonne direction. Simplement, nous y allons à reculons."

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